10/07/18

Une plateforme pour la recherche dans les langues africaines

Africa languages Article
Crédit image: Alistair Cotton

Lecture rapide

  • La plateforme AfricArxiv permet aux scientifiques africains de soumettre les résultats de leurs recherches
  • Eller accepte des soumissions dans les langues locales, notamment le zoulou et le swahili
  • Mais selon des experts, trouver des scientifiques avec des niveaux de langue élevés ne sera pas chose aisée

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[Accra] Une nouvelle plateforme, AfricArxiv, lancée le mois dernier (25 juin) propose aux scientifiques et chercheurs africains de soumettre des travaux de recherche dans les langues africaines.

AfricArxiv, née d'une conférence scientifique en avril dernier à Kumasi au Ghana, a été lancée sur la base d'un simple tweet : "De la nécessité d'avoir un référentiel africain de toutes les informations et initiatives sur la science ouverte #AfricaOSH"

Elle espère rendre la recherche scientifique africaine plus visible, diffuser les connaissances d'origine africaine, faciliter les échanges de recherche à l'intérieur du continent et favoriser des collaborations.

"AfricArxiv est conçue pour les scientifiques africains de toutes les disciplines afin de leur permettre de partager les résultats de la recherche, y compris les prépublications (preprints), les postdocuments (postprints), le code et les données", a déclaré Jo Havemann, co-fondateur de la plateforme.

Jo Havemann explique que les scientifiques soumettent leurs manuscrits (la version finale de leur projet d'article de recherche avec exposé du contexte, description des résultats, méthodologie et discussion) avant le processus de publication dans une revue à comité de lecture.

“Nous voulons démocratiser le processus par lequel les scientifiques choisissent la langue dans laquelle ils veulent soumettre leurs recherches”

Justin Ahinon – Co-fondateur de la plateforme AfricArxiv

Le processus d'évaluation par les pairs et de publication est très compétitif et prend souvent plusieurs mois, parfois jusqu'à deux ans, de sorte que certains des résultats pourraient tomber en désuétude, au moment de leur publication, voire n'être jamais publiés.

La plateforme acceptera des travaux de recherche dans des langues africaines telles que l'akan, l'igbo, le swahili et le zoulou, entre autres, et permettra aux scientifiques africains de partager facilement leurs résultats de recherche et de recevoir le feedback d'autres collègues.

Avec cette plateforme, les travaux de recherche soumis dans les langues locales devraient contenir un résumé en anglais et en français.

"Il est généralement plus facile de discuter et de mener des recherches dans votre langue locale et les traductions en anglais ou en français pourraient prendre du temps et réduire la richesse de l'expression, en particulier pour les sciences sociales", ajoute Jo Havemann.

Selon le co-fondateur Justin Ahinon, diplômé de l'Université de Parakou, au Bénin, la plateforme est un peu différente des plateformes traditionnelles qui obligent les scientifiques à soumettre des documents de recherche en français ou en anglais.

"Nous voulons démocratiser le processus par lequel les scientifiques choisissent la langue dans laquelle ils veulent soumettre leurs recherches", déclare-t-il. 

Bien que l'idée du lancement de la plateforme ait obtenu des réactions positives sur les réseaux sociaux et joui d'une bonne couverture dans les médias traditionnels, les scientifiques hésitent à lui soumettre leur travail parce que, selon les fondateurs, le concept de prépublication est encore relativement nouveau et sous-utilisé dans la communication scientifique.

Les référentiels de prépublication sont de plus en plus utilisés dans le contexte de la science en accès libre et constituent l'une des mesures simples et efficaces pour rendre les résultats de la recherche accessibles.

Les soumissions sont modérées par des scientifiques, de sorte qu'il y a un certain processus de revue par les pairs – quoique cela diffère de la publication dans une revue à comité de lecture.

Dans la plupart des cas, cela reste possible après la soumission au référentiel de prépublication.

AfricArxiv est hébergée par Open Science Framework, une plateforme en accès libre ayant pour but de favoriser l'ouverture, l'intégrité et la reproductibilité de la recherche scientifique, au même titre que d'autres référentiels propres à des régions ou des disciplines (Paleorxiv, Arabixiv, Agrixiv, EarthArxiv, etc.)

Selon les fondateurs, Open Science Framework fournit un bon référencement pour les résultats de recherche sur les moteurs de recherche (indexés par Google Scholar [1], avec référence DOI [2]) qui permet d'obtenir plus de visibilité sur les travaux soumis.

AfricArxiv n'est pas la seule initiative liée à la science dans laquelle les deux co-fondateurs sont impliqués.

Justin Ahinon travaille sur Open Africa Repository, une plateforme pour des informations scientifiques provenant de sources africaines et soutient le libre accès en Afrique francophone, tandis que Jo Havemann est formateur en science, communication et soutient la science en accès libre en Europe et en Afrique. 

“Lorsque les gens effectuent des travaux de recherche dans leur langue locale – une langue qu'ils comprennent et parlent bien, ils sont capables de bien le faire et cela facilite le travail.”

Nana Anima Wiafe-Akenten – Université de l'Education de Winneba, Ghana

Sur le continent, les avis sont quelque peut partagés sur l'intérêt de l'initiative.

Au Ghana, bien que les experts de la langue akan la considèrent comme excellente, ils estiment aussi qu'elle comporte ses propres défis.

"Il y a beaucoup de rejet du travail de recherche en Afrique par des revues à fort impact et j'ai donc dû recourir aux médias classiques, dans le cadre d'un travail de recherche que j'ai entrepris, pour mettre en évidence les résultats. Si c'est publié sur cette nouvelle plateforme, nous pouvons obtenir plus de lecteurs", déclare Daniel Ansong, doyen de la faculté des sciences médicales de l'université Kwame Nkrumah des Sciences et Technologies, dans une interview à SciDev.Net.

Le responsable universitaire ajoute qu'AfricArxiv permettra une visibilité du travail de recherche scientifique en Afrique, mais le principal défi pourrait être de trouver des gens capables d'écrire en langues locales ou de les traduire.

"Le seul problème est que vous aurez besoin de gens qui peuvent écrire dans les langues africaines. Au Ghana, par exemple, la langue twi, même si elle est enseignée dans les écoles, n'est pas très lue."

Selon le professeur Kofi Agyekum, chef du département de linguistique de l'Université du Ghana, la soumission de travaux de recherche scientifique en langue akan nécessiterait une bonne compréhension des terminologies de la langue. "Comment allez-vous appeler atome dans la langue akan et comment allez-vous l'épeler ? Cela dépend aussi de votre public cible et du fait qu'il peut donner un sens à ce qu'il lit", estime-t-il.

Pour que l'initiative serve parfaitement son but, il recommande que les fondateurs se demandent si les scientifiques peuvent même écrire dans leurs langues locales et s'intéressent à leur niveau de compétence en orthographe.

"Quand les gens effectuent des travaux de recherche dans leur langue maternelle – une langue qu'ils comprennent et parlent bien -, ils sont capables de bien le faire et cela facilite le travail. Mais parce que la plupart des gens ne s'intéressaient pas à l'apprentissage de leur langue locale, il devient difficile d'obtenir des personnes désireuses de lire un matériel de recherche dans une langue locale", explique Nana Anima Wiafe-Akenten, du département d'akan-nzema, à l'université de l'Education de Winneba, au Ghana.

Elle admet toutefois qu'avec l'intérêt croissant pour les langues locales, largement stimulé par la prolifération des stations de radio locales, les gens commencent à mieux apprécier les langues locales et finiront par s'intéresser à la lecture d'un article de recherche scientifique publié en langues locales.

Références

[1] Google Scholar est un service de Google permettant le référencement d'articles scientifiques
[2] DOI : Digital object identifier – littéralement identifiant numérique d'objet, un mécanisme d'identification de ressources numériques, comme un film, un rapport, des articles scientifiques, mais également des personnes ou tout autre type d'objets.