03/09/13

Analyse: devenir sérieux au sujet de la restitution de la recherche

children taking malaria lessons
Crédit image: Flickr/Norvatis AG

Lecture rapide

  • Le rôle de l'Afrique en tant qu’une destination pour la recherche en santé pourrait être menacé
  • Les résultats et les retombées des recherches ne sont souvent pas partagés avec les participants
  • Les bailleurs de fonds doivent s'assurer que les projets ont des plans de diffusion clairs

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Les communautés pauvres souvent en proie à des maladies en Afrique sont une destination populaire pour la recherche en santé. Le nombre d'essais cliniques sur le continent a augmenté, de même que la recherche en matière de services de santé — et rien ne semble montrer qu’il va ralentir.

L'évolution de cette activité a eu quelques conséquences intéressantes, telles que l'augmentation de la concurrence pour faire participer les patients à la recherche.

Par exemple, les scientifiques à Durban, en Afrique du Sud, se bousculent pour que des cohortes de patients essaient de nouveaux traitements contre la tuberculose chimio-résistante, qui sévit dans la région.

Il est essentiel d’entretenir de bonnes relations avec ces communautés pour la recherche en santé en Afrique – mais ces relations ne sont pas faciles à gérer.

La dégradation des relations

En effet, elles ont commencé à se dégrader dans plusieurs localités. Avec l’augmentation du nombre d'essais cliniques, les communautés peuvent devenir froides avec les scientifiques qui les courtisent.

Cela n'est pas dû uniquement à l'augmentation des études, qui bien sûr n’est pas un facteur négligeable, mais également au fait que les communautés réalisent que leur participation à ces études est précieuse – et qu’elles ne sont pas suffisamment rémunérées.

La question de la rémunération est importante. Pour les participants, il y a un coût associé à la participation à des essais cliniques. Le transport pour se rendre au lieu d'essais et en revenir coûte de l'argent. Les participants peuvent avoir à s'absenter de leur lieu de travail ou négliger des tâches domestiques.

Il y a souvent une petite compensation pour les participants. Mais les patients participants se rendent rapidement compte qu’elle est dérisoire par rapport à ce que les chercheurs obtiennent en retour. Ces études peuvent, en effet, assurer la réussite de la carrière des chercheurs ou pourraient déboucher sur de nouveaux traitements rémunérateurs.

Cette inégalité en matière de profit issu de la recherche pourrait être atténuée si les résultats et les retombées de la recherche étaient partagés avec les communautés. Mais ils ne le sont souvent pas.

Les défis à relever dans la pratique

Les directives mondiales en matière de recherche éthique soulignent l'importance de la retransmission des résultats de la recherche en santé impliquant les communautés des pays en développement.

Mais cette 'restitution' fonctionne rarement bien dans la pratique. Les défis sont bien illustrés dans une récente étude de cas publiée en ligne par trois chercheurs en santé basés au Canada, à savoir: Anne-Marie Turcotte-Tremblay, Federica Fregonese et Nazmul Alam, de l'Université de Montréal.

Dans leur article publié en ligne le mois dernier (5 juillet), les trois chercheurs décrivent la situation désespérée de John, un jeune chercheur en santé canadien, qui a mené une étude épidémiologique sur les effets du paludisme sur le développement des enfants dans un pays ouest-africain. [1]

Au départ, John avait l’intention de partager ses résultats avec la communauté. Le formulaire de consentement signé par les familles participantes, énonçait cette promesse, et sa subvention comprenait un financement pour publier les résultats dans une revue en libre accès.

Or, deux années se sont finalement écoulées entre la réalisation de l'étude et la publication de la recherche – un temps que les participants ont trouvé long. En outre, le document de recherche a paru dans une revue prestigieuse, accessible uniquement sur abonnement, plutôt que dans une revue en libre accès. Cela était dû à deux raisons: premièrement, John a constaté que les US$ 3000 destinés au paiement pour la publication dans une revue en libre accès avaient été consacrés à d’autres dépenses.

Deuxièmement, il valait mieux pour la carrière de John de publier dans une revue bien en vue, privative, étant donné qu’elle allait le présenter sous un meilleur jour à ses collègues universitaires.

La tentative de rachat

John a essayé de se racheter. Parce que le droit d'auteur lui interdisait de partager l'article de recherche, il a organisé un atelier de duffusion dans le pays où il avait effectué la recherche. Il a également pris des dispositions pour qu’un communiqué de presse fût publié.

Toutefois, la participation à l'atelier était maigre, et des responsables importants sont partis au milieu, apparemment intéressés uniquement par le paiement des indemnités journalières versées aux participants à ce moment-là.

Et, pour John, les articles qui ont découlé du communiqué de presse ont été décevants. Un journal a annoncé en titre: 'les médicaments contre le paludisme rendent nos enfants muets' – une interprétation mensongère des résultats qui pouvait dissuader les participants de prendre part à des projets de recherche futurs.

L'histoire de John n'est pas unique. Les auteurs de l'étude de cas ont été submergés par des courriels de chercheurs reconnaissant sa détresse. Et le problème ne se pas limité aux petits projets: il touche aussi des projets de recherche en santé évalués à des milliards de dollars.

La planification de la diffusion

Alors, que peut-on faire à ce sujet? Pour commencer, il doit y avoir un engagement plus poussé des bailleurs de fonds de la recherche, et une plus grande volonté de la part des chercheurs, pour que les résultats soient restitués aux participants à la recherche d'une manière opportune et efficace.

Une solution radicale consiste à ce que les revues scientifiques demandent les preuves de la diffusion à l’intention des communautés participantes avant la publication des études de santé publique. Cela exigerait un réexamen de l'ensemble du secteur des publications universitaires dans le domaine de la recherche en santé – ce qui peut ne pas être une mauvaise chose.

Mais une solution plus réaliste, soutenue par les auteurs de l'étude du cas de John, est que les bailleurs de fonds de la recherche et les comités d'éthique qui approuvent les projets commencent à jouer un rôle plus important en veillant à ce que les projets aient des plans de diffusion clairs, et qu'ils soient exécutés en conséquence.

Quelle que soit la méthode choisie, les mesures incitatives à l’endroit des chercheurs sont claires: s'ils veulent continuer à faire ce qu'ils font en Afrique – et ils le devraient, compte tenu des grands défis de santé que la recherche peut aider à résoudre sur le continent -, ils doivent faire preuve de sérieux à propos de la restitution de leurs résultats à la source.

Références

[1] Turcotte-Tremblay, A-M. et al Considérations éthiques de la diffusion et restitution des résultats en matière de recherche en santé mondiale (Bioéthique en line, 5 juillet 2013)