08/09/09

Changements climatiques et santé : de la nécessité d’une science solide

Les gouvernements ont besoin de solides preuves scientifiques des liens qui existent entre les changements climatiques et les maladies transmises par les insectes

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Les liens entre les changements climatiques et les maladies transmises par les insectes sont complexes. Pour les comprendre, il faudra effectuer de solides recherches – et ne pas se laisser tenter par un alarmisme susceptible de détourner l’attention des facteurs tout aussi importants.

Pour que le développement puisse profiter pleinement de la science, les priorités de recherche doivent à la fois répondre aux besoins sociaux et proposer une application rigoureuse de la démarche scientifique.

Les recherches entreprises sur le rapport entre les maladies transmises par les insectes et les changements climatiques répond clairement à un besoin social. Des maladies telles que le paludisme, la dengue et la fièvre de la vallée du Rift – qui ont comme vecteur de transmission des insectes – sont endémiques dans de nombreuses régions du monde en développement, tuant des millions de personnes chaque année. Ainsi, toute recherche capable d’offrir de meilleures options pour mieux s’y attaquer ou mieux comprendre leurs évolutions futures dues aux changements climatiques, sera précieuse.

La deuxième condition est plus difficile à remplir.

Il existe clairement un lien entre les maladies transmises par les insectes et le climat. Des variables telles que la température et les précipitations influent sur le développement et les cycles de vie des vecteurs et des parasites, ainsi que sur les taux d’alimentation – et donc sur les taux de transmission des maladies.

Mais une multitude facteurs non climatiques exercent aussi une influence sur la transmission des maladies : les conditions de vie, les pratiques d’irrigation, la résistance aux médicaments, les infrastructures de santé, l’urbanisation, par exemple.

Il faut donc éviter de simplifier à outrance, en exagérant le rôle des changements climatiques aux dépens des efforts de recherche se focalisant sur les autres catalyseurs de ces grandes maladies.

Des mythes, des modèles — et des preuves

Cette semaine, nous explorons ces problèmes dans un dossier spécial regroupant une série d’articles. Ces articles examinent les preuves démontrant (et infirmant) l’idée selon laquelle les changements climatiques aggraveront le fardeau des maladies transmises par les insectes. Le dossier met l’accent sur les lacunes persistant dans nos connaissances, et propose des recommandations aux décideurs politiques.

Un article de fond résume les questions clés : comment un changement dans le niveau des précipitations et des températures pourrait affecter les vecteurs et les agents pathogènes ; quelles sont les priorités stratégiques pour aborder une crise potentielle ; et dans quelle mesure est-il scientifiquement avéré que les changements climatiques affectent la propagation des maladies (voir Changements climatiques et maladies transmises par des insectes : Faits et chiffres).

La capacité des modèles à prédire ces effets est une question particulièrement épineuse dans le débat, la météo pouvant influer sur la transmission des maladies d’une multitude de façons, et la qualité des modèles climatiques étant incertaine (voir Les complexités du climat suscitent des polémiques sanitaires).

La solution, pour Jonathan Cox, du London School of Hygiene and Tropical Medicine, serait de mettrela modélisation prédictive de côté pour le moment, pour se concentrer sur des recherches plus à même d’améliorer la lutte contre les maladies – en cherchant à savoir comment renforcer les systèmes nationaux de surveillance dans le but de détecter les flambées de maladies le plus tôt possible (voir Une meilleure surveillance capitale pour les systèmes d’alerte rapide La clé du système de pré-alerte du paludisme est le renforcement du système de surveillance.).

La nécessité d’une meilleure surveillance est reprise par Ulisses Confalonieri de la Fondation Oswaldo Cruz, au Brésil. Il prône également la prise de mesures pour rendre les populations moins vulnérables aux infections, grâce, par exemple, à une meilleure hygiène, un meilleur logement ou une meilleure éducation. Indépendamment des changements climatiques, ces mesures sont pour lui capitales pour aborder les maladies transmises par les insectes dans le monde en développement (voir Aborder les maladies transmises par des insectes quel que soit le temps Il faut lutter contre les maladies transmises par les insectes, indépendamment du climat).

Dans un autre article, Jai P. Narain, du Bureau régional de l’OMS pour l’Asie du Sud-Est, soutient que la priorité de jour serait d’effectuer d’avantage de recherches. Il prévient que les changements climatiques affectent déjà la propagation des maladies transmises par les insectes, comme le paludisme, en Asie du Sud-Est – par le biais d’une multiplication des cyclones, tsunamis, inondations et autres catastrophes naturelles. Mais le rapport entre les changements climatiques, les catastrophes et les maladies reste peu clair. Or, pour que les décideurs puissent réagir judicieusement, ces connaissances devront être développées et acquises (voir Les changements climatiques apportent des catastrophes naturelles et des maladies).

Paul Reiter, un entomologiste médical de l’Institut Pasteur en France, conteste : il soutient que les changements climatiques ne sont en rien responsables de l’augmentation dans la prévalence du paludisme. Il cherche à dissiper trois ‘mythes communs sur le paludisme’ : que les changements climatiques propagent le paludisme à de nouvelles latitudes ; à des altitudes plus élevées; et à une vitesse alarmante partout en Afrique sub-saharienne. Ces mythes, dit-il, émanent de l’alarmisme des activistes des changements climatiques, plutôt que des données historiques ou scientifiques (voir Des mythes du paludisme des changements climatiques).

Assurément, il nous faut développer une communication responsable dans ce domaine. Asefaw Getachew, conseiller technique principal auprès du Partenariat pour le Contrôle et l’Evaluation du Paludisme en Afrique (Malaria Control and Evaluation Partnership in Africa), propose des conseils aux journalistes cherchant à comprendre la complexité et l’incertitude persistant dans les ouvrages scientifiques (voir Communiquer sur les liens entre changements climatiques et santé : comment relever le défi).

Pas de raccourcis

Le jury scientifique examinant l’impact des changements climatiques sur les maladies transmises par les insectes est toujours en délibération. Pourtant, une application rigoureuse de la démarche scientifique étant cruciale pour la détermination d’une politique cohérente, les chercheurs doivent donc s’efforcer de bien comprendre la science.

La tâche est urgente, mais cela ne doit pas conduire à la recherche de raccourcis. Il faut, chose délicate, trouver le juste milieu. Si nous ne faisons pas des recherches pour confirmer les effets des changements climatiques sur les maladies transmises par les insectes, nous risquons de laisser passer un argument solide susceptible d’inciter le milieu politique à s’attaquer au réchauffement de la planète.

Mais le danger serait d’accorder trop d’importance aux changements climatiques, et de les interpréter comme le facteur principal – cela pourrait, par exemple, contribuer à détourner des financements de la recherche d’autres facteurs clés qui contribuent à la propagation des maladies.

Le fond du problème est simple. Pour que les secteurs de la santé justifient les grosses sommes d’argent dont ils auront besoin si les changements climatiques accélèrent la propagation des maladies transmises par les insectes, ils devront pouvoir convaincre les gouvernements du caractère hautement prioritaire du problème. Pour ce faire, ils devront présenter de solides preuves scientifiques des liens entre les deux phénomènes.

Sian Lewis
Rédactrice/éditorialiste, SciDev.Net