10/06/10

Le traitement journalistique de la recherche sur les cellules souches embryonnaires

Stem Cell (Cellules souches)
Crédit image: Flickr/Engineering at Cambridge

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Les conseils de Luisa Masarani sur la façon de couvrir le très controversé sujet relatif à la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Les cellules souches prélevées sur des embryons (cellules souches embryonnaires ou CSE) ont une propriété extraordinaire : elles peuvent se développer dans n'importe quelle des cellules hautement  spécialisées du corps, un processus appelé différenciation. Selon les scientifiques, cette propriété pourrait offrir des traitements pour une vaste gamme de maladies allant du diabète à la maladie d'Alzheimer.

Cette information inspire  aux journalistes de nombreux articles,  depuis l'émerveillement devant les possibilités des CSE, à la condamnation d'une science capable de détruire un embryon humain.

La recherche sur les CSE est l'un des domaines scientifiques les plus complexes à couvrir. Malgré son potentiel, il est peu probable que nous puissions profiter de ses bienfaits avant plusieurs décennies. C'est un domaine qui n'est pas sans risques et provoque des passions chez ses défenseurs comme chez ses ennemis.

Il n'existe pas de formule simple pour couvrir la recherche sur les cellules souches. Mais voici tout de même quelques règles pour vous aider à maintenir une approche responsable et informative. Elles sont le fruit de ma propre expérience d'écriture journalistique dans le domaine de la recherche controversée sur les CSE au Brésil.

Bien comprendre les fondements

Pour écrire sur la recherche sur les CSE, vous devez au préalable comprendre les concepts et la terminologie, afin de pouvoir les traduire en termes simples pour votre public.

Une cellule souche est une cellule capable de se multiplier à l'infini en culture et 'multipotente', c'est-à-dire qu'elle peut donner naissance à des cellules spécialisées (comme les neurones ou les cellules de la peau).

Il existe deux principaux types de cellule souche et il est indispensable que votre audience sache exactement à quel type vous faites référence.

Les cellules souches embryonnaires sont des cellules indifférenciées issues d'un embryon de quatre ou cinq jours capables de se multiplier en culture pendant une longue période sans nécessairement évoluer en cellules spécialisées. Elles peuvent se transformer en tous types de cellules ou tissus, ainsi que d'autres tissus extra-embryonnaires comme le placenta, ce qui en fait des cellules totipotentes.

Les cellules souches adultes sont des cellules souches indifférenciées que l'on retrouve sur plusieurs organes et tissus différenciés. Leur capacité à se multiplier en culture est beaucoup plus réduite que celle des CSE et en général, elles se différencient seulement en types de cellules de l'organe d'origine, on les qualifie de 'multipotentes'.

Les CSE ont une grande importance dans la recherche sur les maladies génétiques. Le matériel génétique de la cellule d'un patient qui souffre de mucovicidose, par exemple, peut être implanté dans une cellule œuf non fécondée en supprimant son propre matériel génétique.

Ce nouvel œuf est stimulé pour se multiplier, produisant ainsi l'embryon à partir duquel les CSE ayant les indicateurs génétiques de la mucovicidose peuvent être prélevés et étudiés. Ce qui implique généralement la destruction de l'embryon, bien que des chercheurs aient récemment trouvé des moyens d'extraire les cellules souches sans être obligés de passer par cette destruction.

Mais l'accent mis sur les CSE, surtout par les medias, concerne surtout leur potentiel à traiter certaines maladies. Les CSE sont beaucoup plus prometteuses que les cellules adultes parce qu'elles peuvent devenir n'importe quelle cellule du corps.

Dans le scenario d'un traitement, les CSE peuvent être prélevées sur un embryon produit selon le procédé décrit ci-dessus, le clonage thérapeutique, ou sur un embryon issu d'un traitement de la stérilité. Les CSE seraient alors stimulées en laboratoire pour produire un type particulier de cellule qui pourrait être implanté chez un patient. Par exemple, les cellules des nerfs implantées dans une colonne vertébrale endommagée peuvent la réparer, permettant ainsi au patient de marcher.

La recherche sur les CSE suscite la polémique parce que dans tous les cas elle utilise un embryon. Et produire des CSE à partir d'œufs non fécondés constitue également la première étape de la création d'une copie vivante de tout organisme, ou 'clonage reproductif'. Pour ces raisons, les activistes ont protesté contre cette technologie et accusé les scientifiques de vouloir imiter Dieu.

En 2006, les chercheurs ont réussi une autre prouesse. Ils ont identifié des conditions susceptibles de reprogrammer des cellules adultes spécialisées pour qu'elles deviennent des cellules souches. Ce nouveau type de cellules est appelé cellules souches pluripotentes induites (CSPi). Elles peuvent servir d'alternative aux CSE si elles sont véritablement pluripotentes, c'est-à-dire capables de se différencier en tous types de cellules humaines.

Si vous n'êtes pas sûr de certaines questions ou définitions techniques, consultez des sources fiables comme les des National Institutes of Health des Etats-Unis.
 

Ne nourrissez pas votre audience de faux espoirs


Les gens sont naturellement plus intéressés par l'impact que la recherche pourrait avoir sur leurs vies, c'est pourquoi la capacité des CSE à traiter les maladies intéresse au plus haut point les medias. Cependant, bien que les expérimentations sur des animaux soient encourageantes, aucun essai clinique n'a encore été réalisé sur des êtres humains et il faudra peut-être attendre des décennies avant que les thérapies basées sur les CSE n'atteignent le niveau de la recherche clinique.

La recherche sur les cellules souches adultes divise l'opinion.

Flickr/Lighthouse50


Ne nourrissez pas les gens de faux espoirs. Renseignez-vous sur l'état de la recherche et informez clairement votre audience de tous les progrès restant à faire avant que les traitements ne deviennent réalité.

Trouvez des réponses à quelques questions élémentaires. S'agit-il d'une expérimentation en laboratoire ? Utilise-t-elle des cellules ou des modèles animaux ? A-t-elle été appliquée à des êtres humains ? Quelle est la taille de cette étude ? Quand les malades pourront-ils bénéficier d'un tel traitement ?

N'hésitez pas a communiquer le caractère excitant des progrès réalisés dans le domaine de la recherche sur les CSE, mais ne laissez ce côté impressionnant prendre le pas sur la réalité : de longues attentes avant la mise au point de traitements.

Inspirez-vous du cas brésilien. Les acteurs favorables à la recherche sur les CSE jusqu'à l'adoption de la législation autorisant la recherche sur les CSE n'avaient pas dit clairement qu'il faudrait attendre des décennies avant que la société ne bénéficie des progrès de la recherche, entraînant ainsi l'indignation du public.
 

Parler des points faibles


Les journalistes ignorent souvent les risques et les effets secondaires potentiels de la thérapie par   les CSE. Par exemple, des études ont montré que les CSE indifférenciées pouvaient former des amas de cellules cancéreuses appelés tératomes lorsqu'elles sont injectées à des souris.

Les CSE injectées peuvent également être rejetés par le corps, comme toutes les transplantations. Bien que la création des CSE à partir des propres gènes d'un malade (comme dans le clonage thérapeutique) réduise ce risque, elle peut ne pas toujours être possible pour des raisons pratiques telles que l'absence de donneurs d'œufs.

Demandez toujours aux chercheurs ce qui pourrait ne pas fonctionner. Votre audience comprendra que de nombreux traitements produisent des effets secondaires, comme la chimiothérapie pour le traitement du cancer. Ne les éludez pas juste pour rendre votre article plus excitant.
 

Comprendre le contexte


Il est également important de comprendre le contexte local. Informez-vous sur ce qui se passe dans votre pays. Existe-t-il une législation sur les CSE ? Que prévoit-elle exactement ? S'agit-il d'un sujet controversé? Y'a-t-il suffisamment d'études menées par des scientifiques locaux à partir de CSE ou de cellules souches adultes?

En ajoutant un paragraphe sur l'état de la question dans votre pays vous aiderez vos lecteurs à comprendre en quoi une étude particulière pourrait les affecter. Certains pays permettent toutes sortes de recherches sur les CSE (excepté le clonage reproductif), tandis que d'autres, tels que le Brésil, autorisent uniquement la recherche sur les embryons issus du traitement de l'infertilité.

Le traitement politique sur les CSE peut s'avérer tout aussi compliqué. Au Brésil, par exemple, la législation en matière de biosécurité autorisant la recherche sur les CSE incluait une autre question controversée, celle des cultures transgéniques. Et au Royaume-Uni, les amendements apportés à la législation sur la recherche sur les CSE a été soumise au Parlement dans un seul projet de loi dans le but de réduire le délai légal des avortements.

Voir le guide pratique du Réseau Sciences et Développement pour plus de conseils sur la couverture des questions liées aux politiques scientifiques.

Rester objectif

Les cellules souches adultes sont le seul type de cellule souche utilisable dans la thérapie.

Flickr/Jun Seita

Sur des questions qui causent autant de dissensions, vous devez rester objectif. Le public a déjà fort à faire avec les opinions des parties en conflit, et n'a pas besoin de connaître celle du journaliste.

Recherchez l'équilibre, mais évitez tout faux équilibre. Evitez les observations d'ordre général, que ce soit sur l'énorme potentiel ou le grand danger de la recherche sur les CSE, essayez de présenter la question de façon dichotomique.

Essayez d'interviewer des personnes aux opinions mesurées, spécifiques au domaine de recherche que vous couvrez. Par exemple, les autres scientifiques qui travaillent dans le même domaine sont-ils d'accord avec les prétentions des chercheurs ? Entrevoient-ils des obstacles entre l'étape de la recherche fondamentale et l'étape clinique ?

Lorsque vous recherchez un panel de personnes à interviewer, souvenez-vous que les scientifiques ne sont que des êtres humains. Interrogez-vous sur la nature de leurs activités, le chef de l'équipe de recherche est-il propriétaire d'une entreprise qui envisagerait de commercialiser cette technologie ? Le commentateur externe qui jette le doute sur la validité de cette recherche ne cherche-t-il pas simplement à obtenir davantage de fonds pour la recherche sur les cellules souches adultes ?

Pensez également à la situation qui prévaut dans votre pays. Evitez d'accorder le même poids à des opinions opposées si elles ne reflètent pas les points de vue de votre pays de résidence. Par exemple, dans un pays où la plupart des gens sont favorables à la recherche sur les CSE, interrogez-vous sur la place à accorder à la seule voix discordante.

De même, veillez à ne pas utiliser un langage émotif, que ce soit pour ou contre la recherche sur les CSE. Vous risquez de croire que vous êtes objectif alors que vous influencez le lecteur par votre choix des mots.

Souvenez-vous des progrès accomplis par la recherche sur les cellules souches au cours des années récentes. Les thérapies à base de cellules souches adultes, comme les transplantations de cellules souches pour le traitement des cancers du sang, sont les seules thérapies parvenues à la phase clinique. Les CSPis pourraient également devenir une alternative aux CSE.

Les journalistes sont souvent accusés d'ignorer le potentiel de la recherche sur les cellules souches adultes et d'être trop proches des chercheurs qui travaillent sur les CSE. Le cas échéant, demandez si les cellules souches adultes peuvent atteindre le même but, ou essayez de savoir où les scientifiques en sont avec ces autres cellules.

Et même si vous n'étés pas responsable du choix des titres et des illustrations, assurez vous que la rédaction reste prudente. Par exemple, un grand journal brésilien avait utilisé en première page une photo qui, parce qu'elle avait été prise en contre-plongée, semblait montrer un fanatique religieux molestant un homme assis dans une chaise roulante. Méfiez-vous des mauvais titres ou des photos qui peuvent ruiner un article que vous avez minutieusement construit de manière équilibrée.
 

Comment exprimer votre point de vue


Si vous ne pouvez pas vous empêcher d'écrire votre point de vue, au moyen d'un article d'opinion par exemple, il y a quelques préalables à respecter.

Flickr/ge'shmally

Faites les recherches nécessaires. Que vous soyez opposé ou favorable à la recherche sur les CSE, assurez-vous d'avoir tenu compte de toutes les questions et des arguments clés. Ne vous laissez pas manipuler dans un sens ou dans l'autre.

Faites clairement la distinction entre votre opinion et les faits. Ne présentez jamais votre avis comme étant un exposé objectif des faits. Et évitez de vous moquer de ceux qui ont une opinion différente. Au Brésil, par exemple, les journalistes ont accusé les personnes opposées aux CSE d'être des fondamentalistes religieux, ou de rester délibérément vagues au motif qu'ils ne pouvaient pas comprendre la science.

Enfin, même si une poignée d'articles sur la recherche sur les CSE reste insuffisant pour couvrir tous les aspects abordés dans ce guide pratique, gardez ces conseils présents à l'esprit. Ils serviront à équilibrer et a donner un ton mesuré à votre travail.

Comme j'ai essayé de le démontrer dans ce guide, la recherche sur les cellules souches fait partie des sujets les plus difficiles à traiter pour un journaliste scientifique. Mais c'est aussi pour ces raisons que ce sujet est fascinant.

Luisa Massarani est la coordonnatrice du Résaeu Sciences et Développement pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Elle est également chercheuse au Musée de la vie de la Fondation Oswaldo Cruz à Fiocruz, au Brésil.