03/09/08

Questions réponses : Florence Wambugu nous commente l’agriculture africaine

Florence Wambugu lors de la Conférence sur la révolution verte en Afrique Crédit image: Ole Walter Jacobsen

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Il faut faire preuve de beaucoup de détermination si l’on veut améliorer le sort de l’Afrique. Florence Wambugu, spécialiste kenyane des maladies des plantes, virologue et Directrice exécutive de Africa Biotech Foundation International, en est la preuve vivante.

La semaine dernière (29 août), elle a reçu le Prix YARA 2008 qui récompense les contributions remarquables au progrès de l’agriculture africaine, lors d’une soirée de gala organisée à l’occasion de la Conférence sur la Révolution verte en Afrique à Oslo en Norvège.

Elle est ainsi récompensée pour sa contribution à l’introduction de la banane issue de la culture des tissusau Kenya. La culture des tissus exploite les propriétés régénératives des bourgeons apicaux, permettant d’obtenir jusqu’à 2 000 plantules de bananier à partir d’un seul bourgeon et ce en six mois. En plus de l’amélioration des caractéristiques de la plante, ces techniques permettent également d’empêcher la transmission de champignons, de bactéries et de parasites des plantes parentes aux rejetons.

Lancé il y a dix ans, ce projet a déjà permis l’amélioration des rendements des cultures et sorti des paysans kenyans de la pauvreté.

Dans cet entretien, la ‘banana mamma’  africaine explique à Linda Nording que remporter le prix YARA représente pour elle l’accomplissement de l’objectif de toute une vie.

Vous avez obtenu votre licence au Kenya, avant d’aller vous spécialiser en virologie au Royaume-Uni. Ensuite, vous avez travaillé comme chercheur aux Etats-Unis pendant un temps. Pourquoi avez-vous choisi de revenir en Afrique ?

Cela s’explique par ma volonté de faire quelque chose à un niveau proche de la population. Je me suis rappelé tous les efforts consentis par l’Etat kenyan et ma communauté pour ma formation et j’étais consciente que dans mon pays les populations souffraient de la faim, de la pauvreté et de la malnutrition. Dans cette situation, j’ai eu le sentiment net que je ne pouvais pas être à l’aise aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Il fallait que je rentre dans mon pays pour apporter ma contribution à la solution de ces problèmes.

Pourquoi se pencher sur la banane ?

La banane est une culture orpheline au même titre que le manioc, le sorgho ou la patate douce. Elle n’a pas bénéficié d’autant d’attention que les cultures destinées à l’exportation. Mais elle joue un rôle crucial dans la sécurité alimentaire en plus de son importance pour les femmes et les enfants. Lorsque j’étais enfant, la banane était un aliment pour bébé.

En regardant autour de moi, j’ai constaté que la technologie nécessaire pour doubler la production et aider les paysans à sortir de la pauvreté existait. C’est pour cela que j’ai rassemblé tous les intervenants de la chaîne de valeur, à savoir les entreprises, les communautés villageoises et les chercheurs dans ce que j’appelle une approche participative de la base vers le sommet. C’est cette approche holistique de l’établissement de liens entre les paysans et le marché qui a permis cette réussite.

Que représente le Prix YARA pour vous ?

C’est très motivant, c’est un rêve que je nourris depuis que j’ai quitté les Etats-Unis pour retourner au pays qui devient ainsi une réalité. Ce prix me permet de comprendre qu’une personne inspirée et prête à coopérer avec d’autres, peut faire changer les choses. Nous devons cesser de nous regarder le nombril et de conclure ‘Je suis une femme, donc je suis une défavorisée’. Avec la détermination, chacun d’entre nous peut faire changer les choses.

C’est tout aussi formidable de pouvoir partager cette joie avec les communautés avec lesquelles nous travaillons. Ce prix est également le leur. Nous l’avons gagné ensemble. Nous allons faire la fête ici lors de la cérémonie de remise du prix, mais également le 23 septembre avec les agriculteurs.

Insiste-t-on suffisamment sur le rôle de la science et de la technologie dans la réflexion sur l’amélioration des rendements agricoles en Afrique ?

Non. Mais je pense que le silence des chercheurs s’explique par le fait que peu de résultats concrets ont été obtenus au niveau des champs, et ce malgré leurs nombreux travaux de recherche. Les chercheurs doivent bien sûr continuer à travailler, mais il faut mettre en place un mécanisme de financement permettant que l’agriculteur puisse bénéficier des résultats obtenus.

Pour faire avancer la ‘révolution verte’ en Afrique, faut-il mettre l’accent sur les technologies de pointe ou sur des technologies plus conventionnelles ?

Je pense que nous devons faire les deux à la fois. Les pays comme l’Argentine, le Brésil, la Chine ou l’Inde qui sont en pleine croissance et en voie de sortir de la pauvreté, utilisent les deux. Nous avons besoin des technologies de pointe pour mettre au point de nouveaux produits.

En Asie, des chercheurs avaient rapidement mis au point une variété de riz à rendement élevé, ce qui avait joué un rôle catalyseur pendant la période de la révolution verte. Mais aucun produit ne peut à lui seul résoudre le problème. Vous devez accroître les investissements dans le secteur agricole, y introduire la mécanisation, disposer de pesticides, et tout cela avec de bonnes politiques. Notre banane issue de la culture des tissus a permis de doubler la production des agriculteurs. Mais tout cela aura été vain sans une bonne gestion et l’accès aux marchés. Vous devez chercher les points faibles de la chaîne de valeur et pouvoir les cibler.

Quelle a été la contribution du parrainage de Kofi Annan,Président de l’Alliance pour la Révolution verte en Afrique, aux efforts de développement de l’agriculture africaine ?

Je pense qu’il a beaucoup apporté parce qu’il peut parler directement aux Chefs d’Etat et leur demander des comptes. Il est au même niveau qu’eux. Vous pourriez penser qu’étant diplomate, il ne comprend pas les préoccupations des gens ordinaires. Mais j’estime qu’il connaît les réalités. Je crois qu’il serait difficile de trouver quelqu’un de mieux que lui. 

Comment comptez-vous utiliser les fonds qui accompagnent ce prix ?

Je vais consacrer une partie de cet argent pour aider des associations de femmes à lancer une activité à valeur ajoutée, une activité de transformation ou à élargir leurs marchés.

J’ai également le souci de vulgariser notre réussite. Je profite de cette occasion pour demander aux partenaires au développement de se pencher sur la valeur de ce type de projet, le retour sur investissement. Nous avons pu porter le revenu journalier des paysans de US$1 US$3. Nous avons pu atteindre des milliers de paysans de manière durable. Cette initiative est une réussite – mais nous devons l’étendre à d’autres pays.