15/12/16

Q&R : Les familles africaines face au problème d’infertilité

Doris Bonnet (IRD - CEPED)
Crédit image: SciDev.Net / Julien Chongwang

Lecture rapide

  • Un livre vient de paraître sur les expériences africaines de la fécondation in vitro
  • L’offre en FIV croît en Afrique ; mais, les Africaines vont toujours en Europe pour l’opération
  • Les contraintes sociales et culturelles favorisent paradoxalement le recours à la FIV

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Une équipe de chercheurs en sciences sociales vient de publier aux éditions L’Harmattan un livre intitulé "procréation médicale et mondialisation : expériences africaines.".
 
Cet ouvrage fait une sorte d’état des lieux qui essaie de voir comment les questions de stérilité sont prises en charge dans le contexte de l’Afrique contemporaine.
 
Plus concrètement, le livre porte sur le rapport des couples concernés par l’infertilité avec l’assistance médicale à la procréation (AMP), plus connue sous le nom de fécondation in vitro (FIV).
 
Pour cela, les chercheurs ont travaillé dans plusieurs pays du continent, notamment le Sénégal, le Cameroun, le Gabon, le Mozambique, le Ghana, l’Ouganda ; l’Afrique du sud, etc.
 

“Il arrive parfois que l’infertilité soit due à un trop petit nombre d’ovocytes ou de spermatozoïdes ou à la faible mobilité de ces derniers. Si bien que par voie naturelle, ils ne soient pas en mesure de se rencontrer pour engendrer la fécondation. Dans ce cas, soit on favorise la rencontre, soit on est plus directif et on va prendre le spermatozoïde et l’introduire dans l’ovocyte”

Doris Bonnet
Anthropologue – IRD / CEPED (France)

L’ouvrage a été rédigé par 13 auteurs sous la direction de Véronique Duchesne et de Doris Bonnet, deux anthropologues de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en service au Centre population développement (CEPED) à Paris.
 
SciDev.Net est allé à la rencontre de Doris Bonnet qui lève ici un pan de voile sur le contenu de cet ouvrage qui aborde un sujet quelque peu tabou en Afrique.
 

Lorsque vous parlez d’assistance médicale à la procréation (AMP), il s’agit de quoi concrètement ?

 
Il s’agit surtout de l’insémination artificielle ; c’est-à-dire que des médecins mettent en contact des ovocytes et des spermatozoïdes dans le cadre de la fécondation in vitro (FIV). Mais, dans certains cas de stérilité masculine où les spermatozoïdes sont moins nombreux que la normale ou pas très vifs et ont donc peu de possibilité de rencontrer les ovocytes, il s’agit de faire en sorte qu’ils les rencontrent.
 

Quelle est l’ampleur du problème d’infertilité dans nos sociétés d’aujourd’hui ?

 
Je pense qu’il y a beaucoup plus de couples qu’on ne l’imagine, qui connaissent un problème d’infertilité. D’abord, on manque de données parce que les cas de stérilité ne sont pas toujours signalés dans les services de gynécologie. Mais, le peu de données que les démographes ont recueillies montrent qu’il y a un fort taux de stérilité selon les régions. Déjà, il faudrait une meilleure prise en charge au niveau des politiques publiques en ce qui concerne la santé de la reproduction. Si par exemple les femmes sont opérées vite et bien de leurs fibromes qui sont d’autres causes de stérilité, on peut réduire le taux d’infertilité. Donc, à mon avis, oui, c’est un problème important.
 

Le livre fait allusion à une certaine ceinture de l’infertilité en Afrique. A quoi envoie cette expression ?

 
Avant les indépendances, les médecins qui ont travaillé dans la zone allant de l’ancien Zaïre au sud du Cameroun se sont aperçus qu’il y avait de nombreux cas de maladies sexuellement transmissibles (MST) dans cette région. Cela s’est expliqué par une mobilité des populations plus importante qu’ailleurs sur le continent, parfois pour le travail. Pendant ce temps, les femmes étaient restées à la maison ; ce qui entraînait des relations sexuelles hors mariage. De fait, les MST provoquent l’infécondité et la stérilité et cette dernière provoque des divorces, donc davantage de rapports sexuels éparpillés. Toute cette zone qui traverse un petit peu le sud de l’Afrique de l’ouest était plus concernée que les autres parties du continent. C’est pour cela qu’on l’a appelée ceinture de l’infertilité, parce que c’est là où se concentraient les taux les plus élevés de stérilité.
 

Vous consacrez des chapitres du livre à l’accès à internet en rapport avec cette question de l’infertilité. Quel est le rôle du web dans l’AMP ?

 
Il a deux rôles principaux. Il y a la recherche de l’information et il y a la mise en scène de soi ; c’est-à-dire le besoin de se confier ou d’exprimer ses émotions. Les femmes sont plutôt sujettes à exprimer leurs émotions et à rechercher des femmes qui vivent la même chose qu’elles. Parce que comme elles ont des difficultés à en parler dans la famille, elles entendent parler de leurs propres souffrances lorsqu’elles consultent des blogs ou des forums. Donc, ça les rassure ou les soulage de pouvoir se confier à quelqu’un qui connaît le même problème qu’elles. Et puis, il y a cette recherche de l’information : quel est le meilleur médecin, la meilleure clinique où les tentatives de FIV ont le plus de chances de réussir, etc. Les hommes sont surtout dans la recherche de l’information ; car, ils sont beaucoup plus réservés pour exprimer leurs émotions, quel que soit le coin du monde. Par contre, ils veulent savoir le coût, s’ils vont être obligés de se déplacer, de changer de pays, s’il y a des cliniques qui sont mieux que d’autres, si leurs femmes vont souffrir, etc.
 

Quelle est l’évolution de l’offre de l’AMP en Afrique subsaharienne ?

 
L’AMP a émergé à la fin des années 1980 et en particulier dans les années 1990 – 2000. Pour avoir une offre de qualité, il faut un matériel de qualité, des médecins bien formés, il faut un couple médecin – biologiste parce qu’un gynécologue tout seul ne peut pas faire de FIV, il faut une sécurité au niveau de l’installation, etc. Bref, il y a un protocole à remplir pour que les choses soient dans les normes. Si ces choses-là n’existent pas, le médecin pourrait faire des inséminations artificielles, mais, il n’arrivera pas à faire la FIV. En conséquence, c’est cher. Elle coûte 2000 euros environ pour le patient. Il ne faut pas croire pour autant que ce ne sont que des gens très riches qui peuvent y recourir. Parmi les 75 couples que j’ai interrogés dans une clinique à Douala, il y avait des gens qui n’étaient ni riches, ni pauvres. Ce sont des gens qui, quelquefois, n’hésitent pas à vendre une voiture ou un terrain pour avoir un enfant ; tellement ils ont envie de surmonter leur stérilité. Disons que ce sont des gens issus de la classe moyenne urbaine. Donc, comme la classe moyenne est en expansion en Afrique, avec de plus en plus de couples où il y a deux salaires, ils parviennent à s’offrir une FIV. Mais, c’est plus difficile à faire quand il n’y a pas deux salaires. Tous les couples que j’ai interrogés, excepté un seul, avaient deux salaires. Donc, l’offre dépend de l’émergence des cliniques privées qui sont de plus en plus nombreuses en Afrique et de l’émergence des classes moyennes.
 

N’y a-t-il pas des moyens de réduire ces coûts ?

 
Actuellement, il y a une controverse. Il y a des directeurs de cliniques en Afrique, soutenus par des médecins de la reproduction dans d’autres pays du monde qui les aident dans leur formation ou dans le transfert des médicaments, qui veulent que les soins au sud soient de même qualité que les soins au nord : mêmes médicaments, mêmes matériels, même processus de sécurisation, etc. Donc, c’est cher.
D’autres disent que c’est tellement cher que ça crée des inégalités et qu’il faudrait une fécondité "low coast". Pour ceux-là, il faut du matériel plus modeste, un peu moins cher, avec des techniques moins onéreuses. Sauf qu’aucun enfant n’est venu au monde jusqu’à présent par cette technique du "low coast". Ils sont en train de faire des essais au Ghana ; mais, pour l’instant, il n’y a pas de résultat.
 
  

Le livre met en évidence les voyages que des femmes africaines effectuent en Europe pour réaliser des FIV. Est-ce que la croissance de l’offre de l’AMP sur le continent pourra, à votre avis, ralentir ce flux vers l’occident en retenant ces femmes dans leurs pays ou en les orientant vers d’autres pays d'Afrique ?

 
Notre étude a constaté que certaines femmes viennent en France alors qu’il y a des cliniques dans les pays où elles résident. C’est le cas des Camerounaises qui venaient en France alors qu’au moment de notre étude, il y avait deux cliniques à Douala faisant la FIV. On peut se demander pourquoi un tel choix. Il y a différentes motivations. Il y en a qui s’éloignent pour des raisons de confidentialité. Les gens ne veulent pas qu’on sache qu’ils sont allés faire un enfant dans une clinique ; mais, ils veulent partir et revenir avec un ventre qui fait penser à une grossesse naturelle. Et puis, il y a des gens qui pensent que les cliniques au nord seront forcément plus performantes que dans leur pays de résidence. Mais, personnellement, je ne suis pas convaincue de cela ; car, les uns et les autres disent qu’il y a entre 25% et 30% de réussite. Donc, on ne constate pas vraiment de différence entre le taux de réussite au nord et au sud. Certains se déplacent pour des dons d’ovocytes qui sont plus rares dans les pays du sud. Par contre, le don d’ovocyte en France pose le problème du phénotype. Une femme africaine ne voulant pas prendre des ovocytes d’une blanche, mais, ceux d’une femme plus proche de la couleur de sa peau ; pour que l’enfant lui ressemble en quelque sorte. Donc, il y a toujours des questions. Mais, je pense que si l’AMP est plus banalisée et démystifiée en Afrique, les gens iront peut-être moins fréquemment en Belgique, en Espagne, ou en France.
 

Jusqu’à quel point est-ce que les contraintes culturelles, sociales, religieuses, etc. influencent le recours à l’AMP dans les pays que vous avez étudiés ?

 
Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, il y a comme une injonction à engendrer. Une femme qui ne se marie pas ou qui ne fait pas d’enfant est quand même relativement marginalisée, y compris au sein de sa famille. On pourrait imaginer qu’elle soit consolée par ses sœurs, sa mère, mais, non ; on va la taquiner ou lui faire des réflexions. C’est pareil pour les hommes. Un homme qui ne fait pas d’enfant peut être écarté de certains héritages. J’ai eu un patient qui habite en ville ; mais, son père a une chefferie à la campagne. Normalement, il devait hériter de cette chefferie ; mais, il était question que s’il n’avait pas d’enfant, il n’hériterait pas. Donc, les mères de tels hommes les poussent à quitter leurs femmes pour en prendre une autre. Et on part du principe que c’est forcément la femme qui est stérile. Donc, les hommes sont parfois incités soit à divorcer, soit à répudier leurs femmes, soit à prendre une deuxième épouse. Ce contexte culturel peut parfois aller jusqu’au point où l’intéressée est traitée de sorcière. Donc, pour être aimé, avoir une reconnaissance, dans sa famille, parmi ses amis, dans la société, on doit chercher un enfant à tout prix. Raison pour laquelle des couples infertiles sont prêts à dépenser beaucoup d’argent pour faire une FIV.
 

Peut-on alors en déduire que la FIV tire finalement son essor de ces contraintes ?

 
Il y a en effet un paradoxe qui consiste à régler un problème tout en le confortant en même temps. C’est le chercheur en sciences sociales qui parle. Finalement, le développement de l’AMP continue à glorifier la maternité. On peut dire que ça pose la question du désir d’enfant. Est-ce qu’on est autorisé en Afrique à s’interroger sur le désir d’enfant du moment que l’avortement est interdit, du moment que la situation des couples sans enfants est vilipendée ? Quel sera le regard des autres ? Le problème est d’engager un débat de société sur le désir d’enfant.
 

L’on apprend également du livre que pour le don d’ovocyte, on privilégie le don indirect au détriment du don direct qui est pourtant décrit comme étant plus rapide et plus facile. Pourquoi?

 
Effectivement, le don direct est le plus facile, mais il a été interdit par les lois de bioéthique de 1994 en France. L’idée est qu’on ne doit pas connaître qui donne. Le donneur doit être anonyme. Les femmes qui viennent en Europe avaient l’espoir de pouvoir venir avec une sœur ; maintenant, c’est interdit. Et les médecins des cliniques d’Afrique francophone se réfèrent généralement au lois de bioéthique françaises. Ce qui fait qu’une femme ne peut plus donner ses ovocytes à sa sœur. En fait, la clinique va prendre ces ovocytes de sa sœur mais va les donner à une autre femme. Et la patiente recevra finalement des ovocytes venant d’une autre femme qu’elle ne connaît pas. En revanche, les spermatozoïdes du mari iront directement chez sa propre femme.
 

Dans ce dernier cas, pourquoi le couple aurait-il encore besoin de passer par l’AMP ?

 
Parce qu’il arrive parfois que l’infertilité soit due à un trop petit nombre d’ovocytes ou de spermatozoïdes ou à la faible mobilité de ces derniers. Si bien que par voie naturelle, ils ne soient pas en mesure de se rencontrer pour engendrer la fécondation. Dans ce cas, soit on favorise la rencontre, soit on est plus directif et on va prendre le spermatozoïde et l’introduire dans l’ovocyte. Donc, c’est le biologiste qui va faire en sorte qu’ils aient la possibilité de se rencontrer.
 

Les femmes ou les familles qui procréent par l’AMP éprouvent-elles exactement le même bonheur que celles qui ont eu leur bébé par la voie naturelle ?

 
Je n’en ai pas eu beaucoup ; puisque je les ai rencontrées quand elles étaient sur la voie de l’AMP. Mais, j’en ai croisé à la clinique qui avaient déjà un bébé et qui en cherchaient un deuxième. Effectivement, ça résout tout leur problème et elles étaient extrêmement satisfaites et soulagées. Vous savez, la stérilité au sein d’un couple menace celui-ci et met à l’épreuve sa solidité. Et il y a des couples qui explosent de ce fait, et pas seulement en Afrique ; en France aussi et un peu partout dans le monde entier. Donc, ils sont non seulement heureux d’avoir un enfant ; mis, ils sont rassurés par rapport à leur couple qui peut repartir sur d’autres projets.
 

Quelles sont les principales causes de la stérilité ?

 
L’infertilité vient souvent d’un accouchement suivi d’infections qui ne sont pas soignées, des complications d’un avortement clandestin, étant donné que l’avortement est généralement interdit en Afrique, des infections sexuellement transmissibles. Ça peut aussi venir du fait que les femmes consultent et rentrent ensuite dans un parcours de soin long, ce qui fait qu’elles ne sont pas bien ni vite soignées. Elle vient aussi du fait que les hommes ne consultent pas. Pour eux, c’est assez difficile d’aller dans un service d’urologie. Ils vont donc trainer une infection qui peut se transformer en stérilité.

Références

"Procréation médicale et mondialisation: expériences africaines", sous la direction de Doris Bonnet et Véronique Duchesne. L'Harmattan, septembre 2016, 241 pages, 26 euros.