08/06/12

Les Africains s’accordent pour déterminer le prix des ressources naturelles

Woman With Cotton Agriculture Forestry
Crédit image: Flickr/CIFOR

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Avec l’engagement pris le mois dernier par dix pays du continent, l’Afrique a pris les devants pour persuader les Etats de prendre en compte la valeur économique réelle des ressources naturelles dans les comptes nationaux.

Les chefs d’Etat et de gouvernement du Botswana, du Libéria, du Mozambique et de la Namibie, accompagnés de ministres du Gabon, du Ghana, du Kenya, du Rwanda, d’Afrique du Sud et de la Tanzanie, ont signé la ‘Déclaration de Gaborone’ lors du Sommet sur la viabilité en Afrique (24-25 mai), organisé conjointement par le Botswana et l’organisation non gouvernementale Conservation International.

Les pays signataires de la Déclaration s’engagent à intégrer la valeur réelle des forêts, des récifs coralliens, des savanes et d’autres ressources et écosystèmes naturels dans la planification des Etats et des entreprises, et dans leurs politiques d’élaboration des comptes nationaux. Ces pays ont convenu d’établir chaque année un rapport sur les progrès accomplis.

Le but est de présenter d’un point de vue financier les avantages ‘invisibles’ qu’offrent les ressources et écosystèmes naturels, les services de pollinisation par les abeilles, on encore la purification de l’eau par les forêts, permettant ainsi aux décideurs de prendre en compte les coûts et avantages de la conservation ou de la destruction de ces ressources.

La Déclaration reconnaît aussi que le continent n’a pu concrétiser le développement durable au cours des vingt dernières années.

Le Président du Botswana, Seretse Khama Ian Khama, a déclaré lors du sommet qu’ “[il mettait] au défi tous les autres pays, qu’ils soient développés ou en voie de développement, ainsi que les secteurs public et privé, de suivre cet exemple ».
 

Plus valables ‘mortes que vivantes’


Lors du sommet, l’on a appris que la comptabilité des ressources naturelles pouvait aider les pays à prendre en compte la valeur financière réelle d’une ressource dans leur comptabilité nationale, ce qui guiderait les décisions relatives à sa conservation ou à sa destruction.

S’agissant du commerce du bois brut, par exemple, les coûts pour les pays en termes d’érosion du sol, de qualité de l’eau et de perturbation des bassins hydrographiques dus à la déforestation seront également pris en compte.

Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Libéria, estime que tant que ces services écosystémiques ne seront pas répercutés dans les comptes nationaux, les forêts « auront plus de valeur mortes que vivantes ».

Lors de la réunion, Rachel Kyte, vice-présidente de la Banque mondiale pour le développement durable, a cité l’exemple de la Thaïlande où, selon les calculs, un hectare de mangrove assure la protection contre des inondations dont les dégâts éventuels coûteraient 16.000 dollars. Ce chiffre peut permettre de décider s’il vaut la peine de la détruire pour du bois d’une valeur de 850 dollars ou gagner 9.000 dollars en la transformant en ferme d’élevage de crevettes.

Le Partenariat mondial pour la comptabilisation des richesses naturelles et la valorisation des services écosystémiques (Wealth Accounting and Valuation of Ecosystem Services ou WAVES), renforce les capacités des pays comme le Botswana, la Colombie, le Costa Rica, Madagascar ou les Philippines pour leur permettre de mettre en œuvre cette comptabilisation du capital naturel.

WAVES utilise le Système de comptabilité environnementale et économique intégrée des Nations Unies, une méthode internationalement adoptée pour calculer la valeur économique des ressources naturelles « matérielles » comme le bois, et travaille à l’élaboration d’une méthode internationalement acceptable pour la comptabilisation des services écosystémiques comme la pollinisation.
 

Un pas dans la bonne direction


Achim Steiner, Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), pense que la Déclaration reflète une orientation vers le développement vert en Afrique. C’est aussi la preuve de la reconnaissance de l’importance des ressources naturelles pour le développement.

La Namibie, par exemple, utilise déjà la comptabilité du capital naturel dans son Ministère de l’environnement et son Ministère du tourisme, et élabore actuellement des comptes pour l’eau et les mines.

Dans un rapport rendu public le 9 mai dernier par la Banque mondiale et intitulé ‘Une croissance verte et solidaire : vers un développement durable’, cette institution soutient qu’au cours des 250 dernières années, la croissance s’est faite aux dépens de ressources naturelles qui s’épuisent rapidement, nous exposant ainsi « au risque de saper les fondements sur lesquels cette croissance s’est opérée ».

En plus de la comptabilisation du capital naturel, la Banque soutient que d’autres changements d’ordre politique sont nécessaires, tel que l’arrêt de subventions qui favorisent le gaspillage du carburant et d’autres ressources.

Dans un autre rapport, intitulé ‘Au-delà du PIB’, la Banque mondiale affirme que la recherche montre que, dans 43 pays à faible revenu, le capital naturel représente jusqu’à un tiers de l’ensemble des richesses.

« La survie quotidienne de populations entières dépend des forêts, des minerais et de la productivité du sol », souligne ce rapport. A mesure que les pays se développent, des pressions sont exercées sur leurs ressources naturelles, ce qui diminue leur capacité à faire face à la dégradation et à la disparition des écosystèmes, poursuit le rapport.
 

Le capital naturel à Rio+20


La Banque mondiale espère maintenant pouvoir persuader cinquante pays et cinquante entreprises privées de soutenir la comptabilité écologique lors du prochain sommet Rio+20 – la conférence des Nations Unies sur le développement durable qui se tiendra au Brésil du 20 au 22 juin.

Elle a promis de s’appuyer sur la Déclaration de Gaborone pour obtenir de nouveaux engagements lors de ce sommet -dont l’économie verte sera l’une des priorités.

Pavan Sukhdev, directeur du rapport ‘L’économie des écosystèmes et de la biodiversité’ (The Economics of Ecosystems and Biodiversityou TEEB), une initiative du PNUE qui a expérimenté certaines méthodes de comptabilisation du capital naturel, et directeur général du cabinet de consultation Green Initiative of a Smart Tomorrow Advisory (Initiative verte pour un lendemain intelligent), pense que la Déclaration arrive au meilleur moment, avant que le «sommet Rio+20 et la politique déshumanisante n’occupent la scène ».

Pour lui, c’est la preuve que ces dix pays considèrent le capital naturel « comme leur plus important atout de développement » et si le reste des pays du G-77 leur emboîtaient le pas, « l’accent lors du Sommet de Rio pourrait dépendre finalement de ceux qui ont fait très peu pour le développement durable, par exemple les pays développés ».
 

Absence de consensus


Tous les pays en développement et les militants ne s’accordent cependant pas sur cette vision de la comptabilisation des ressources naturelles. Certains défenseurs de l’environnement estiment que le fait d’« attribuer une valeur pécuniaire » à des ressources naturelles dont l’accès est gratuit, comme le bois d’une forêt et le poisson d’un lac, risque, à terme, de permettre à un outsider de se les approprier, ou de pousser le gouvernement, qui en est de facto le gardien, à rendre leur accès payant.

D’autres critiques soutiennent que si l’on attribuait une valeur financière aux ressources naturelles, les pays pauvres pourraient s’en servir comme d’une garantie pour leurs dettes et courir ainsi le risque de les voir confisquées par les créanciers.

Nnimmo Bassey, environnementaliste nigérian et poète, président de l’antenne nigériane de l’ONG Les amis de la Terre International, estime que : « cette Déclaration fait l’impasse sur le fait que l’appât constitué par les recettes générées par le capital naturel n’est qu’un paravent pour continuer à piller les ressources naturelles de l’Afrique ».

« Cette déclaration va servir les intérêts des entreprises à Rio tout en appauvrissant des populations déjà défavorisées, exacerber l’accaparement des terres et déplacer les pauvres de leurs terres.

« Ce que ces pays auraient pu faire d’important, et qu’ils n’ont pas fait, c’est de dresser le bilan de leurs performances sur les Principes de Rio [27 principes du développement énoncés dans la Déclaration de Rio qui a sanctionné le Sommet de la Terre en 1992], vingt ans après le premier sommet de Rio », martèle-t-il.

Lors du sommet au Botswana, Steiner a rejeté ces objectons, estimant que « s’il se trouve, dans votre économie, quelque chose que vous ne valorisez pas, cette chose n’a aucune valeur par essence ».

Lien vers la Déclaration de Gaborone

Lien vers le rapport ‘Une croissance verte et solidaire’ de la Banque mondiale

Lien vers le rapport, ‘Au-delà du PIB’ de la Banque mondiale [11.5MB]