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Linda Nordling conseille aux gouvernements africains d'essayer d'améliorer la qualité, et pas seulement la quantité, de la recherche produite dans leurs pays.

La qualité des décisions des décideurs politiques dépend des éléments pris en compte dans leur formulation. C'est pourquoi lorsque les pays en développement intensifient leurs efforts en matière de développement de la recherche nationale pour soutenir l'élaboration des politiques et promouvoir l'innovation, ils doivent tendre vers une recherche de haute qualité.

Une augmentation uniquement quantitative, par  la formation d'un plus grand nombre de chercheurs ou la distribution de davantage de subventions, n'améliorera pas nécessairement le critère qualitatif de la recherche.

La contribution des réformes de l'enseignement supérieur à l'amélioration de la qualité de la recherche au Pakistan, par exemple, fait l'objet d'un débat houleux à l'heure actuelle (voir Debating Pakistan's higher education overhaul).

Il en est de même de l'Afrique. Les chercheurs de l'Université d'Addis-Abeba en Ethiopie se plaignent que le projet gouvernemental qui prévoit la formation de 5000 docteurs sur une période de dix ans, et le rythme infernal auquel de nouvelles universités sont construites, a un impact négatif sur la qualité.

En oyre, en Afrique du Sud, où les universités sont contraintes d'admettre davantage d'étudiants issus de milieux pauvres, les enseignants se plaignent de la baisse de la qualité.

Quels sont les critères qualitatifs en matière de recherche

Les gouvernements africains qui se fixent des objectifs ambitieux doivent inclure dans  leurs systèmes de financement des mécanismes de promotion et de soutien à une recherche de haute qualité.

Mais ils doivent au préalable pouvoir évaluer la qualité en recherche.

Dans les pays développés, la qualité s'apprécie traditionnellement par la publication d'un article dans une grande revue et le nombre de citations de cet article.

Si l'on se fonde sur ces critères, les performances de la recherche africaine sont mauvaises. La proportion des articles du continent sont cités dans les revues de notoriété internationale a chuté entre 1980 et 2004, passant de 1.4 pour cent à 1,2 pour cent. Mais ces chiffres ne prennent pas en compte une bonne partie de la recherche africaine. Une étude réalisée en 2007 par Robert Tijssen, chercheur à l'université de Leyde, a conclu que plus de la moitié des articles de recherche du continent africain sont publiés dans des revues locales non répertoriées dans les index internationaux.

Plusieurs revues africaines ne sont pas indexées en raison de la mauvaise réputation du continent due à ses lacunes en matière de contrôle de qualité, selon Tauri Imbayarwo, chercheur en scientométrie. « Tout ce qui vient d'Afrique a toujours été regardé avec condescendance », dit-il.

Certains pays sortent du lot

Toutefois, Imbayaro affirme que toutes les revues africaines ne méritent pas un tel traitement. Il est possible que les chercheurs africains ne publient que dans des revues locales en raison des contraintes de temps ou de la nature de leurs sujets d'étude, et non parce que leur travail est trop médiocre pour être publié dans les grandes revues.

Bien que de nombreuses revues africaines paraissent de façon irrégulière, que certaines soient, pour leurs pairs, de  mauvaise qualité et que leur indépendance éditoriale soit insuffisante, il existe des revues qui respectent les bonnes pratiques. Un rapport établi par l'Académie des sciences d'Afrique du Sud en 2006 a conclu que pour la seule Afrique du Sud, plus de 200 revues paraissent régulièrement, disposent des conseils de rédaction fonctionnels et font évaluer les articles proposés à la publication par des pairs, en toute indépendance.

Dans le même temps, pour les besoins de cette chronique, Tijssen a analysé les taux de citation entre 2005 et 2008. Il en conclut que certains pays africains parmi ceux qui investissent le plus dans la science, à savoir l'Egypte, le Nigéria et l'Afrique du Sud, affichent des performances inférieures à la moyenne mondiale.

Il montre également que six pays africains ont enregistré des performances supérieures à la moyenne mondiale en matière de taux de citation au cours de ces quatre années. Il s'agit du Botswana, de la Gambie, du Kenya, du Malawi, du Mozambique et de l'Ouganda. Deux pays seulement ont réussi un tel exploit entre 2001 et 2004.

Les pays cités pour leurs meilleures performances prouvent que la définition traditionnelle d'une recherche de qualité ne sied pas à l'Afrique. Tout d'abord, certains pays africains souffrent d'un préjugé dû au fait qu'ils ne publient pas leurs travaux de recherche en anglais.

Les performances des pays arabes ne sont pas meilleures. Les scores de l'Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie sont tous inférieurs à la moyenne, mais il est incontestable que l'Algérie a une meilleure base de recherche que la Gambie.

Qualité vaut-elle pertinence?

Le second critère de qualité est fondé sur le degré de pertinence de l'étude, soit sa capacité de répondre à un besoin local qu'il soit social ou économique.

Ainsi, bien que les études menées grâce au Grand Collisionneur de Hadrons, l'accélérateur de particules européen au coût astronomique, ont de fortes chances d'être largement citées, il est peu probable qu'elles contribuent à la réduction de la pauvreté à Ouagadougou.

Si lévaluation se fondait sur le critère de pertinence, la recherche africaine aurait de meilleurs résultats. En effet, l'accent mis par les revues locales sur les problèmes locaux peut offrir aux décideurs politiques une source plus riche de ressources et d'études de cas plus pertinents contrairement à l'essentiel de la littérature internationale.

Mais il ne faut pas confondre pertinence et qualité scientifique. Apprécier la qualité en se fondant uniquement sur la base de la valeur potentielle des résultats de l'étude ne garantit pas la solidité scientifique des méthodes utilisées ou la pertinence des résultats.

 Promouvoir la rigueur dans la recherche

Le niveau de rigueur académique est probablement le critère d'appréciation le plus incontestable de la qualité en recherche.

Romain Murenzi, ancien ministre rwandais de la recherche et professeur invité à l'Université du Maryland aux Etats-Unis, reconnaît que la rigueur académique, garantie par l'évaluation par les pairs, est au centre du débat.

Cette définition est plus appropriée que celle qui se fonde sur une probable utilisation des résultats de la recherche. Elle couvre la recherche fondamentale qui développe les connaissances pour le plaisir de la découverte autant que les problèmes locaux.

C'est ce type de recherche de qualité que les gouvernements africains doivent promouvoir, par le soutien aux revues locales et en récompensant le respect des meilleures pratiques dans le domaine de la recherche au sein des universités et des instituts.

Cela ne veut pas dire qu'il faille minimiser une recherche pertinente pour les problèmes locaux, mais il faut éviter de confondre pertinence et qualité.

Bien sûr, la surveillance de la qualité nécessite un travail au préalable. Il existe déjà quelques initiatives susceptibles d'y contribuer comme l'African Science Trackers promue par Imbayarwo, une entreprise basée en Afrique du Sud qui compile un index des revues africaines à la qualité avérée ou les revues africaines en ligne qui offrent l'accès en ligne aux articles publiés dans des centaines de revues évaluées par les pairs.

Il ne fait aucun doute que l'instauration d'un contrôle strict de la qualité en recherche africaine sera coûteuse. Mais son alternative, à savoir que la recherche africaine reste une recherche de seconde classe avec un impact économique et social limité, serait un prix trop élevé à payer.

La journaliste Linda Nordling, spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement travaille au Cap, en Afrique du Sud. Rédactrice en chef de Research Africa, elle collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) et collabore à des journaux comme The Guardian, Nature, etc.