06/05/19

Q&R : des champignons contre les ravageurs

Bernice Bancole
La chercheuse béninoise Bernice Bancole, dans son laboratoire. Crédit image: Bernice Bancole.

Lecture rapide

  • Certaines souches du champignon Beauveria Bassiana vivent dans les tiges du riz et du sorgho
  • Sans nuire à la plante, elles provoquent des épizooties chez les insectes qui s’attaquent à ces cultures
  • Cette méthode de lutte antiparasitaire garantit une forte production, tout en préservant l’environnement

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A la faveur d’une bourse octroyée par l’Organisation des femmes scientifiques du monde en développement (OWSD1), la Béninoise Bernice W. Armelle Bancole a pu réaliser son rêve de poursuivre ses études et de faire carrière dans la science et la recherche, afin de se rendre utile pour son pays et l’Afrique toute entière.
 
Elle a ainsi soutenu dès le début de cette année une thèse de doctorat à l’université du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud. Ses travaux ont porté sur la réduction de l’usage des pesticides dans l’agriculture, à travers le contrôle de souches d’un champignon qui se reproduit dans les tiges de certaines plantes et s’attaquent ensuite aux insectes ravageurs.
 
Interrogée par SciDev.Net, Bernice W. Armelle Bancole, partage ici l’originalité de ses travaux et fait part de leur importance pour la production des céréales sur le continent.


Vous avez soutenu votre thèse de doctorat sur la lutte antiparasitaire. Qu’est-ce qui explique le choix d’un tel sujet de recherche ?

Le souci d’apporter ma contribution à l’amélioration de la production des céréales dans les pays de l’Afrique sub-Saharienne a été la première raison du choix de ce sujet. Mais il y a aussi le désir d’aider à trouver des solutions durables pour la préservation de l’environnement. Dans la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, au Bénin par exemple, les céréales jouent un rôle très important dans l’alimentation des populations. Mais force est de constater que le rendement de certaines de ces céréales est faible parce qu’elles sont sujettes aux affections parasitaires. Dans le souci de lutter contre ces parasites, afin d’améliorer le rendement de ces céréales, la majorité des paysans ont recours à l’utilisation de pesticides. Ce qui, en grande partie, contribue à la dégradation de l’environnement et affecte la santé des populations, en général.

Vous préconisez une méthode biologique qui consiste à utiliser certaines souches d’un champignon appelé Beauveria Bassiana. Quelles sont les propriétés de ce champignon et comment agit-il pour combattre les parasites?

Beauveria Bassiana est utilisé dans le monde entier pour lutter contre les insectes nuisibles aux produits agricoles, vétérinaires et médicaux. Certaines souches de ce champignon ont la capacité de coloniser de nombreuses plantes, non pas en tant que pathogènes, mais en symbiose, donc sans nuire à la plante. Elles sont également capables de provoquer des épizooties parmi les organismes nuisibles. Ces propriétés de Beauveria Bassiana renforcent son potentiel de protection des cultures contre les insectes ; ce qui le rend attrayant dans les programmes de lutte antiparasitaire. Dans le cadre de nos travaux de recherche, au laboratoire par exemple, nous avons remarqué qu’une fois que les foreurs de tige consommaient des tiges de sorgho et de riz infectées par certaines des souches de Beauveria Bassiana, soit ils mouraient après quelque jours, soit leur cycle de développement ralentissait considérablement. Au champ, ces souches de Beauveria Bassiana ont conféré aux plantes (sorgho et riz) une tolérance aux attaques de foreurs de ces deux tiges. Les plants affectés à la phase végétative, réussissent à surmonter ces attaques et à produire à la phase de maturité des panicules à moitié remplies, contrairement aux panicules complètement vides obtenues suite aux attaques de ces foreurs dans un champ non traité. Ce qui représente un début d’amélioration de la productivité de ces céréales.

Si Beauveria Bassiana est déjà utilisé dans le monde entier pour lutter contre les insectes nuisibles aux produits agricoles, vétérinaires et médicaux, à quel niveau se situe alors l’originalité de votre étude et de la solution que vous préconisez ?

L’originalité de notre étude réside d’une part dans le fait que nous avons fait ressortir le caractère symbiotique de certaines souches de Beauveria Bassiana, surtout avec des tiges de sorgho et de riz. D’autre part, nous avons utilisé ces souches pour le contrôle de deux foreurs de tige. Et la méthode d’application que nous proposons aura un coût assez raisonnable.

Quels sont les différents ravageurs que ce champignon est capable de combattre efficacement?

Pour nos travaux de recherche, nous l’avons utilisé pour le contrôle des foreurs de tige du sorgho et du riz tels que Chilo partellus et Sesamia calamistis. Il faut remarquer que ces deux foreurs de tige affectent aussi le maïs. La probabilité donc pour que des souches de ce champignon soient efficaces contre d’autres foreurs de tige n’est pas nulle.

D’après les tests que vous avez effectués, quel est le degré d’efficacité de cette méthode que vous proposez ?

Cette méthode permet un contrôle efficace des attaques de ces foreurs de tige tant que la souche du champignon utilisée peut se développer dans la plante et tant qu’elle est utilisée dans les conditions appropriées.

Quel est l’intérêt de vos travaux pour les pays d’Afrique subsaharienne ?

Face aux défis climatiques et aux enjeux de la protection de l’environnement, la lutte biologique devra être une des premières méthodes de lutte antiparasitaire à laquelle doivent avoir recours les pays de l’Afrique subsaharienne. Cette méthode de lutte est peu coûteuse comparativement à l’utilisation des pesticides et il sera facile de la vulgariser à l’échelle paysanne.

Si votre méthode venait à s’imposer, y aurait-il suffisamment de champignons Beauveria Bassiana dans la nature pour permettre de satisfaire la demande?

Beauveria Bassiana est omniprésent dans sa distribution et est présent dans le sol sous forme de saprophyte. De ce point de vue, je pense que les souches seront toujours disponibles et suffisamment accessibles dans les écosystèmes agricoles des différents pays de l’Afrique subsaharienne.

Quels autres moyens de lutte biologique contre les ravageurs peut-on aisément développer en Afrique subsaharienne?

Les moyens de lutte biologique sont diversement utilisés dans les pays de l’Afrique subsaharienne. Je ne saurais me prononcer sur leurs facilité à être développés et vulgarisés. Le centre de recherche international, Icipe2 fait la promotion, depuis un certain moment, d’un moyen de lutte antiparasitaire dénommé “Push Pull”. Il va falloir qu’on se renseigne un peu plus sur les statistiques pour mieux se prononcer par exemple sur son efficacité et son adaptabilité dans le milieu paysan.

Quels obstacles principaux avez-vous croisés dans la conduite de ces recherches et comment les avez-vous surmontés?

Les obstacles pour moi font partie de tout processus. Dès lors, je ne saurais dire que ces obstacles diffèrent de ceux qu’on pourrait rencontrer normalement au cours d’un travail de recherche scientifique. Une chose est certaine, je n’ai pas eu de souci financier ou matériel, ni de problème d’encadrement. Surtout que j’ai bénéficié du soutien moral de la part de tous ceux qui se sont impliqués dans la réalisation de ce projet tout au long des travaux de recherche. Ces apports représentent pour moi les besoins indispensables pour la réussite de tout projet de recherche scientifique. 

Comment avez-vous réussi à surmonter les pesanteurs familiales, culturelles et sociales qui entravent souvent l’éducation de la jeune fille et de la femme en Afrique ?

A tort ou à raison, je me suis souvent servi le long de mon parcours de deux phrases de mon défunt père pour y arriver : « Le travail est libérateur, source de respect et de considération dans toute communauté » et « Tout diplôme acquis ne vous quittera jamais, contrairement à tout autre chose ». Il faut dire que j’ai eu une chance exceptionnelle avec ma famille qui m’a toujours soutenue et encouragée dans mon choix académique. J’ai grandi avec l’idée que dans une société où la femme est très marginalisée, la seule façon pour que sa voix porte un jour, c’est qu’elle arrive à s’affirmer par un travail bien fait et par son éducation. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire.
Les pressions culturelles et sociales, bien que n’étant parfois pas visibles, sont très présentes et constituent de grands obstacles pour beaucoup de femmes. Mais ce qui, dans mon cas m’a aidée, c’est le fait d’arriver à aimer mes propres ambitions et choix, à beaucoup plus me focaliser sur ce qui me rend heureuse. J’ai très tôt appris que les femmes qui ont marqué leur existence sont celles qui ont réussi à briser les barrières culturelles et sociales pour atteindre leurs objectifs au prix d’énormes sacrifices. De ce point de vue, je me suis forgé une carapace qui ne laisse aucune pression me dérouter de mes ambitions. Il ne s’agit pas de se braquer contre ces pesanteurs culturelles et sociales, mais d’agir de façon à les rendre très négligeables pour la réussite de l’objectif qu’on se fixe.

A présent, quels sont vos projets qui s’inscrivent en droite ligne de ces recherches?

Nous avons comme ambition de travailler à long terme sur la formulation de ces souches de champignon, de faire la vulgarisation et le suivi à l’échelle subsaharienne une fois les moyens réunis. Aussi nous envisageons des collaborations avec des universités, surtout celles du Bénin, pour participer à la formation universitaire, précisément dans le domaine la lutte biologique.

Références

1 Organization for Women in Science for the Developing World
2 International Centre of Insect Physiology and Ecology