20/10/19

Le Cameroun se met à l’agriculture bio

Dschang Main

Lecture rapide

  • Des tricycles collectent les ordures auprès des ménages et les acheminent sur les sites de compostage
  • Elles y sont triées pour ne retenir que la matière biodégradable qui va subir 3 à 4 mois de traitement
  • Des champs de démonstration ont été créés pour montrer aux paysans comment utiliser ce compost

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[DSCHANG, CAMEROUN] C’est à travers la fabrication et la distribution du compost que la commune de Dschang, dans le sud-ouest du Cameroun, s’est engagée dans la promotion et la vulgarisation de l’agriculture biologique auprès des producteurs agricoles de la région.
 
Cette opération s’inscrit dans le cadre du programme de maîtrise de la gestion, du traitement et de la valorisation des déchets solides municipaux (MaGeTV) et se déroule sur les deux plateformes de compostage que sont Ngui et Sinteu.
 
Sur le site de Ngui, se dresse une impressionnantes montagne de déchets qui attire l’attention, avec la forte odeur qu’elle dégage. Pourtant, des hommes chaussés de bottes, vêtus de combinaisons bleues et portant certains des cache-nez, y sont à l’œuvre, fourches à la main. 

“Le compost est différent du fumier ; car, sa fabrication suit un processus scientifique qui permet de tuer tous les pathogènes dans les déchets pour n’obtenir à la fin qu’un produit sain pour produire des aliments de qualité.”

Barthélémy Ndongson Lekane, directeur de l’Agence municipale de gestion des déchets – Municipalité de Dschang, Cameroun

« Ici, nous retirons les objets qui ne sont pas biodégradables, comme les habits, du plastique, les bouteilles, ainsi que tout objet qui ne peut pas servir dans la fabrication du compost », explique Shifu Silas Fansi, chef d’équipe de la plateforme de compostage de Ngui.
 
Au terme de cette décantation, il ne reste que de la matière organique comme les pelures d’aliments et autres matières végétales qui sont ensuite transférées sur des tables spéciales où s’effectue un tri manuel plus pointu.
 
A une dizaine de mètres de l’aire de décantation, Alida Stella Assonfack Njifoué s’active avec agilité sur un tas d’ordures posées sur sa table. Les mains enfouies dans un gant, elle fouille, retourne, écarte, sépare et, de temps en temps, jette des objets dans un vase posé à proximité.
 
« Ici, nous retirons les petits objets qui n’ont pas été enlevés lors de la décantation, comme les mèches, le papier, les tubes de dentifrice ou de pommade, les flacons, les seringues, les rasoirs, les tessons de bouteilles, etc. », décrit la jeune fille.
 

 
Pour le militant écologiste Didier Yimkoua, ces opérations trahissent un problème à la base. « La pré-collecte basée sur le tri est une activité essentielle, car la décharge des déchets solides ménagers ne doit pas recevoir d’autres types de déchets comme les déchets industriels, plastiques, hospitaliers et les déchets d'équipements électriques et électroniques », dit l’intéressé, qui appelle dès lors à une campagne de sensibilisation.
 
Sur le site de Ngui, on peut aussi apercevoir de nombreux tas d’ordures plus homogènes, soigneusement alignés sous des hangars. Ils sont constitués uniquement de déchets biodégradables retenus à l’issue du tri manuel.
 
Loin d’être faite au hasard, la constitution de ces tas d’ordures obéit à une certaine rigueur scientifique.
 
« Nous faisons du compostage à chaud. Et trois éléments sont très importants pour cela. Il s’agit de la matière fermentescible, c’est-à-dire le biodéchet, un catalyseur biologique qui, ici, est l’eau, et l’oxygène. Nous devons veiller à l’équilibre de tous ces éléments », explique Joël Sagne Moumbe, coordonnateur du pôle valorisation du projet MaGeTV.
 

 
Ainsi, selon l’intéressé, chaque tas compte environ 200 brouettées de matières organiques. « Avec cela, nous sommes sûrs d’atteindre environ 70°C de température en phase thermophile, ce qui permet une hygiénisation complète du produit », ajoute Joël Sagne Moumbe.
 
Pour que le compost soit au point, il faut ensuite attendre entre 90 et 120 jours durant lesquels chaque tas fait l’objet de plusieurs retournements effectués selon un calendrier établi.
 
Suivant cette démarche, ce sont environ 1 500 tonnes de déchets qui sont traités chaque année sur le site de Ngui pour une production de 160 tonnes de compost, sur un total de 5.000 tonnes de déchets traités pour 700 tonnes de compost par an pour toute la commune.
 
Ce compost est conditionné dans des sacs de 50 kilogrammes et mis à la disposition des exploitants agricoles au prix de 2.000 FCFA le sac.
 
Des producteurs que la commune encourage, à travers ses parcelles de démonstration et ses champs expérimentaux, à utiliser ce biofertilisant pour pratiquer l’agriculture biologique.
 

La « nourriture du sol »

 

A l'arrivée des déchets, les ouvriers procèdent à la décantation avec des fourches – Crédit Photo : SDN/JC.

 
« Il est question pour nous de montrer aux agriculteurs l’apport du compost que nous appelons « la nourriture du sol », parce qu’il permet de structurer nos sols et d’augmenter ses capacités de rétention de l’eau », précise Joël Sagne Moumbe.
 
Et Barthélémy Ndongson Lekane de renchérir : « Le compost est différent du fumier, car sa fabrication suit un processus scientifique qui permet de tuer tous les pathogènes dans les déchets pour n’obtenir à la fin qu’un produit sain pour produire des aliments de qualité ».
 
À en croire ce dernier qui est le directeur de l’Agence municipale de gestion des déchets (Amged) de la commune de Dschang et chef du projet MaGeTV, l’objectif est d’amener les agriculteurs de la région à sortir de l’agriculture conventionnelle, qui utilise les intrants chimiques pour s’engager dans l’agriculture biologique.
 
Pour cela, la commune encadre des associations de producteurs agricoles regroupant plusieurs milliers de membres. Les uns se ravitaillent en compost auprès de la commune, tandis que les autres produisent leur propre compost sous la supervision de la municipalité.
 

Le tri manuel permet d'émininer les objets non biodégradables qui ont échappé à la décantation – Crédit Photo : SDN/JC.

 
C’est le cas de Robert Tadadjio, responsable d’une association de producteurs spécialisés dans les cultures maraîchères à qui la commune vient d’offrir une compostière.
 
« Plus nous épandons le compost dans nos champs, plus nous réduisons la quantité d’engrais chimique que nous utilisons. Et nous allons totalement cesser d’utiliser l’engrais chimique une fois que notre production de compost pourra couvrir nos besoins », indique l’intéressé.
 
L’association est d’ailleurs en train de sortir de ses cultures de prédilection pour créer une bananeraie dans laquelle on peut d’ores et déjà voir de nombreux rejetons de bananiers engraissés au compost.
 
Le réseau d’agriculteurs utilisant le compost s’étant considérablement étoffé, la commune de Dschang a institué depuis un an un marché mensuel de produits issus de l’agriculture biologique.
 
« Pour nous, il ne suffit pas de produire du compost et de cultiver avec du compost. Mais il faut que la chaîne soit complète pour que celui qui adhère à ce processus arrive à trouver un marché », souligne Barthélémy Ndongson Lekane.
 

On forme ensuite des tas de matières fermentescibles que des ouvriers tournent et retournent pendant 3 à 4 mois – Crédit Photo : SDN/JC.

 
D’ailleurs, cette municipalité qui est la pionnière au Cameroun en matière d’implémentation de l’agriculture biologique au niveau communal, envisage de créer un marché permanent de produits agricoles bio.
 
Pour l’écologiste Didier Yimkoua, « on devrait envisager l’implémentation de cette expérience dans d’autres villes du pays, en tenant compte des spécificités de chaque ville et de ses déchets ».
 
« Douala, par exemple, est une ville côtière et industrielle ; et même s’il s’y pratique une agriculture périurbaine, le compost ne s’y vendrait pas facilement », ajoute-t-il.
 
« Cependant, analyse l’écologiste, on peut actionner les relations d'intercommunalité pour que les quotités putrescibles aillent en compostage à Dschang, pendant que les déchets de récupération viennent à Douala ».
 

Sur des parcelles de démonstration, la commune montre comment utiliser le compost pour produire – Crédit Photo : SDN/JC.

 
Mis en œuvre avec le soutien de plusieurs partenaires parmi lesquels l’Union européenne et Nantes Métropole (France), le programme MaGeTV est parti d’une volonté d’assainir la ville
 
« Cette volonté nous a conduits à la construction d’une décharge municipale. Lors des études d’impact réalisées à cet effet, les populations ont manifesté le désir d’utiliser les déchets comme fertilisants agricoles », relate Barthélémy Ndongson Lekane.
 
Cela va amener la commune à créer en 2009 une plateforme pilote de compostage. « A l’époque, le transport des déchets se faisait à l’aide de pousse-pousse et donc, nous ne traitions pas de grandes quantités », se souvient-il.
 
Mais dès 2014, tout change lorsque l’initiative est éligible à un appel à projets de l’Union européenne ; lui donnant la possibilité de se développer.
 

Les producteurs s'inspirent des parcelles de démonstration pour cultiver. Ici, une bananeraie en création – Crédit Photo : SDN/JC.

 
Le programme acquiert des tricycles qui vont désormais jusque dans les ménages pour collecter les ordures, afin de les acheminer sur les plateformes de compostage, contre une contribution de 500 FCFA par ménage et par mois.
 
Une démarche qu’apprécie le militant écologiste Didier Yimkoua. Pour ce dernier, « les ménages doivent participer au cofinancement des services urbains d'enlèvement des ordures ménagères ; cette taxe s’appelle écotaxe ».
 
Car, dit-il, « la propreté urbaine à travers le nettoyage, le balayage, ou l’enlèvement des ordures ménagères a un coût et nécessite une démarche inclusive et globale ».
 
L’initiative s’est aussi associée à l’université de Dschang, dont les laboratoires permettent de réaliser des tests et des analyses sur le produit final.