30/10/17

Q&R : Un nouveau cap franchi dans la lutte contre le VIH/Sida

Anthony Fauci Art
Crédit image: NIH Image Gallery

Lecture rapide

  • Des chercheurs ont développé un anticorps "3 en 1" efficace contre le VIH chez le singe
  • Cet anticorps baptisé tri-spécifique va prochainement subir des essais sur l’homme
  • En cas de succès, il aiderait à venir à bout des mutations qui font la force du virus

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Dans une étude publiée début octobre dans la revue Science, des chercheurs des Instituts nationaux de la santé (NIH)[1] aux Etats-Unis et du laboratoire Sanofi (France) annoncent avoir développé un anticorps pour lutter contre le VIH/Sida [2].
 
Cet anticorps qui est en fait une combinaison de trois anticorps, a un large spectre et permet de neutraliser le virus à environ 99% chez le singe, au regard des essais que les chercheurs ont effectués.
 
La suite des travaux prévoit des essais qui doivent être réalisés prochainement sur des humains afin de confirmer ces résultats.
 
Les chercheurs estiment que si ces tests se révélaient concluants chez l’homme, on pourrait assister à une révolution dans la prévention et le traitement du VIH/Sida.
 
SciDev.Net s'entretient ici avec Anthony S. Fauci, le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (établissement membre des Instituts Nationaux de Santé [NIH] aux Etats-Unis).
 

Qu'est-ce qui fait la différence entre l'anticorps que vous venez de développer et les anticorps naturels de l’organisme ?

 
Un anticorps individuel naturel se lie à un seul site hautement spécifique sur un agent pathogène. En revanche, l'anticorps trispécifique que nous avons créé se lie à trois sites distincts et spécifiques sur le VIH, d'où l'appellation "anticorps trispécifique".
Il est important de souligner que les sites auxquels cet anticorps trispécifique se lie sont appelés épitopes neutralisants, ce qui signifie que l'anticorps est capable de neutraliser le virus ou de l'empêcher de se propager. Les anticorps qui se lient à ces épitopes neutralisants sont appelés "anticorps neutralisants à large spectre" ou bNAbs [3].
 

Comment l’avez-vous mis au point ?

 
Nous avons prélevé des segments qui se lient au VIH chez trois des plus puissants bNAbs connus et nous les avons transformés en un super-anticorps. Puisque le VIH peut muter pour échapper à l'activité d'un bNAb individuel, certains chercheurs ont prévu d'infuser passivement des combinaisons de bNAbs individuels pour éviter le développement d'une résistance. En développant un seul anticorps qui a 3 spécificités distinctes contre les épitopes neutralisants, il devient plus pratique que d'infuser 3 anticorps séparés ; et cela aide également à éviter l'émergence de souches résistantes du virus.
 

Que se passerait-il si ces trois anticorps sont administrés séparément dans le corps pour lutter contre le VIH ?

 
Si les trois anticorps individuels qui constituent la base de l'anticorps trispécifique avaient été administrés à des singes en même temps, les singes auraient probablement été protégés contre le SHIV (une forme simienne du VIH). L'avantage de combiner les parties clés de ces trois anticorps en une molécule est qu'il est plus simple de fabriquer, d'administrer et d'obtenir l'approbation réglementaire pour un seul anticorps à usage humain que pour trois anticorps séparés.
 

L'anticorps trispécifique agit à trois niveaux différents sur le VIH. A quel niveau du VIH agit chacun des trois anticorps qui le composent ?

 
L'anticorps tri-spécifique ne se lie pas à trois niveaux différents sur le VIH, mais plutôt à trois sites différents, sur la surface ou enveloppe du virus, qui ne changent pas malgré le taux élevé de mutations du VIH et la grande diversité des souches du VIH. La fixation de l’anticorps à l'un de ces sites peut empêcher le virus d'infecter une cellule.
 

Redoutez-vous que les tests qui ont réussi chez le singe s'avèrent infructueux chez l'homme ?

 
Oui. Il est possible que l'anticorps trispécifique ne soit pas efficace chez l'homme, bien qu’il ait protégé des singes contre le VIH dans l'expérience décrite dans notre article. Aucun modèle animal ne reproduit parfaitement les processus biologiques humains. C'est pourquoi nous prévoyons des études préliminaires de cet anticorps chez les humains.
 

Quels obstacles empêchent jusqu'ici les chercheurs d’élaborer un vaccin contre le Sida ?

 
Le corps ne fabrique pas facilement des anticorps capables de neutraliser le VIH pendant une infection naturelle. Certaines cellules immunitaires appelées "cellules B" produisent généralement des anticorps neutralisants contre la plupart des virus après des jours ou des semaines d'infection. Ces anticorps neutralisants permettent à la personne infectée d'éliminer cette souche virale et de jouir d'une immunité à vie. Ce principe est utilisé pour créer la plupart des vaccins contre les virus, dans lesquels le virus lui-même, tué ou affaibli, ou des composants bénins du virus sont utilisés pour induire la production d'anticorps neutralisants sans provoquer une infection.
Comme je l’ai mentionné, les personnes vivant avec le VIH ne produisent pas facilement des anticorps neutralisants contre le VIH, et quand ils le font, les anticorps prennent jusqu'à deux ans ou plus pour se développer. Quand ils apparaissent finalement, ils ne sont pas efficaces pour contrôler le virus chez l'individu. En fait, le virus mute rapidement pour échapper à chaque cycle d'anticorps que le système immunitaire génère en réponse à l'infection naturelle par le VIH. Il a donc été très difficile de mettre au point un vaccin qui génère des anticorps capables de couvrir la grande variété de souches de VIH qui évoluent constamment pour échapper aux anticorps neutralisants.
 

Outre votre étude, où en sont à ce jour les recherches en vue de contourner ces difficultés ?

 
Pour surmonter ces difficultés, les chercheurs dans le domaine du vaccin contre le VIH ont utilisé des méthodes et des technologies hautement sophistiquées qui n'étaient pas nécessaires lors du développement de vaccins contre d'autres maladies. Ces approches ont inclus des analyses rigoureuses de l'évolution étape par étape de certains anticorps anti-VIH neutralisants à large spectre, ainsi que des techniques biologiques structurelles modernes qui déterminent les interactions moléculaires précises entre le VIH et les anticorps neutralisants. Ces activités sont en cours pendant que les scientifiques continuent d’essayer de relever le défi de la création d'un vaccin efficace contre le VIH.
Au même moment, d'autres chercheurs travaillant sur le vaccin anti-VIH ont adopté une approche empirique, avec un succès modeste à ce jour. En combinant deux vaccins expérimentaux contre le VIH – dont aucun n'a été efficace en soi – en un seul régime. Un essai clinique appelé RV144 a réduit le risque de contamination du VIH de 31% chez 18 000 personnes en Thaïlande en 2009. Les chercheurs ont essayé de partir de ce modeste résultat pour développer un régime de vaccin expérimental basé sur le concept RV144 et qui est censé assurer une plus grande protection que le régime RV144. Un essai clinique appelé HVTN 702 a commencé à tester le schéma vaccinal amélioré en novembre 2016 en Afrique du Sud, et les résultats sont attendus fin 2020.

Références

[1] National Institutes of Health
[2] Virus de l’immunodéficience humaine
[3] Broadly neutralizing antibodies