24/04/13

Libre-accès : l’avenir de la presse scientifique en Afrique

People On The Web
Les journalistes et les éditeurs doivent concevoir un nouveau modèle économique durable. Crédit image: Flickr/World Bank Photo Collection

Lecture rapide

  • La presse écrite traditionnelle est en difficulté à cause de la concurrence d’Internet
  • Le défi consiste à élaborer un nouveau modèle économique
  • Les éditeurs peuvent tirer des recettes de la publicité numérique et des applications pour téléphones mobiles au lieu de faire payer les abonnés

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Dans ce deuxième article de notre série consacrée à la promotion du journalisme scientifique en ligne en Afrique, Marc Mcilhone, rédacteur en chef de Brains Network, prône le libre échange de l’information.

La publication des livres, journaux et magazines sur support physique est aussi anachronique que le concept de journalisme sur papier symbolisé par Clark Kent : Superman ne nous livrera plus notre dose quotidienne d’informations, il est plus probable désormais que nous la recevions via Internet, transmise par des «journalistes citoyens» n’ayant reçu aucune formation spécifique.

Le rôle du journaliste est en pleine mutation, tout comme le journalisme lui-même. L’avènement des agrégateurs de contenus en ligne et l’évolution des méthodes de consommation de l’information obligent la presse écrite traditionnelle à lutter pour sa survie.
 

Ainsi, le journalisme traditionnel, y compris le journalisme scientifique, serait-il condamné ? Ou s’agirait-il plutôt d’une évolution inéluctable du traitement et de la diffusion de l’information?

Je pencherais plus volontiers pour la deuxième option. Les journalistes et les éditeurs doivent inventer un nouveau modèle économique durable. S’il fait ses preuves, ce nouveau modèle pourrait avoir des effets profonds et bénéfiques sur les consommateurs de l’information, en particulier l’information scientifique

Le caractère immoral de la propriété privée

En 1840, l’anarchiste français Pierre-Joseph Proudhon avait lancé l’expression « la propriété privée, c’est le vol! ». Si l’on considère les données scientifiques ou l’information scientifique comme de la propriété intellectuelle, leur propriété et leur rétention par leur propriétaire serait assimilable à du vol. Pire encore, un vol perpétré dans les pays en développement où l’accès à l’information peut avoir un impact immense sur des évolutions potentiellement positives.

Nous avons l’obligation morale de partager les données et l’information scientifiques à travers le monde. C’est d’ailleurs un point de vue défendu par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture à travers son programme Access, qui cible particulièrement les pays africains et d’autres pays en développement, où le taux d’accès à l’information est de loin inférieur à celui des pays occidentaux.

Mais trêve de philosophie. Comment un journaliste scientifique honnête peut-il gagner sa vie tout en continuant à rendre un service aussi précieux à la communauté

Intéressons-nous aux stratégies testées par d’autres industries.

Ce n’est que très récemment que les industries de la musique, de l’édition et du cinéma ont commencé à élaborer des modèles économiques durables. Elles se sont rendues compte, à contrecœur, que si elles ne s’adaptaient pas, le piratage et l’échange de fichiers sur internet pourraient tout simplement conduire, à terme, à leur disparition.

Le moyen de contourner ce système de piratage consiste à dématérialiser le produit. Les versions numériques des morceaux de musique sont à présent vendues par des acteurs comme iTunes ou des sites de téléchargement par abonnement comme Napster.

Les nouvelles technologies permettent aux consommateurs d’enregistrer des milliers de titres sur une seule tablette ou un lecteur numérique, toutes ces nouveautés permettant aux diffuseurs de vendre plusieurs fois le même produit au consommateur, sous des formats différents.

Depuis des années, la plupart des titres de presse ont commencé à mettre leur contenu sur Internet et engrangent des revenus grâce à la publicité numérique. Et si un certain nombre de journaux ont instauré des frais d’abonnement en ligne, cela n’est pour autant pas la preuve de l’échec de l’accès libre pour le journalisme scientifique.

Les agrégateurs de contenus scientifique en accès libre peuvent tirer leurs revenus de sources de financement variées, notamment des institutions privées, des universités et d’autres organismes publics, des ONG et autres..

Un secteur interlié

S’agissant par exemple du site d’information et de mise en réseau AfricanBrains, il fait partie du groupe The Brains Network et d’une plus entreprise vaste. Nos publications, dont l’accès est libre sur un certain nombre de sites Internet, génèrent des recettes grâce à la publicité numérique et toutes les activités en ligne augmentent la surface d’exposition et de promotion des sommets que nous organisons et qui réunissent des gouvernements et des entreprises.


Le contenu original produit par notre personnel, des journalistes indépendants ou toute autre personne qui souhaite contribuer, est affiché sur notre site Internet via les médias sociaux. Chaque visite peut rapporter de l’argent au site Internet – dont une partie est ensuite reversée à l’auteur – au moyen d’accords publicitaires, et l’auteur est invité à favoriser l’augmentation du trafic vers son article à travers ses propres réseaux de médias sociaux.

En général, ce mode de fonctionnement génère moins de recettes pour les contributeurs que les méthodes traditionnelles de rémunération. Mais les contributeurs réguliers ont également un accès gratuit à nos conférences, dont le coût de participation s’élève au minimum à 1500 livres Sterling (un peu moins de 2300 dollars US) et favorise la mise en réseau.

En théorie, il n’y a pas de raison que les éditeurs n’imitent pas ce modèle. Mais il est construit sur une garantie d’une présence en ligne. La visibilité est possible grâce à l’agrégation de contenus via des flux RSS, des blogs et des contributeurs.

A titre d’exemple, le Huffington Post, qui a été racheté par AOL pour 315 millions de dollars US en 2011, a démarré très modestement. Grâce aux revenus publicitaires, il a pu commencer à rémunérer ses bloggeurs et lancer le site d’informations locales Patch.com, qui emploie à présent des journalistes à plein temps et verse 50 dollars US par contribution aux journalistes free-lance.

Il faut également noter qu’une agrégation de contenus mal pensée peut avoir pour conséquence une faible rémunération des journalistes et l’effondrement des modèles traditionnels d’édition, mais uniquement si le marché le décide. L’industrie est en mutation. Tout comme le Huffington Post, les journalistes, les agrégateurs et les éditeurs doivent s’adapter.

Un journalisme de qualité, tout comme une crème de qualité, finira par sortir du lot. Il devra être soutenu par de nouveaux modèles d’édition et faire de la place à des techniques comme l’agrégation de contenus.

 

Nouveaux partenariats

Pour générer des revenus, les maisons d’édition doivent aussi s’orienter vers les nouvelles technologies comme les tablettes, les smartphones et les applications, et nouer des partenariats.

Le mois dernier, la société informatique Objectiva Software Solutions a publié une belle application interactive pour iPad de mise en ligne d’ouvrages publiés par le plus grand éditeur chinois de livres médicaux et comprenant de nombreuses applications interactives. Grâce à un partenariat et à une nouvelle technologie, un nouveau média a été créé. Il génère des revenus en vendant cette application à l’utilisateur final, les bénéfices étant partagés entre le développeur du logiciel, l’éditeur et le producteur du contenu, probablement un journaliste scientifique.

Avec les progrès toujours plus impressionnants de la science et de la technologie, le journalisme scientifique doit réussir à s’adapter à la même vitesse.

On n’a malheureusement aucune excuse à l’âge du numérique. Les éditeurs ne sont pas les seuls à maîtriser le destin du journalisme scientifique. Dans ce domaine, les journalistes doivent également être à la page : ils doivent rechercher les moyens d’accroître les opportunités en intégrant le circuit des conférences universitaires, en faisant leur propre publicité ou en publiant à compte d’auteur.

Cette période de transition doit être considérée comme une chance à saisir et non comme un obstacle.


Marc Mcilhone est le rédacteur en chef de The Brains Network à AfricanBrains, basé à Londres, au Royaume-Uni. Vous pouvez lui écrire à l’adresse suivante :
[email protected]