20/01/16

Un Ivoirien conçoit une prothèse améliorée pour malentendants

Prothèse auditive ivoirienne 1
Crédit image: SciDev.Net / AIP

Lecture rapide

  • Les utilisateurs de l’appareil n’ont pas les effets nocifs créés par d’autres outils
  • Cette prothèse ne peut cependant pas être utile en cas de surdité totale
  • La question de l’homologation retarde les travaux de perfectionnement de l’appareil

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L’article 4 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif invite les Etats parties à "entreprendre ou encourager la recherche et le développement, et encourager l’offre et l’utilisation de nouvelles technologies – y compris les technologies de l’information et de la communication, les aides à la mobilité, les appareils et accessoires, et les technologies d’assistance – qui soient adaptées aux personnes handicapées, en privilégiant les technologies d’un coût abordable".
 
L’électronicien ivoirien N’Goran Kouakou a répondu à cette invitation en mettant au point en 2011 la première prothèse auditive ivoirienne, qui permet à ce jour à de nombreux malentendants et sourds d’améliorer leur capacité d’audition.
 
"L’idée m’est venue un jour quand j’ai été surpris, dans un bar, de voir un sourd en train de danser à la cadence de la musique qui jouait. Cela m’a interpellé et je me suis dit qu’il entendait certainement le son de cette musique. C’est là que j’ai décidé de créer un mini mégaphone que j’ai mis à l’oreille de ce sourd… Et ça a marché.", se souvient l’intéressé. 

“Nous avons testé cet appareil sur trois de nos patients et ça a bien marché. C’est très pratique et je crois que ça a apporté un grand soulagement à ces patients. Ces personnes qui étaient retirées ou exclues sont en train d’être progressivement réintégrées dans la société”

Frédérique Kouadio Kouakou
Agent de santé communautaire

Aujourd'hui, cet appareil dont les pièces sont fabriquées en Chine puis assemblées en Côte d’Ivoire, est composé d’un amplificateur de son, contenu dans un boîtier électronique ; le tout fonctionnant grâce à deux batteries de 1,5 volt chacune.
 
Ce boîtier mesure 10 cm de long, 4,5 cm de large et 2 cm d’épaisseur. A cet ensemble sont raccordés deux écouteurs par le biais d’un câble d’environ 60 cm.
 
"Ce boîtier est assez petit pour tenir dans la main ou pour être empoché discrètement. Il capte le son, l’amplifie et le transmet automatiquement aux écouteurs qui sont fixés aux oreilles de l’utilisateur", explique N’Goran Kouakou ; signalant que la prothèse est capable de capter le son sur un rayon de 20 mètres pour l’amplifier jusqu’à plus de 100 décibels.
 
Lors d’une séance d’expérimentation de la prothèse sur deux jeunes sourds à Yamoussoukro, l’on a constaté que chacun d’entre eux arrivait à entendre grâce à l’appareil.
 
Dans un premier temps, les deux sujets sont placés derrière une barrière de sorte qu’ils ne voient pas leur interlocuteur. Celui-ci, positionné quant à lui à une dizaine de mètres, émet des sons. Mais les handicapés ne réagissent pas, preuve qu’ils n’entendent pas.
 
Ensuite, l’un des deux sourds est équipé de la prothèse et le même exercice reprend. Cette fois-ci, ce dernier réagit aux bruits et tente de les répéter ; tandis que l’autre reste indifférent.
 
Enfin, le deuxième sourd reçoit lui aussi un appareil et cette fois, tous les deux réagissent au même moment aux sons émis par leur interlocuteur.
 

Satisfaction

 
"La particularité de cette prothèse est qu’elle est un tout en un. Car, les autres sont fabriqués par degré de surdité ; si bien qu’il y a des appareils différents pour les sourds légers, pour les sourds moyens et pour les sourds sévères. Or, celui-ci englobe tous ces degrés, parce qu’il est réglable selon le degré de surdité", explique N’Goran Kouakou.
 
En effet, il est doté d’un potentiomètre, un bouton de réglage qui permet, non seulement de le mettre en marche, mais aussi d’ajuster le son transmis à l'oreille de l’utilisateur.
 
"Une fois que les sourds arrivent à entendre avec ce dispositif, ils peuvent désormais apprendre à parler grâce à une rééducation", affirme son concepteur.
 
"Cet appareil, contrairement à beaucoup d’autres, filtre tous les sifflements et bruits nuisibles autour de l’utilisateur, permet de corriger l’audition du patient et lui donne son autonomie", soutient-il.
 
"Mais, il faut l’admettre, cet outil ne peut rien faire pour les personnes vivant avec une surdité totale ; c’est juste pour les malentendants et les sourds légers et sévères", tient-il à préciser.
 
Prothèse auditive ivoirienne 3

Pour l’heure, une vingtaine de personnes, dont des élèves et étudiants, utilisent cette prothèse auditive qui n’a pas encore été baptisée d’un nom de marque par son concepteur.
 
Carole, 15 ans, malentendante rencontrée au domicile familial à Toumodi, affirme qu’avec cet instrument à l’oreille, elle arrive désormais à entendre et à dialoguer.
 
"C’est l’appareil qui me permet de communiquer au sein de la famille et de suivre les informations à la télévision", témoigne-t-elle.
 
Norbert Kouadio, son père, est plutôt soulagé : "ma fille a eu plusieurs rendez-vous dans les hôpitaux, a subi de nombreux soins et porté plusieurs autres prothèses, mais n’a jamais eu autant de satisfaction".
 
"Quand j’ai entendu parler de l’existence de cette prothèse, j’ai effectué le déplacement d’Abidjan à Toumodi pour l’acquérir. Après un premier essai sur mon fils de quatre ans qui était jusque-là sourd à tout bruit, il a commencé à entendre et à réagir aux bruits", témoigne pour sa part Nina N’Gossan, une mère de famille dont le fils utilise la prothèse depuis trois mois.
 
"J’espère que ça va corriger l’audition de mon fils et que ça lui permettra de s’exprimer après une période de rééducation", implore-t-elle.
 
Quant à Frédérique Kouadio Kouakou, agent de santé communautaire et président de l’ONG Conseil et action communautaire et humanitaire (CACH), spécialisée dans l’assistance médicale aux personnes vulnérables dans le département de Guitry (sud-ouest), il estime que la prothèse de N’Goran Kouakou va "beaucoup aider".
 
"Nous l’avons testée sur trois de nos patients et ça a bien marché. C’est très pratique et je crois que ça a apporté un grand soulagement à ces patients. Ces personnes qui étaient retirées ou exclues sont en train d’être progressivement réintégrées dans la société ; avec la rééducation qui leur permet de parler. C’est vraiment ça notre satisfaction", dit-il.
 

Droits de l’homme

 
En revanche, Society without barrier (Société sans barrière, NDLR), une ONG internationale consacrée à la défense des droits des sourds, se montre beaucoup plus réservée.
 
Sanogo Yêdê Adama, directeur de la représentation ivoirienne de cette structure relève que ce qui intéresse les handicapés auditifs aujourd’hui, "ce n’est pas de refaire leurs conditions ; car un sourd est un sourd".
 
"Le problème de l’insertion des sourds n’est pas une affaire d’appareillage mais une question de droits de l’homme ; il faut d’abord qu’on puisse leur permettre de jouir de leurs droits à l’insertion, tels qu’ils sont. Et maintenant, s’ils pensent que l’appareil peut les aider à améliorer leur audition, tant mieux. Là, ça devient juste comme une aide et non une condition à leur insertion", renchérit Sanogo Yêdê Adama.
 
"Sinon, il y a même des sourds, comme moi, déclarés non appareillables par la médecine. Eux, ils font comment si on doit conditionner leur droit à l’éducation et à l’insertion à l’appareillage ?" Interroge-t-il, rappelant qu’il est devenu sourd au CM2 et a poursuivi ses études dans cette condition, sans aucun appareil…
 
Abondant à peu près dans le même sens, Esther Oba-Konan, médecin radiologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody (Abidjan) et responsable du département santé de Society without barrier-Côte d’Ivoire, relève que le degré de surdité n’étant pas le même d’un sourd à un autre, "cet appareil ne peut pas s’adapter à toutes les personnes concernées, même s’il est réglable".

Prothèse auditive ivoirienne 2
 
"Je ne pense pas qu’un même appareil soit capable de s’adapter à tous les niveaux de surdité. C’est comme un médicament qui peut aller avec un patient et pas avec un autre", dit-elle. Ajoutant qu’il peut même arriver que les deux oreilles d’une même personne n’aient pas le même degré de surdité.
 
Et elle conclut : "la surdité, c’est un état. Un sourd, il l’est à vie ; donc quelle que soit la performance de l’appareil, il ne pourra pas lui permettre d’entendre parfaitement comme les autres. C’est impossible".
 
Par ailleurs, l’ONG Society without barrier-Côte d’Ivoire, dont aucun membre n’a encore testé la prothèse de N’Goran Kouakou, affirme redouter d’éventuels "effets nocifs" que ce produit pourrait causer aux patients, comme c'est le cas avec d’autres appareils déjà présents sur le marché.
 
"Le plus souvent, les personnes sourdes se plaignent de ce type d’appareil à cause de ses effets indésirables. Etant  donné que c’est un amplificateur de son, ça ramasse tous les bruits qui sont dans votre environnement. Et cela donne des maux de tête très sévères", croit savoir Sanogo Yêdê Adama.
 
"Le moindre bruit, comme une voiture qui klaxonne, c’est comme si on prenait une pointe pour vous transpercer la tête. Il faut toujours prendre des médicaments pour calmer les maux de tête. Ça a créé beaucoup de problèmes de santé chez les sourds. Ça fait souffrir ", insiste-t-il. Affirmant que "les concepteurs de la nouvelle prothèse doivent tenir compte de tous ces aspects du problème". "Car il y a souvent plus d’effets secondaires nocifs, que d’avantages", dit-il.
 

Amélioration du produit

 
Mais sur cette question Frédérique Kouadio Kouakou de l’ONG CACH se veut optimiste quant au cas spécifique de la prothèse made in Côte d’Ivoire : "jusqu’à présent, aucun de mes patients utilisant cet appareil ne s’est plaint de maux de tête ou d’une douleur quelconque causée par l’appareil", soutient-il. 
 
Même son de cloche de la part de Djibril Dicko dont le frère cadet utilise cette prothèse depuis un an maintenant. "J’avoue que nous avions déjà essayé beaucoup de prothèses, mais elles provoquaient toutes des maux de tête dus aux sifflements. Mais avec celle-ci, ça va mieux jusqu’à présent", dit-il.
 
Il relève toutefois que son cadet éprouve des difficultés à communiquer au téléphone en gardant sur lui la prothèse. Le rapprochement entre les deux objets occasionnant " des sifflements très agressifs".
 
Comme l’on pouvait s’y attendre, ces critiques et observations qui viennent des utilisateurs de la prothèse guident son concepteur qui travaille à l’amélioration du produit.
 
Par exemple, N’Goran Kouakou dit déjà réfléchir à doter sa machine d’un système Bluetooth afin de supprimer le câble qui relie le boîtier aux écouteurs parce qu’il stigmatise aujourd’hui le malentendant que l'on identifie plus facilement dans la société.
 
Et pendant que des utilisateurs du produit l’invitent à trouver le moyen d’intégrer un téléphone à l’appareil pour permettre à son utilisateur de téléphoner sans sifflements, il souhaite passer à une phase industrielle de la fabrication de la prothèse.
 
"Aujourd’hui, j’achète l’habillage et nous fabriquons les prothèses de manière manuelle ; notre objectif, c’est d’avoir notre propre moule pour réduire la forme de notre prothèse, miniaturiser les circuits électroniques et l’installer discrètement dans l’embout auriculaire ", projette le technicien.
 
"Nous avons juste besoin que nos autorités, nos chercheurs et médecins nous fassent confiance et nous accompagnent matériellement et financièrement pour les uns, et techniquement pour les autres", dit-il.
 

“Cette prothèse est une chance pour aider les enfants malentendants à aller à l’école et à profiter de l’éducation comme tous les autres enfants”

N’Goran Kouakou
Concepteur 

Pour cela, une homologation est nécessaire. Car, comme l’indique Victorien Koné Krouwéle, le directeur de la Promotion des personnes handicapées au ministère de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Formation professionnelle, "sans homologation, ni les médecins, ni l’Etat ne pourront travailler avec l’inventeur".
 
"Le processus d’homologation consiste à bien tester le produit sous tous ses aspects, c’est-à-dire sa performance, ses capacités de nuisances, etc. Et si les résultats sont concluants, l’Etat pourra alors contribuer à sa vulgarisation, en fonction de ses moyens", précise-t-il.
 
Tous les espoirs sont d’ailleurs permis ; car, non seulement N’Goran Kouakou a déjà obtenu un brevet d’invention auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), mais, aussi, il bénéficie d’un capital sympathie auprès du ministère ivoirien de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Formation professionnelle qui pense que cette invention est la bienvenue dans la mesure où elle peut aider les sourds du pays à être beaucoup plus autonomes.
 
En outre, une telle homologation pourrait entraîner une subvention de l’Etat pour faire baisser les prix de cette prothèse qui s’élève actuellement à 150 000 FCFA. Un tarif qui, bien que largement en deçà des prix des prothèses importées, dont le coût moyen de l’unité avoisine 600 000 francs (pour une oreille), semble toujours "trop élevé", pour des handicapés qui font partie des personnes les plus pauvres de la société.
 
Bien plus, en Côte d’Ivoire où l’école obligatoire pour tous les enfants de 6 à 16 ans a été instaurée depuis l’an dernier, N’Goran Kouakou pense dès lors que son invention constitue "une chance pour aider les enfants malentendants à aller à l’école et à profiter de l’éducation comme tous les autres enfants".
 
 
Cet article a été produit en collaboration avec l’Agence ivoirienne de presse (AIP), grâce à l’appui du Wellcome Trust.