09/09/15

Les entreprises étrangères n’emploient pas assez d’Africains

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Crédit image: Heldur Netocny / Panos

Lecture rapide

  • Les firmes étrangères emploient moins de travailleurs qualifiés que les entreprises locales
  • Les Etats doivent en tenir compte et attirer des industries qui contribuent le plus
  • Les multinationales devraient promouvoir le transfert des technologies

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Une étude récente montre que les multinationales qui s’installent en Afrique subsaharienne recrutent moins de travailleurs locaux qualifiés que ne le font les entreprises nationales.
 
D’après l’un des auteurs de l’étude, l’économiste Francesco Prota de l’université Aldo Moro de Bari en Italie, ce constat vient battre en brèche l’idée reçue selon laquelle les multinationales transfèrent compétences professionnelles et connaissances techniques vers leurs pays d’accueil.
 
Les gouvernements d’Afrique subsaharienne devraient tirer des enseignements de cette réalité pour leurs efforts visant à attirer des investisseurs étrangers dans l’espoir de créer de "meilleurs" emplois pour leurs citoyens, ajoute-t-il.

Publiée le mois dernier dans Journal of International Development, l’étude analyse des données collectées dans 19 pays africains par l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) dans le cadre de son Enquête 2010 sur les investisseurs étrangers en Afrique.
 
Francesco Prota estime que l’analyse réalisée par son équipe est plus rigoureuse que les autres articles publiés sur ce sujet, du fait qu’elle s’appuie sur des données collectées à l’échelle des entreprises, et non au niveau national.

“Les économies africaines devraient chercher à renforcer l’industrie manufacturière, dans le but d’assurer une transition vers des industries de haute technologie et économiquement plus avancées.”

Jostein Løhr Hauge, doctorant en économie du développement, à l’université de Cambridge, Royaume-Uni.

Les auteurs concluent qu’en Afrique subsaharienne, les multinationales sont moins enclines à recruter des travailleurs qualifiés que les entreprises locales, et ce dans de nombreux secteurs de l’économie, notamment la construction, les industries extractives, les industries lourdes, et les industries légères, comme le textile ou l’industrie chimique.
 
Jostein Løhr Hauge, doctorant en économie du développement à l’université de Cambridge au Royaume-Uni, tire les mêmes conclusions de sa propre étude, portant sur un petit échantillon d’entreprises éthiopiennes du textile et de la chaussure.
 
"Les entreprises étrangères qui s’installent en Afrique subsaharienne utilisent les technologies modernes de manière plus productive, mais elles préfèrent y utiliser en grande partie la main-d’œuvre non qualifiée. C’est l’une des raisons pour lesquelles, elles s’installent en Afrique – parce que cette main-d’œuvre y est bon marché", explique-t-il à SciDev.Net.
 
Il affirme néanmoins avoir vu des exemples d’entreprises turques ou chinoises proposant des programmes de formation à l’intention des travailleurs locaux.
 
L’étude de Francesco Prota établit que les entreprises étrangères proposent des salaires inférieurs à ceux versés par les entreprises locales.
 
Les entreprises chinoises en particulier offrent à leur personnel qualifié des salaires inférieurs de 23,7% à ceux proposés par les entreprises locales, et d’environ 50% inférieurs à ceux versés par les entreprises européennes et américaines.
 
"Les investisseurs indiens et ceux originaires d’autres pays d’Afrique subsaharienne rémunèrent mieux leur personnel qualifié, et leur personnel non qualifié moins bien [que les entreprises locales]", constatent les auteurs de l’étude.
 
"D’aucuns estiment que les entreprises étrangères sont technologiquement avancées et recrutent de la main-d’œuvre, ce qui est une bonne chose" pour les pays d’accueil, explique Francesco Prota.
 
"D’autres pensent au contraire que ces entreprises exploitent les ressources locales et ne reversent rien aux pays en développement. Ce sont des positions idéologiques. En analysant les données, on constate que la réalité est plus complexe."
 
Tous les emplois créés par les multinationales ne sont pas égaux ; c’est pourquoi l’étude recommande aux gouvernements des pays en développement d’axer leurs efforts d’attraction des investissements sur certains secteurs en particulier, et depuis les pays plus susceptibles de générer des emplois mieux rémunérés.
 
Ainsi, au lieu d’attirer les entreprises des secteurs extractif, agricole ou des services, Jostein Løhr Hauge suggère que les économies africaines devraient chercher à renforcer l’industrie manufacturière, dans le but d’assurer une transition vers des industries de haute technologie et économiquement plus avancées.
 
Pour ce faire, les décideurs se doivent de connaître la structure de leurs économies, conseille Francesco Prota.
 
Pour lui, les gouvernements doivent attirer des entreprises plus développées que celles déjà installées dans le pays, mais sans pour autant que ces firmes soient technologiquement trop avancées ; question de tisser de solides liens avec les entreprises et universités locales.
 
Jostein Løhr Hauge cite l’exemple de l’Éthiopie, où des instituts de formation et de recherche adaptés aux besoins des entreprises ont été créés, à l’instar de l’Institut de développement de l’industrie du cuir dont la mission est de soutenir le développement de l’industrie de la chaussure tout en fournissant des débouchés aux nombreux produits éthiopiens de l’élevage.
 
Les gouvernements peuvent par ailleurs demander aux investisseurs étrangers de créer des joint-ventures avec les entreprises locales pour assurer l’innovation dans le pays hôte et permettre le transfert des technologies, conseille-t-il.

Cet article est une adaptation de l’article original paru en anglais dans l’édition mondiale de SciDev.Net.

Références

Journal of International Development, doi: 10.1002/jid.3044