14/09/12

Une science responsable, composante essentielle du développement

Les techniques de biotechnologie pour améliorer les cultures peuvent porter atteinte au droit des petits agriculteurs de conserver et d'échanger les semences Crédit image: Flickr/Gates Foundation

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D’après la spécialiste du développement rural, Bhavani R.V., les progrès en matière de S&T doivent protéger la santé, l’équité et les droits des populations vulnérables.

La science et technologie (S&T) sont essentielles pour le progrès économique et social. Pourtant, pour détourner une phrase d’Einstein, si l’impulsion technologique ne comporte pas de volet éthique, les produits de nos cerveaux seront une malédiction plutôt qu’une bénédiction ; la question éthique étant nécessaire pour que toutes les couches de la population de tous les pays, de deux sexes et toutes classes puissent jouir des avantages du progrès. [1]

D’innombrables exemples viennent illustrer ces propos – comparons ainsi des découvertes comme la pénicilline qui aident à sauver des millions de vies, d’une part, à l’utilisation potentielle d’agents biologiques dans la guerre pour détruire des vies, d’autre part.

De même, bien que les technologies de l’information et de la communication (TIC) aient ouvert la voie à une révolution de l’information, elles peuvent être utilisées de manière à porter atteinte à la vie des gens de façon négative, avec par exemple l’accès aux informations d’ordre privé ou les crimes cybernétiques.

C’est dans ce type de situation qu’il nous faut suivre une approche de la responsabilité scientifique fondée sur les droits de l’homme.

La science responsable

Aujourd’hui, parmi les défis majeurs auxquels sont confrontés les pays en développement en Afrique, Asie et Amérique latine, on recense la nécessité d’assurer l’accès à des soins de santé et une alimentation abordables, et d’assurer une utilisation équilibrée et durable des ressources naturelles.

Dans de nombreux pays, une population importante dépend de l’agriculture. Le défi à l’heure actuelle consiste à produire plus à partir de ressources en terres arables et en eau par tête qui eux diminuent, face à des comme les conditions météorologiques extrêmes et les ravageurs de cultures.

La biotechnologie offre la possibilité de convertir les ressources biologiques en richesse économique, les développements dans le domaine de la modification génétique promettant des rendements élevés et des cultures résistantes à la sécheresse ou aux parasites. Mais cela doit se faire d’une manière qui protège l’environnement et la santé humaine et animale.

Les efforts consentis pour exploiter la biotechnologie doivent également prendre en compte les droits des populations autochtones et des agriculteurs aux ressources modestes, ainsi que la conservation de la biodiversité. La technologie peut permettre aux grandes entreprises semencières de porter atteinte au droit des agriculteurs de conserver, produire et échanger des semences, les poussant ainsi vers un cercle vicieux de coûts élevés et de dépendance.

Les manifestations de l’an dernier contre la commercialisation de l’aubergine Bt en Inde ont mis en évidence ces questions. La même préoccupation a conduit à un appel d’un comité parlementaire à un moratoire sur les essais en champ des cultures génétiquement modifiées jusqu’à la mise en place d’un mécanisme réglementaire solide et efficace.

La science, moteur des ‘fractures’

Le rythme rapide des progrès technologiques a accentué le fossé entre ceux qui peuvent profiter de leurs avantages et ceux qui sont dans l’incapacité d’y accéder.

Le potentiel de la téléphonie mobile pour répondre aux problèmes de la pauvreté est immense — la technologie pourrait fournir par exemple aux petits agriculteurs des informations sur les prix des denrées, ou doter les régions éloignées d’infrastructures de télémédecine. Mais une fracture numérique existe, et les avantages des TIC ne sont pas encore à la portée de nombreuses régions du monde.

Par ailleurs, un fossé entre les sexes se fait ressentir, avec le faible nombre de femmes travaillant dans les sciences et l’inégalité d’accès aux fruits de la S&T. Dans des pays comme l’Inde, cela se traduit par un déséquilibre entre le nombre d’hommes et les femmes (avec plus de naissance de garçons que de filles), encouragé par des tests illégaux pour déterminer le sexe d’un fœtus, et le foeticide féminin.

La tendance actuelle de mondialisation ne fait qu’aggraver les écarts socio-économiques, le développement tendant à être impulsé par les forces du marché mondial plutôt que par la recherche financée à l’aide de fonds publics et correspondant aux priorités nationales.

Protéger la santé

Cette application de la science selon les impératifs du marché s’illustre dans la réponse aux maladies tropicales négligées, qui obtiennent moins de financement pour la recherche que les problèmes de santé affectant les pays développés.

Les droits de propriété intellectuelle, les brevets et les prix déterminent l’accès aux soins de santé abordables, et présentent un défi aux efforts cherchant à réorienter les ressources mondiales vers des initiatives R&D sachant répondre aux priorités sanitaires des pays en développement et rendre les médicaments et les vaccins plus accessibles pour leurs populations.

Les essais cliniques présentent un cas similaire. Alors que l’éthique en matière de recherche devrait être une exigence de base, elle peut être négligée par les compagnies pharmaceutiques et d’autres aux intérêts puissants.

Dans une affaire récente, à la suite de décès de jeunes filles participant à un essai clinique du vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) en Inde, des enquêtes ont mis en évidence de graves violations éthiques. Ainsi, les participants n’avaient pas été mises au courant des conséquences du vaccin et aucun soutien de suivi n’avait été mis en place.

Face à la faiblesse des systèmes de réglementation, la faible valeur accordée à la vie dans les pays pauvres conduit souvent à une absence de respect des exigences procédurales. Elle alimente également un commerce illégal d’organes qui répond à la demande de transplants.

Pourtant c’est précisément dans de tels cas que la responsabilité éthique de la communauté scientifique quant au respect des droits de l’homme est cruciale.

Les citoyens avant les entreprises

La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’ONU en 1948, a été suivie de plusieurs déclarations et engagements qui appellent à l’utilisation de la S&T pour le bien de l’humanité.

Une approche de la responsabilité scientifique fondée sur les droits de l’homme s’inscrit au cœur de ces engagements. Les respecter est synonyme de renforcement et de priorisation de la recherche publique et, de soutien des droits des citoyens contre les intérêts des entreprises et des groupes de pression dans les pays développés. Elle implique une prise de responsabilités par les pays, les organismes et les individus.

Sans un engagement sérieux par les acteurs dans le monde de la S&T à accorder aux droits de l’homme et à l’éthique une importance primordiale, les inégalités ne feront que s’accentuer et les objectifs de développement resteront un objectif illusoire.

Bhavani R.V. est une directrice de la Fondation pour la recherche M.S. Swaminathan, en Inde, et coordonne un projet sur l’impact de l’agriculture sur la nutrition en Asie du Sud (Leveraging Agriculture for Nutrition in South Asia, ou LANSA). Bhavani peut être contactée à l’adresse suivante : [email protected].

Cet article fait partie d’unDossier spécial intitulé Associer droits de l’homme, science et développement.