20/11/13

Améliorer le stockage des grains avant d’accroître la production

Bangladeshi grain storage_CIMMYT
Crédit image: CIMMYT

Lecture rapide

  • Les agriculteurs produisent 2,6 milliards de tonnes de grains mais ils en perdent en moyenne 20 pour cent en entrepôt
  • Réduire les pertes à 1% permettrait de nourrir 1,35 milliard de personnes
  • Les technologies de conservation existent, mais nécessitent des personnes compétentes - et un changement de priorité politique.

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Selon Digvir, un meilleur stockage des grains permettrait d’économiser des fonds et de nourrir plus d’un milliard de personnes. 

Chaque année, plus de 2,6 milliards de tonnes de grains – céréales, oléagineux et légumineux – sont cultivées avant d’être entreposées tout au long de la chaine, des producteurs jusqu’aux consommateurs.

Pour la plupart, les pays ne font pas de rapport systématique sur les quantités de grains qui deviennent impropres à la consommation humaine pendant l’entreposage, mais si l’on en croit certains rapports, invérifiables, ces volumes sont anormalement élevés.

En cas de mauvaise gestion du système d’entreposage, notamment lorsque les grains sont conservés à même le sol et sans protection ou quand on les stocke sans les avoir séchés, les pertes peuvent régulièrement atteindre 30%. A l’inverse, dans les systèmes bien gérés , elles se limitent à moins de 1%.

Supposons des pertes mondiales de 20%. Pas moins de  494 millions de tonnes pourraient être sauvées si l’on réduisait ces pertes à 1%, ce qui permettrait de subvenir aux besoins d’environ 1,35 milliard de personnes (en se basant sur la consommation moyenne en Chine, dans l’UE et en Inde, qui est évaluée à un kilogramme de grains par personne et par jour).

La quantité sauvée permettrait d’épargner de toute culture près de 247 millions d’hectares de terres (si l’on estime un rendement moyen à deux tonnes par hectare). Imaginez un peu l’impact en termes de reboisement de ces terres, d’économie d’eau, de carburant et d’engrais utilisés pour produire les graines perdues…

La réduction des pertes à 1% est possible — si l’on utilise les connaissances actuelles sur le stockage des grains, accompagnées d’une recherche-développement approfondie.
 

Changer d’objectif


Les décideurs mondiaux, les politiciens et les agronomes accordent une grande importance à la recherche de moyens pour accroître la production de nourriture destinée à une population mondiale croissante.

D’importantes ressources ont ainsi été investies dans le développement de cultivars à haut rendement et dans la transformation des terres marginales en terres arables.

La conservation des récoltes n’a pas bénéficié de la même attention… Si les pertes ne sont pas maîtrisées, il faudra produire 19 % de grains supplémentaires pour fournir à la population la quantité de nourriture actuellement disponible (en tenant compte de pertes acceptables de 1%avec).

Il est généralement moins onéreux de conserver les grains récoltés que de produire suffisamment pour compenser les pertes, même pour les petits exploitants, et ce en dépit du coûts plus élevé des plus petites unités de stockage.

Si les décideurs et les politiciens ne se soucient pas de la réduction des pertes, c’est probablement parce que les grains ne sont pas traités comme un bien national et que le gaspillage n’est pas considéré comme une perte pour la nation.

La plupart des grains perdus sont la propriété d’individus, certes, mais cette perte a des conséquences à l’échelle nationale.

En définitive, c’est le pays qui importe les grains pour nourrir ses citoyens et qui perd ainsi la capacité d’exporter l’excédent de grains.

Par conséquent, les pays devraient se doter des infrastructures adéquates pour le stockage, notamment de systèmes appropriés de manutention et de conservation, de ventilation, de séchage, et de surveillance permanente de la qualité des grains.

L’autre explication de la négligence avec laquelle sont traitées les pertes alimentaires pourrait être la suivante : la hausse de la production est un motif de satisfaction.

Réduire les pertes n’augmente pas la production mais améliore simplement la disponibilité des grains -une réussite probablement moins glorieuse.


Comprendre les écosystèmes de stockage

En effet, les grains stockés en vrac constituent un écosystème dans lequel le produit peut se détériorer du fait de variables abiotiques (physiques) comme  la température, la teneur en humidité, et les gaz présents entre les grains.

Il peut aussi pâtir de variables biotiques (vivantes) tels que les insectes, les acariens, les champignons et la graine elle-même.


Si l’on comprend et que l’on gère convenablement ces écosystèmes, les grains peuvent devenir des denrées non périssables et stables, que l’on peut conserver pendant longtemps.

Si l’on réduit leur teneur en humidité à des niveaux sans danger (12 à 13 % du poids humide), les grains peuvent ainsi être conservés en toute sécurité pendant trois ans, grâce à des techniques de séchage appropriées et à la conservation des graines au frais (en deçà de 15°C) par le recours à  la ventilation ou à la ventilation réfrigérée.

Les grains stockés subissent parfois l’attaque de vertébrés comme les rongeurs, les oiseaux et d’autres animaux sauvages.

Mais les systèmes de stockage bien conçus, comme les silos en acier ou en béton et les entrepôts sur socles surmontés de demi-cylindres inversés, peuvent facilement les tenir à l’écart.

Il faut mieux former ceux qui les manipulent aux véritables écosystèmes que représentent les grains stockés en vrac.

Les agriculteurs, par exemple, doivent connaitre de petites astuces simples à utiliser, comme le nettoyage des sites de stockage des anciennes graines et des débris, ce qui réduit la contamination croisée des graines nouvellement entreposées.
 

Un travail d’équipe


Les ingénieurs, les biologistes, les chimistes et les économistes doivent collaborer au sein d’équipes pluridisciplinaires pour résoudre les problèmes liés à l’entreposage des grains : les ingénieurs sont indispensables pour concevoir des systèmes de gestion des facteurs abiotiques afin de réduire la présence d’organismes vivants (comme les insectes, les mites et la moisissure).

Quant aux chimistes et aux ingénieurs en électricité, ils doivent contribuer à la surveillance de la qualité par la conception de détecteurs appropriés.

Les jeunes cadres qui travailleront dans le domaine de la sécurité alimentaire doivent comprendre les problèmes fondamentaux que pose le stockage des grains.

Et à travers le monde, il faut exhorter les étudiants à concevoir des technologies appropriées, notamment   des systèmes de séchage solaire et des structures d’entreposage à base de matériaux locaux.

Les pertes annuelles de graines entraînent d’énormes pertes financières pour les agriculteurs et pour le PIB des Etats.

En sauvant l’équivalent de ce qui est perdu chaque année, l’agriculture mondiale pourrait économiser 148,2 milliards de dollars américains (sur la base de 494 millions de tonnes à 300 dollars la tonne).

Un stockage approprié peut permettre de mettre rapidement de côté des fonds que l’on peut investir dans la conception des systèmes d’entreposage et la formation.

 Les décideurs, les politiciens et les scientifiques doivent être animés de la volonté d’opérer des changements, à savoir un engagement à faire de la préservation des grains une priorité au même titre que la hausse de la production.

Peut-on se réjouir véritablement d’une hausse de la production de céréales si elle n’arrive pas effectivement jusqu’à la table d’un monde affamé ?

Digvir S. Jayas est un spécialiste du stockage des graines. Il est vice- président chargé de la recherche et de la coopération internationale au Département de génie des biosystèmes de l’Université du Manitoba à Winnipeg, au Canada, où il est, par ailleurs, professeur émérite. Vous pouvez lui écrire à l’adresse suivante : [email protected]

Cet article est une composante du dossier de SciDev.Net sur la sécurité alimentaire.