11/06/10

Mettre fin à la domination médicale exercée sur le monde en développement

L'industrie mondiale du spa s'inspire largement des traditions ayurvédiques de guérison Crédit image: Taj Hotels Resorts and Palaces

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Pour Bhushan Patwardhan, Gerard Bodeker et Darshan Shankar , les cultures médicales traditionnelles ont besoin d’un véritable partenariat avec la médecine moderne.

En dépit d’énormes progrès enregistrés dans la médecine moderne, la plupart des habitants du monde en développement continuent à se fier aux connaissances traditionnelles — souvent efficaces — dans le traitement des maladies.

L’OMS est consciente de la nécessite d’offrir des soins de santé à des coûts abordables – ce qu’autorisent ces pratiques traditionnelles – ,mais à présent les décideurs nationaux et internationaux appellent à des partenariats entre les médecines moderne et traditionnelle pour aider à combler le déficit en matière de santé publique mondiale.

Ces deux approches sont néanmoins fondamentalement différentes: alors que les connaissances traditionnelles ont tendance à être facilement accessibles (bien qu’elles soient culturellement spécifiques), les connaissances modernes, quant à elles, sont farouchement protégées par un système de brevet rigide, et dominent la pensée dans le monde développé.

En dépit de ces différences, comment peut-on ou devrait-on forger des partenariats?

Incitation à protéger les connaissances

Trop souvent, par le passé, ces interactions ont été caractérisées par l’exploitation. Les scientifiques biomédicaux occidentaux ne considèrent souvent les connaissances traditionnelles que comme une simple ressource sous-exploitée en attente de prospection et d’amélioration.

Cette ‘biopiraterie’ a conduit de nombreux pays en développement à se concentrer sur les moyens de protéger, plutôt que de promouvoir, leurs connaissances traditionnelles.

Par exemple, certaines régions d’Amérique du sud ont essayé de légiférer contre la biopiraterie, mais ont eu du mal à appliquer les lois à l’échelle nationale ou internationale (voir Une région du Pérou légifère contre la biopiraterie).

Plusieurs pays ont réorganisé leurs connaissances traditionnelles en systèmes auxquels les bureaux des brevets occidentaux peuvent se référer pour l’’antériorité’ — des inventions existantes déjà dans le domaine public. La bibliothèque numérique des connaissances traditionnelles (TKDL) de l’Inde, par exemple, représente l’une des réactions de protection les plus sophistiquées aux préoccupations relatives à la biopiraterie (voir Analyse Bioméd.: Les connaissances traditionnelles doivent être accessibles, mais protégées).

D’autres encore utilisent une autre approche, connue sous le nom d’’accès et partage des avantages’ (APA). Elle offre un accès large aux connaissances traditionnelles, mais exige, en retour, un partage équitable des profits résultant de l’utilisation modifiée des produits traditionnels.

Par exemple, la communauté tribale Kani, du Kerala, perçoit des fonds d’un fabricant pharmaceutique indien pour sa contribution à la commercialisation d’un médicament anti-stress connu sous le nom de Jeevani.

Mais le cas de Kani est une exception et la vérité est que de nombreuses questions opérationnelles et conceptuelles concernant l’APA restent sans réponse.

Défis interculturels

Nous devons trouver une meilleure façon d’équilibrer les intérêts des chercheurs désireux de développer les connaissances traditionnelles au profit de la médecine moderne et ceux des dépositaires autochtones de ces connaissances, qui ont droit à une part équitable de toutes les retombées.

Nous avons essentiellement besoin d’un système intégratif de connaissances qui reconnaisse les différences épistémologiques entre les connaissances traditionnelles et la science moderne.

Le véritable défi consistera à établir des normes pour les interactions interculturelles.

Par exemple, il est important, sur les plans éthique et juridique, que les scientifiques obtiennent le consentement des dépositaires des connaissances traditionnelles – mais quoi d’autre? Quand est-il approprié pour ces dépositaires de refuser de donner leur consentement? Dans certains cas, le refus pourrait être lié non pas à des questions commerciales mais à une incompatibilité épistémologique.

Prenez, par exemple, le cas du poivre long indien. Il est utilisé dans plusieurs formules dans la tradition ayurvédique indienne pour améliorer la biodisponibilité et l’assimilation d’un autre médicament, et une formule commerciale du principe actif de cette plante, la pipérine, est maintenant utilisée pour réduire la posologie de la rifampicine dans les traitements de la tuberculose.

Selon les connaissances traditionnelles, pour éviter les effets secondaires, la plante ne doit pas être utilisée pendant plus de 40 jours consécutifs. Mais les traitements contre la tuberculose doivent se prendre pendant une durée beaucoup plus longue. Les spécialistes de la médecine ayurvédique devraient-ils autoriser une telle utilisation abusive de leurs connaissances traditionnelles?

Une approche holistique

Pour que les systèmes intégratifs de connaissances fonctionnent, ils devront également intégrer la gamme complète de soins traditionnels, dont le yoga, les thérapies de désintoxication et les régimes thérapeutiques.

Ceux-ci ont été largement exclus des débats actuels sur l’APA, et pourtant ils jouent un rôle croissant dans la santé publique dans le monde. L’industrie mondiale du spa, par exemple, s’appuie largement sur les traditions asiatiques de guérison, avec des thérapies ayurvédiques et chinoises souvent incorporées dans les offres des spa à travers le monde.

La valeur de l’industrie mondiale du spa était estimée à US$ 255 milliards en 2007 — si les entreprises tirent profit des traditions indigènes, elles devraient en toute logique rétribuer en retour à la culture qui a généré ces connaissances.

Cette rétribution ne se mesure pas uniquement en monnaie sonnante et trébuchante. Par exemple, des programmes de responsabilité sociale d’entreprises pourraient soutenir la renaissance des traditions locales, encourager le développement des micro-entreprises liées aux connaissances traditionnelles, et promouvoir des pratiques commerciales loyales pour l’achat et l’exportation de produits et d’ingrédients médicaux traditionnels.

Mettre un terme à la domination de l’Occident

La création d’un système intégratif de connaissances va davantage pousser à la domination du monde développé, en particulier sur les bases des connaissances asiatiques. Pourquoi la médecine conventionnelle moderne est-elle si souvent considérée comme supérieure à la médecine traditionnelle?

En fait, les recherches faites par l’un de nos groupes ont montré que le concept en ayurvéda du ‘prakriti’ – qui considère l’individu comme un tout – a considérablement aidé les chercheurs biomédicaux à comprendre de nouvelles disciplines telles que la pharmacogénomique (la façon dont la constitution génétique d’un individu influe sur sa réaction à un médicament).

Le concept des connaissances traditionnelles orientant la médecine conventionnelle est de plus en plus pris en compte par les scientifiques, plutôt que les méthodes utilisées comme un outil pour prouver ou réfuter les concepts et les pratiques traditionnels.

Un système intégratif de connaissances qui s’appuie sur cette appréciation pourrait considérablement améliorer la santé publique. Il pourrait même inverser le sens de circulation des connaissances dans le monde de la science moderne.

En lieu et place de la science qui exploite des ressources naturelles pour de nouveaux éléments, les connaissances traditionnelles pourraient remodeler le monde scientifique en offrant de nouveaux paradigmes et solutions qui élargiront les perspectives et offriront des solutions globales.

Bhushan Patwardhan est le directeur en titre de l’Institut d’ayurveda et de médecine intégrative (AIM) de Bangalore, en Inde.

Gérard Bodeker est professeur adjoint d’épidémiologie à l’Université de Columbia, à New York, et maître de conférences cliniques en santé publique à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni.

Darshan Shankar est le directeur fondateur de la Fondation pour le renouveau des traditions de santé locales (FRLHT), à Bangalore.

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