18/11/10

Il faut développer une approche plus équitable de la nano-innovation

Considérer la nano-innovation avec un esprit plus critique pourrait contribuer d’avantage à renforcer l’équité en santé mondiale. Crédit image: Flickr/US Army Africa

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Pour le chercheur en sciences sociales Donald Maclurcan, il faut poursuivre des approches alternatives pour que les nanotechnologies puissent améliorer la santé et l’équité dans le monde.

Si les nanotechnologies – l’ingénierie à l’échelle atomique ou moléculaire – ont le potentiel de jouer un rôle dans l’atteinte des nombreux objectifs sanitaires fixés dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), réaliser ce potentiel signifie mettre davantage d’accent sur certaines des stratégies les plus équitables susceptibles de permettre leur développement.

Pour certains, les avantages présentés par les nanotechnologies pour la santé sont fonction automatique de leur contribution à la fourniture d’une eau potable, la facilitation d’un diagnostic plus rapide et plus précis, et le développement de systèmes de délivrance des médicaments plus efficaces. (De telles opportunités sont ainsi liées aux OMD 1 – éliminer l’extrême pauvreté et la faim ; OMD 4 – réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans ; OMD 5 – améliorer la santé maternelle ; et OMD 6 – combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies). Par ailleurs, les nanotechnologies sont présentées comme ayant des avantages plus ‘indirects’, comme la fourniture d’une énergie ‘plus propre’, réduisant ainsi la prévalence des maladies respiratoires dues à l’utilisation de carburants moins propres (lien avec l’OMD 7 – assurer la durabilité environnementale).

D’autres encore affirment la nano-innovation impactera la santé du fait qu’elle dope la croissance économique dans le monde en développement, à travers divers niveaux d’implication dans la recherche et développement (R&D). Des pays aussi contrastés que le Costa Rica, le Nigéria et la Thaïlande s’engagent d’ores et déjà dans la nano-innovation, le gouvernement thaïlandais ayant alloué 300 millions de bahts (environ US$ 10 millions) à la R&D sur les nanotechnologies en 2010. Ce pays a déjà développé des produits nanotechnologiques destinés à l’exportation dans des domaines tels que l’emballage des denrées alimentaires, la purification de l’eau et les plantes médicinales.

Les biotechnologies revisitées

Parmi les prétentions optimistes quant à l’impact éventuel de l’émergence des nanotechnologies, de nombreuses rappellent étrangement celles faites pour les biotechnologies et leurs capacités de résolution des inégalités du monde. Cela pose d’importants défis.

Dans un premier temps, présenter les nanotechnologies comme offrant des ‘solutions’ miracles pour l’atteinte des OMD revient à ne pas accorder suffisamment d’importance au caractère sociopolitique complexe des défis sanitaires. Ces défis nécessitent une réponse bien plus large que des ‘solutions’ technologiques – ils exigent tous que l’on prenne conscience des biais d’ordre sexiste, géographique, culturel, sociétal, philosophique et religieux qui sont intégrés aux technologies lors des phases successives de la R&D.

Ensuite, la mise à contribution des nanotechnologies pour l’atteinte des OMD est généralement présentée comme un processus de transfert de nanotechnologies des pays riches vers les pays pauvres. Le débat international ne permet pas de saisir suffisamment le potentiel du développement local, à l’échelle du village, de nanotechnologies ‘appropriées’. Et ce malgré la récente reconnaissance que plusieurs médicaments traditionnels chinois contiennent des nanoparticules de métaux, tout comme certains bhasmas, les médicaments traditionnels ayurvédiques composés d’un mélange de métaux et d’extraits de plantes utilisés depuis des millénaires en Inde.

Ainsi, les approches traditionnelles qui établissent des liens entre les nanotechnologies et les OMD contribuent à mettre en exergue uniquement les lacunes dans la réflexion sur la santé mondiale, les technologies et la politique de développement. Le vaste champ de connaissances qui existe déjà dans le monde en développement est inconsciemment rejeté, tout comme la sagesse écologique inhérente aux modes de subsistance.

Enfin, peu d’importance est accordée aux pertes que les populations du Sud pourraient éventuellement subir à cause de la libéralisation des échanges (OMD 8A – mise en place d’un partenariat mondial pour le développement) accompagnant l’évolution des nanotechnologies. Si les nanotubes de carbone venaient par exemple à remplacer le câblage en cuivre, quels en seraient les effets néfastes sur les économies du Chili, de l’Indonésie, de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, si ces pays ont peu de solutions pour protéger leurs importants marchés dans cette matière première ?

Dans le même ordre d’idées, le système international de brevets comporte des obstacles substantiels à l’accès aux nano-innovations pertinentes. Le monde a déjà connu une ‘ruée vers l’or’ dans le domaine du brevetage des nanotechnologies, dépassant de loin ce à quoi on a assisté au cours de la même période dans le domaine du brevetage des biotechnologies. Ces questions sont d’autant plus cruciales que le marché mondial des produits à base des nanotechnologies, évalué à US$ 166 milliards en 2008, devrait selon les prévisions atteindre US$ 2,6 milliards d’ici 2014.

L’avenir sera-t-il équitable ?

Pourtant, il existe déjà des solutions équitables pour le développement des nanotechnologies. Ainsi, le processus du Constructive Technolgoy Assessment grâce auquel le développement technologique est influencé simultanément par les utilisateurs des technologies, les concepteurs, les investisseurs, les acheteurs et les décideurs – est déjà mis en œuvre aux Pays-Bas pour le développement de traitements oncologiques à base de nanotechnologies. De même, les ‘Nanodialogues’ organisés 2006 au Zimbabwe, avaient pour but de susciter des approches de la nano-innovation partant de la base et impliquant simultanément les communautés locales et des scientifiques du Nord et du Sud dans l’évaluation de l’adéquation des nanotechnologies aux besoins de la communauté.

Pour contourner un système de brevets générateur d’injustices, le mouvement de l’accès libre (en anglais, open source) offre de nouvelles solutions pour un développement équitable de technologies sanitaires. Ainsi, le nanoHUB, un portail Internet, propose chaque année à plus 100.000 utilisateurs de plus de 150 pays des informations et des outils, en grande partie gratuits, à utiliser en R&D dans le domaine des nanotechnologies. En outre, des sites Internet comme Open Source Nano fournissent des instructions pratiques pour le développement de dispositifs simples à base de nanotechnologies pour le relèvement de défis comme l’extraction de l’arsenic de l’eau.

L’adoption d’une approche plus critique de la nano-innovation prenant explicitement en compte le concept de biais inhérents à ces technologies et la perspective de méthodes alternatives pour leur développement, pourraient offrir servir d’exemple à suivre pour de nouvelles approches de la science et de la technologie, tout en renforçant le rôle de l’innovation dans l’atteinte de plusieurs OMD. En dernier lieu, ces changements pourraient contribuer à des mouvements plus larges en faveur de l’équité dans le domaine de la santé mondiale, et rendre possible une innovation qui ne soit pas tributaire de la croissance économique nationale, mais qui garde toute son importance pour la vie des populations – ‘l’innovation sans la croissance’. Une telle approche serait la seule alternative réaliste pour des hommes vivant dans un monde ayant des limites biophysiques et de productivité.

Donald Maclurcan est chercheur honoraire à l’Institut des technologies à l’échelle nano à l’Université des Technologies à Sydney, et membre fondateur de Post Growth Institute.

Cet article fait partie d’un dossier spécial sur les nanotechnologies pour la santé.