27/05/10

Découvrir le potentiel des médicaments traditionnels d’Afrique

Les scientifiques africains doivent créer une base de données et une collection physique de médicaments traditionnels et de principes actifs Crédit image: WHO/P. Virot

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Comment les méthodes modernes de découverte de médicaments peuvent-elles accroître la valeur des médicaments traditionnels africains ? Kelly Chibale, experte sud-africaine en médicaments, s’interroge.

La biodiversité de l’Afrique pourrait constituer une ressource importante pour le développement de produits pharmaceutiques destinés au traitement des maladies endémiques comme le paludisme, la tuberculose et le VIH/SIDA. Le continent est d’ores et déjà la source d’une multitude de médicaments traditionnels utilisés par au moins 80 pour cent des africains.

Pourtant, hélas, les contributions possibles – qu’elles soient sanitaires ou économiques – d’une grande partie de cette biodiversité demeurent inexploitées. Des décennies de recherche par des africains sur les médicaments traditionnels africains n’ont pas, à ce jour, débouché dans le développement de produits pharmaceutiques modernes.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette absence de progrès. Les efforts de découverte et de développement des médicaments dans le continent sont éparpillés et fragmentés. Outre le manque de financements et d’infrastructures pour s’attaquer au fardeau des maladies, les chercheurs africains sont également confrontés à une base de compétences limitée et à un faible accès aux plates-formes technologiques nécessaires pour les recherches sur les médicaments.

De ce fait, la chimie des médicaments traditionnels fait rarement l’objet d’études dans le cadre des efforts modernes de découverte de médicaments.

Le moment est venu de rapprocher ces deux mondes.

Une première étape cruciale doit consister, pour les scientifiques africains, en la création d’une ressource biomédicale sous la forme d’une base de données et d’une collection physique (un recueil ou dépôt chimique) de produits naturels purifiés et caractérisés provenant de diverses sources de biodiversité, y compris les médicaments traditionnels et leurs principes actifs du point de vue pharmacologique, venant de partout sur le continent.

Mes collègues et moi avons déjà commencé à œuvrer en ce sens en mettant sur pied la Bibliothèque panafricaine de produits naturels (en anglais, Pan-African Natural Products Library, ou p-ANPL), un consortium de scientifiques du continent, dans le but d’établir la base de données et la collection physique.

Un tremplin

Une telle ressource biomédicale constituerait un outil indispensable pour attirer les investissements dans l’expertise scientifique nécessaire pour les prochaines étapes de dépistage, de chimie médicinale et de pharmacologie préclinique, qui sont essentielles pour la création de produits pharmaceutiques commerciaux.

Mais la bibliothèque présenterait d’autres avantages, notamment l’accélération du développement d’infrastructures durables pour la découverte de médicaments issus de la médecine traditionnelle en Afrique. Elle encouragerait la création d’entreprises d’approvisionnement et d’extraction et pourrait encourager l’émergence d’une culture de collaboration et de coopération entre scientifiques et tradipraticiens.

Les programmes de partage des bénéfices pourraient également favoriser la culture locale de plantes médicinales, dans des cas appropriés. Enfin, le processus pourrait aider à recouvrer ou à préserver des espèces qui pourraient autrement disparaître.

Qu’est-ce qui rend les médicaments efficaces ?

Les développements scientifiques et technologiques récents peuvent aussi contribuer au processus de découverte de médicaments à partir des remèdes traditionnels de différentes manières. Parmi elles, citons la possibilité de puiser dans les données sur les génomes des vecteurs de maladies, ou d’utiliser les progrès accomplis dans les domaines de la biochimie et de la biologie moléculaire pour identifier et valider les protéines essentielles à la survie des organismes pathogènes.

Une priorité toute particulière devrait être accordée à l’intégration du métabolisme des médicaments et des études pharmacocinétiques dans la recherche sur les médicaments traditionnels. Ces études évaluent la façon dont un médicament est transformé par le corps humain et ont d’importantes implications pour l’efficacité et la toxicité des médicaments.

Les scientifiques engagés dans la recherche translationnelle reconnaissent la forte interaction entre la génétique, l’environnement socio-économique dans lequel les gens vivent et le traitement efficace des maladies. Les scientifiques africains doivent de la même façon reconnaître ces liens et chercher à établir un rapport entre eux et les médicaments traditionnels.

Des améliorations dans les plates-formes utilisées pour les études de métabolisme ou pharmacocinétique au cours de ces deux dernières décennies ont permis de réduire le taux d’échec des médicaments candidats dans l’industrie pharmaceutique de 40 pour cent avant 1990 à moins de dix pour cent aujourd’hui.

L’utilisation de nouveaux outils de métabolisme ou pharmacocinétique pour réévaluer les médicaments traditionnels historiques et évaluer les potentiels nouveaux médicaments pourrait également contribuer à l’identification de l’échec des traitements et de la toxicité résultant des interactions entre des médicaments – ceci est particulièrement important pour les malades ayant recours à des médicaments traditionnels en même temps qu’à des médicaments conventionnels. On sait, ainsi, que le ginseng réduit l’effet anticoagulant de la warfarine, utilisée pour prévenir la thrombose et l’embolie.

La Chine montre l’exemple

L’expérience provenant d’autres régions en développement a déjà montré la puissance des méthodes modernes de découverte de médicaments en exploitant les médicaments traditionnels à des fins de santé et de gain économique. La Chine a, ainsi, offert au monde l’artémisinine — l’ingrédient actif de la plante chinoise appelée Artemisia annua, qui est maintenant le traitement recommandé, en association avec d’autres antipaludiques, pour le paludisme à travers le monde.

L’Artemisia annua est utilisée en Chine depuis plusieurs centaines d’années comme un antipaludique à base de plantes médicinales, mais ce n’est qu’avec la révélation de la structure chimique de l’artémisinine que cette plante a obtenu une reconnaissance scientifique internationale, ainsi qu’une acceptation dans la pratique médicale moderne comme produit pharmaceutique d’une importance vitale.

Le développement de l’artémisinine a également stimulé la culture de l’A annua dans le monde, engendrant des bénéfices, aussi bien sur le plans de l’économie que sur celui de la santé.

L’intégration des pratiques modernes de découverte et de développement des médicaments dans les recherches sur les médicaments traditionnels africains — y compris une base de données biomédicales et une collection physique de ressources — pourrait fournir la base de succès semblables à venir ; mais de l’Afrique, cette fois.

Kelly Chibale est professeur de chimie organique à l’Université du Cap, en Afrique du sud, et directrice de l’entité pour la Découverte, le Développement, et la Recherche en Médicaments du Conseil de Recherche médicale de l’Afrique du Sud.