08/10/09

Comment communiquer sur une épidémie ou une pandémie

Communication Disease
De nombreuses personnes s'informent sur la santé grâce aux médias. Crédit image: Flickr/IITA Image Library

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Pour Fang Xuanchang, Jia Hepeng et Katherine Nightingale, le sensationnalisme ne saurait remplacer la démonstration scientifique dans la communication sur les épidémies.

Tout éclatement de pandémie ou flambée de maladie de grande ampleur devient rapidement un sujet brûlant d'actualité : la recherche se lance à folle allure, les résultats sont incertains, le traitement regorge parfois de détails saisissants, des mesures sont prises pour limiter la propagation.  Une actualité débordante, venant trouver un terrain fertile, bien sûr,   grâce à une dose de peur.

Ce sont lors des premières phases d'une épidémie, surtout, que de nombreuses opportunités s'offrent aux journalistes. La possibilité d'interviewer de nombreux chercheurs et médecins, s'ajoute à une profusion d'accroches journalistiques à mesure que les autorités sanitaires et les chercheurs s'activent pour trouver des solutions, le tout encouragé par une disposition inhabituelle de la part des rédacteurs en chef à publier des sujets scientifiques. 

Or, un traitement journalistique responsable d'une épidémie ne se fait pas uniquement par une  compréhension des informations, souvent floues, des premiers jours, mais par un suivi en profondeur et à long terme de l'évolution de l'épidémie.

Il faut, dans cette tâche, toujours garder l'esprit critique et adopter une approche scientifique. La science, couplée à l'ensemble des perspectives sociales et économiques, est cruciale pour la production de bons articles sur une pandémie.

La grippe porcine, ou grippe A(H1N1), nous a déjà livré quelques exemples révélateurs du mauvais journalisme scientifique. Des journalistes égyptiens ont, par exemple, titré sur des 'experts' affirmant que la viande de porc contaminée pourrait être introduite dans la chaîne alimentaire, déguisée en viande de bœuf à prix cassé (voir Media and government to blame for Egypt swine flu chaos)

Cet article vous propose quelques astuces pour éviter de reproduire ces mêmes erreurs. Ces astuces seront d'autant plus utiles dans les pays en développement, où les ressources sont plus rares et la difficulté de communiquer des informations cruciales plus grandes.

Dans ces pays, des messages de santé publique responsables sont essentiels, afin d'alléger le poids de la maladie sur des systèmes de santé déjà fragiles.
 

Expliquez les fondamentaux de la maladie

Le virus de la grippe A(H1N1).  Lorsqu'un agent pathogène émerge pour la première fois, les scientifiques se lancent dans une course pour l'étudier.

Flickr/hitthatswitch

Avant toute chose, assurez- vous de donner à votre public le vrai sens des termes qu'il entendra et lira fréquemment. Le terme 'pandémie' désigne ainsi une maladie qui s'est propagée partout dans le monde, mais n'indique en rien qu'il s'agisse d'une maladie mortelle. Les scientifiques parlent de la 'virulence' d'un pathogène, mais que signifie ce mot pour le non-initié ? Utilisez des explications directes, pertinentes, et qui ne soient pas alarmantes.

Les organisations sanitaires fournissent parfois des informations claires sur le pathogène et les meilleures stratégies de lutte. Les organismes publics sont chargées de fournir des informations sur le nombre de cas recensés dans un pays et, le cas échéant, le nombre de décès.

Présentez ces données en ayant recours à vos connaissances scientifiques. Le taux de mortalité due à la pandémie vous parait-t-il supérieur à celui d'autres maladies ? L'agent pathogène est-il une nouvelle souche d'un ennemi existant ou est-ce quelque chose de nouveau ? La façon de présenter ces informations peut d'ores et déjà orienter votre article dans la bonne direction.
 

Les questions clés des premières phases de la propagation de la maladie


Souvent, la question que se posera le non-initié, dès qu'il entend parler d'une nouvelle maladie sera de savoir "comment la pandémie va-t-elle m'affecter, et affecter les personnes que j'aime ? " Si aucun journaliste scientifique ne pourra répondre à cette question, vous pouvez néanmoins communiquer sur les risques posés par une maladie.

Première étape, se familiariser avec les travaux récents sur des maladies similaires. Ainsi, des connaissances sur la grippe aviaire (H5N1) seront d'utilité dans la couverture de la grippe A(H1N1), une bonne partie de la recherche étant pertinente pour la grippe porcine (et de nombreux chercheurs travaillent sur les deux fléaux).

Voici quelques questions clés qu'il faut garder présentes à l'esprit.
 

Quel est l'état des connaissances scientifiques sur la maladie ?


Certes, lors des premières phases de toute épidémie, il y aura toujours de nombreuses inconnues ; mais parfois aussi un ensemble de connaissances – que ce soit sur le type de pathogène en cause ou sur des souches semblables. 

De par leur nature, les pandémies et flambées subites de maladie sont généralement causées par des pathogènes nouveaux, ou à tout le moins, de nouvelles souches de pathogènes. Il est donc naturel que les scientifiques ne sachent pas comment ils se comportent.

Or, en ce qui concerne la flambée actuelle de grippe A (H1N1), les scientifiques en savent déjà beaucoup sur la grippe, et la pandémie ne leur est donc pas si mystérieuse, même s'il est impossible de prévoir l'avenir avec exactitude. Au contraire, au moment de l'apparition de l'épidémie de SRAS en 2003, les scientifiques ne connaissaient que très peu de choses sur ce nouveau virus.

Il vous faudra donc expliquer ce que les scientifiques savent et ce qu'ils ne savent pas ; mais essayez de ne pas semer la panique. Les scientifiques n'ont pas nécessairement besoin de tous les détails sur un pathogène pour développer un traitement efficace, et il est irréaliste de s'attendre à ce qu'ils maîtrisent, au bout des doigts, tous les détails de toutes les maladies imaginables.
 

Combien de personnes seront infectées ? Combien de personnes mourreront ?


Les chercheurs doivent procéder à la modélisation du nombre de personnes qui risquent d'être affectées ou touchées par une nouvelle épidémie, afin de permettre aux pays de préparer efficacement leurs systèmes de santé à la riposte. Prenez soin de ne pas présenter comme certitude ce qui n'est qu'une simple prévision.  Un tel sensationnalisme ne donne aucune indication à votre public quant au fonctionnement des modèles. Ces prévisions ne sont que le reflet des meilleures estimations, calculées à partir d'une sélection de facteurs, et leur fiabilité dépend entièrement de l'état des connaissances du moment sur la maladie.

Méfiez-vous des scientifiques aux déclarations sensationnalistes prévoyant un nombre élevé de morts : plus la maladie est grave, plus les budgets de recherches seront élevés.

Ainsi, cherchez toujours à analyser quels facteurs ont été pris en compte dans les estimations du nombre probable de morts ; ne vous focalisez pas uniquement sur les chiffres.

Et tâchez aussi de placer la maladie dans son contexte. Plusieurs rapports sur la pandémie de la grippe A(H1N1) ont ainsi péché en omettant de comparer le nombre de victimes à d'autres maladies susceptibles d'avoir plus d'impact.

A chaque nouvelle pandémie de grippe, la tendance est de la comparer aux pandémies précédentes, surtout les plus graves. N'oubliez pas de considérer les épidémies actuelles en les plaçant dans le contexte des systèmes de santé contemporains.

Pour en savoir plus sur les stratégies de communication sur les statistiques et le risque, consultez le guide pratique de Scidev.Net intitulé : Communiquer sur les statistiques et le risque.
 

Comment se transmet la maladie et comment puis-je influer sur cette transmission ?


Présentez l'état des connaissances sur la transmission de la maladie et demandez à un scientifique ou une autorité de santé publique, ou plusieurs spécialistes à la fois, de vous expliquer les méthodes de contagion, si elles ne vous semblent pas claires.

Parlez également des méthodes par lesquelles la maladie ne se transmet pas. Certaines industries peuvent ainsi pâtir du fait que les gens croient, à tort, qu'un produit contribue à la transmission. Les ventes de volaille ont particulièrement chuté au plus fort de l'épidémie de la grippe aviaire (H5N1), les consommateurs pensant, à tort, qu'ils risquaient la contamination en mangeant de la volaille.

Des messages de santé publique simples, comme l'importance de se laver les mains, sont essentiels dans les pays pauvres.

Flickr/ESP Indonesia

Vous pouvez également informer votre public sur les méthodes susceptibles de lui permettre de se protéger. Les mesures les plus simples sont les meilleures. Avec le VIH, les messages doivent insister sur les pratiques sexuelles sans risque ; avec la grippe, sur l'importance de se laver les mains.

Parfois, il est surtout utile de passer le message sur ce qu'il ne faut pas faire. Ainsi, il existe peu de preuves que le port des masques peut prémunir le grand public contre la grippe. Il peut arriver que des entreprises fassent la promotion de produits dont l'efficacité a été peu ou pas prouvée.

Il est tout aussi important d'éviter de publier trop d'articles sur le sujet. Les messages clés de santé publique ne doivent pas être dilués par la publication d'une profusion d'articles semblables qui vraisemblablement n'apportent rien de nouveau.
 

Instaurer la confiance entre vous et vos sources


Le recours à des sources fiables et informatives donnera de la qualité à votre article. La méthode vous aidera aussi à trier la pléthore de données, dont certaines peuvent être contradictoires.

Il est important de nouer des relations avec des scientifiques qui vous font confiance. Des discussions fréquentes avec ces derniers peuvent apporter de nouvelles perspectives à vos articles, et vous fournir des indices sur l'orientation qu'ils entendent donner à leurs travaux. Dans certains pays, les gouvernements peuvent essayer de dissimuler le nombre de cas ou de morts, comme ce fut le cas avec le SRAS en Chine.  C'est pourquoi le recours aux scientifiques, et notamment aux épidémiologistes, spécialistes de ces sujets, peut être le seul moyen de connaître la vérité.

Vous pouvez également retourner vers les mêmes sources pour avoir une idée de l'évolution, au fil du temps, dans la perception de l'épidémie par les scientifiques. S'ils changent d'avis quant à la gravité de la maladie, il faut en informer le public.

Il est également bien inspiré de nouer des solides relations avec des sources gouvernementales. Cela peut s'avérer une tâche compliquée dans les pays en développement. Vous trouverez davantage de conseils en consultant le guide pratique de SciDev.Net intitulé : Journalisme et politique scientifique : mode d'emploi.
 

Une vision à long terme


Le public obtenant la plupart des informations sur une épidémie auprès des medias, on ne pourra lui reprocher de s'imaginer qu'une maladie a disparu lorsque les journalistes la délaissent. S'il ne faut pas submerger les gens d'information, il faut aussi veiller à les informer si la menace persiste.

Une affiche chinoise pour la prévention du SRAS.

Flickr/Oldtasty

Gardez les questions clés ci-dessus à l'esprit et jugez si les réponses évoluent à mesure que de nouvelles informations sur la maladie émergent.

En outre, lors des jours qui font suite à la profusion initiale d'articles consacrés à l'épidémie, l'opportunité d'un traitement approfondi du sujet se présente. Vous pourrez, par exemple, évaluer la réponse du gouvernement, ou la contribution de la recherche sur la maladie à l'avancement de la science en général (ou déterminer si des ressources vitales ont dû être prélevées dans d'autres domaines).

Suivre l'élaboration de tout nouveau traitement ou vaccin contre la maladie peut également être bénéfique. En Chine, d'énormes ressources ont été consacrées à la recherche sur un vaccin contre le SRAS, mais le virus a subitement disparu ; pourtant peu de journalistes ont interrogé les scientifiques sur les retombées de ces gros investissements.
 

Le contexte général de l'épidémie


Une pandémie ou une forte flambée d'une maladie ne soulève pas que des questions scientifiques. Vous pouvez ainsi vous retrouver à traiter des sujets d'ordre plus économique ou social, autant de domaines qui vous sont peut-être plus étrangers.

Ainsi, l'hebdomadaire China News Weekly a approfondi sa couverture de la grippe A(H1N1) en examinant la transformation de la stratégie de santé publique en Chine depuis 2003, date à laquelle le SRAS eut un impact considérable sur le système de santé et la société en général. Certains des articles du journal ont par ailleurs procédé à une comparaison entre l'approche chinoise et celles d'autres pays, ou évalué les progrès accomplis par la société dans la prévention et la lutte contre les maladies.

Dans le cadre de couverture journalistique d'une pandémie, on peut être amené à traiter des questions sociales comme les rapports sexuels non protégés et les partenaires sexuels multiples, comme c'est le cas avec le VIH, et les inégalités dans l'accès aux médicaments. Le VIH a également des implications économiques, du fait qu'il a décimé des générations entières dans certains pays en développement.
 

Penser globalement et agir localement


Enfin, une pandémie peut paraître lointaine pour des gens géographiquement éloignés des premiers foyers. Mais l'OMS a décrété la pandémie de la grippe porcine moins de deux mois après le début de sa rapide propagation, une propagation dans laquelle le transport aérien a joué un rôle majeur.

Le défi consiste donc à donner une certaine pertinence locale à une actualité internationale. Peut-être qu'aucun cas n'a encore été diagnostiqué dans votre pays, mais il faudra néanmoins informer le public sur la maladie, les mesures de prévention qu'il peut prendre, ainsi que les actions entreprises par les autorités.

Il est responsable de chercher à informer le public sur l'évolution probable d'une maladie ; mais il est tout aussi important d'assurer que vos articles ne sonnent pas comme le compte rebours d'une catastrophe annoncée.

Fang Xuanchang, est éditeur scientifique du China News Weekly. Jia Hepeng, rédacteur en chef du bi-hebdomadaire Science News Bi-Weekly et ancien coordonnateur du réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) pour la Chine. Katherine Nightingale est  rédactrice en chef adjointe de SciDev.Net chargée de l'actualité.