13/10/17

La phagothérapie, une alternative à la résistance aux antimicrobiens

Bacteriophages Article
Crédit image: Kateryna Kon

Lecture rapide

  • Des milliers de personnes meurent chaque année de la résistance aux antimicrobiens
  • La communauté scientifique appelle à des traitements alternatifs, dont la phagothérapie
  • Mais l'OMS estime que cette méthode ne répond pas encore aux normes internationales

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Dans un rapport [1] publié le mois dernier, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a tiré une nouvelle fois la sonnette d'alarme au sujet du nombre insuffisant de nouveaux antibiotiques en cours de développement pour combattre la menace croissante de la résistance aux antimicrobiens (RAM).
 
L'organisation regrette que la majeure partie des traitements en développement ne soient que des modifications de formules existantes d'antibiotiques.
 
Selon le rapport, il existe "très peu d’options thérapeutiques potentielles pour les infections résistantes aux antibiotiques qui, d’après l’OMS, posent la plus grande menace pour la santé, dont la tuberculose pharmacorésistante, qui tue chaque année près de 250.000 personnes."

“La résistance aux antimicrobiens est une urgence sanitaire mondiale qui va mettre en péril les progrès de la médecine moderne.”

Tedros Adhanom
DG OMS

 
Cette situation a conduit le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, à estimer que "la résistance aux antimicrobiens est une urgence sanitaire mondiale qui va mettre en péril les progrès de la médecine moderne".
 
Toutefois, dans les milieux scientifiques, on estime qu'il existe des pistes non encore suffisamment explorées, notamment la phagothérapie.
 
Il s'agit de l'utilisation de virus bactériophages pour traiter certains types de maladies infectieuses d'origine bactérienne.
 
L'existence des bactériophages est établie dès 1915 par le bactériologiste anglais Frederick Twort, puis démontrée par le microbiologiste franco-canadien Félix d’Hérelle, en 1917.
 
Alors qu'il participait en 1915 à la lutte contre les sauterelles en Tunisie, Félix d’Hérelle observe dans des cultures d'un coccobacille [2] des plages vierges, signe de la disparition des bactéries. De retour à Paris, ses nombreuses expérimentations lui permettent de démontrer l’existence d’un virus de bactéries qu’il baptise "bactériophage", dans une note transmise à l'Académie des sciences.
 
Christopher Smith est le président de Phage International, une entreprise californienne engagée dans la découverte de technologies de soins de santé efficaces développées en Eurasie. Son entreprise possède une clinique à Tbilissi, en Georgie, où des milliers de patients ont suivi avec succès des traitements à base de phagothérapie.
 
Selon lui, "la thérapie par les phages était la principale thérapie antibactérienne dans l'ex-Union soviétique. Elle reste en service en Géorgie. Techniquement, elle est légale dans tous les pays de la CEI [la Communauté des Etats Indépendants]."
 
Dans une interview à SciDev.Net, Christopher Smith précise que le regain d'intérêt pour la phagothérapie vient de l'échec partiel des antibiotiques.
 
Pour autant, estime Grégory Resch, chercheur au département de microbiologie fondamentale de l'université de Lausanne, en Suisse, il n'est pas question de remplacer les antibiotiques par les bactériophages.
 
"L'objectif est d'utiliser ces virus prédateurs de bactéries pour traiter des patients qui se retrouvent face à des situations de résistance aux antibiotiques", précise le chercheur.
 
"Le but n'est donc pas de remplacer les antibiotiques, qui marchent très bien dans la majorité des cas. Le seul problème est qu'ils rencontrent de plus en plus de résistance et dans certains cas, la phagothérapie peut représenter une solution", poursuit Grégory Resch.
 
De fait, selon Christopher Smith, la plupart des universités aux États-Unis ont un programme de R&D en phagothérapie et de nombreuses entreprises sont engagées en Amérique du Nord (Canada et États-Unis), en Europe (Russie, France, Grande-Bretagne), en Chine et en Australie, dans la recherche sur les bactériophages.
 
De plus, selon le PDG de Phage International, il n'existe pas d'effets secondaires induits par l'utilisation des phages.
 
"Les phages sont omniprésents dans l'environnement. Vous êtes couverts de phages, ils sont dans votre corps, votre nourriture, votre eau", estime Christopher Smith.
 
"Le règne animal a vécu depuis la création, en harmonie avec les phages, qui sont un mécanisme par lequel la nature empêche les  bactéries de submerger la planète", poursuit-il, avant d'affirmer : "Pouvez-vous imaginer qu'il y aurait un effet secondaire induit par un corps qui est continuellement en vous ? Il n'y a pas d'effets secondaires dus à l'utilisation des phages."
 
Il reste qu'en dépit de cet intérêt prononcé, très peu de médicaments à base de phages sont aujourd'hui disponibles dans les pharmacies et la thérapie n'est pas encore reconnue comme alternative universelle, notamment par l'OMS.
 
"Tous les produits bactériophages actuellement développés conformément aux directives internationales en sont à leurs premiers pas", note ainsi Liz Tayler, experte en résistance antimicrobienne à l'OMS, interrogée par SciDev.Net.
 
"Il n'est donc pas possible de dire pour l'instant si le traitement aux bactériophages est efficace ou si et dans quelle mesure il peut "remplacer" les antibiotiques."
 
"Il y a plusieurs défis, y compris un processus de production compliqué ; de plus, la résistance évolue également contre les bactériophages", estime encore l'experte onusienne.
 
Mais pour Christopher Smith, la question de la résistance est déjà réglée avec la phagothérapie.
 
Christopher Smith explique en effet que le problème avec les antibactériens en général est qu'aucune entreprise pharmaceutique ne veut dépenser d'énormes sommes d'argent sur un produit – qu'il s'agisse des antibiotiques ou des phages – très rapidement rendu inutile par une résistance qui évolue continuellement chez les bactéries.
 
Ainsi, les compagnies pharmaceutiques ne veulent plus produire d'antibiotiques.
 
Mais ce qu'il y a de singulier avec les phages, explique encore Christopher Smith, c'est que lorsqu'une nouvelle souche résistante émerge, il est possible de simplement remplacer un composant existant dans le cocktail de phages par un nouvel élément isolé à partir de la nature.
 
Étant donné que les phages sont généralement reconnus comme sûrs (statut GRAS – Generally Recognized as Safe) par la Federal Drug Administration (FDA) aux États-Unis, on peut légitimement supposer que ce processus est certainement sûr en Géorgie et – en pratique – très efficace, estime-t-il.
 
En somme, selon Liz Tayler, si l'OMS se félicite de l'exploration d'interventions innovantes contre les infections bactériennes susceptibles de compléter les antibiotiques, elle insiste sur le fait que le traitement par les bactériophages nécessiterait de nouvelles formes de réglementation des produits et encourage les développeurs, ainsi que les organismes de réglementation, à étudier les moyens d'approuver et de réglementer les produits bactériophages.
 
En attendant, selon Liz Tayler, les défis en Afrique et dans d'autres parties du monde en développement sont nombreux. Ils se résument en ceci que ces pays ont un lourd fardeau de maladies infectieuses et de systèmes de santé fragiles dotés de ressources limitées.
 
Par conséquent, la priorité absolue dans ce contexte reste la prévention de l'infection, grâce à de meilleures mesures de santé publique telles que la vaccination, l'assainissement de l'environnement, une meilleure provision de WASH [3] et des mesures de prévention et de contrôle des infections dans les hôpitaux.
 
Le défi suivant consisterait à améliorer l'utilisation des antibiotiques et le traitement des infections. Dans la plupart des pays africains, les antibiotiques sont très largement disponibles et utilisés indifféremment pour soigner les humains et les animaux.
 
Chez les animaux, ils sont ajoutés à de la nourriture pour prévenir les infections et stimuler la croissance.
 
Chez les humains, les antibiotiques sont achetés en vente libre et utilisés pour traiter toutes sortes de maladies.
 
L'approvisionnement en antibiotiques est souvent irrégulier, regrette encore l'experte de l'OMS, et, si les médicaments de première intention de base ne sont pas disponibles, ceux de deuxième et de troisième intention, qui devraient être réservés aux cas plus complexes, sont utilisés en lieu et place.
 
Autant de pratiques qui, de son avis, doivent prendre fin, à travers une meilleure surveillance.
 
Et cette surveillance passe aussi par la sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens, qui est encore d'un niveau assez faible chez les agents de santé et les décideurs.
 
Bien que le traitement échoue souvent, on pense que le diagnostic était erroné, qu'il y avait d'autres facteurs ou que les médicaments étaient de mauvaise qualité ou faux, précise Liz Tayler.
 
Pour remédier à ces problèmes, il faut améliorer la gestion des antibiotiques et sensibiliser davantage le public et les travailleurs des secteurs de la santé et de l'agriculture sur le fait que les antibiotiques sont une ressource précieuse qui doit être manipulée avec précaution, insiste-t-elle.
 
Les restrictions d'utilisation dans l'agriculture doivent être appliquées et l'approvisionnement en antibiotiques de base doit être amélioré ; en outre, les agents de santé ont besoin d'aide pour établir des diagnostics de base et savoir quand les antibiotiques sont nécessaires et quand ils ne le sont pas, et quel traitement serait le plus approprié.
 
Enfin, au niveau du public, les attentes doivent changer, estime l'OMS, de sorte qu'il ne s'attende pas toujours à recevoir des antibiotiques pour traiter toutes les maladies.

Références

[1] Antibacterial agents in clinical development : An analysis of the antibacterial clinical development pipeline,

including tuberculosis

[2] Bactérie de structure microscopique dont la forme est intermédiaire entre celle d'un coccus sphérique et celle d'un bacille allongé 

[3] Water, sanitation and hygiene – Eau, assainissement et hygiène.