16/03/11

Lutte contre les médicaments contrefaits grâce à des outils de haute technologie

Crédit image: Flickr/IanFuller

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Pour la journaliste scientifique Yojana Sharma, la lutte contre les médicaments contrefaits nécessite l’utilisation de scanners, de spectromètres, de minilaboratoires – mais rien ne peut remplacer les systèmes nationaux de réglementation.

On est à Accra, au Ghana, et Samuel est dans une pharmacie pour acheter des antipaludéens pour soigner sa fièvre. Mais il est soucieux: ces produits sont-ils de bonne qualité – ou est-il sur le point de dépenser son argent pour l’un de ces dizaines de millions de faux médicaments qui inondent les pays en développement, épuisant les ressources, mettant des vies en danger et favorisant la résistance aux médicaments?

La solution est néanmoins à portée de main. Samuel trouve une vignette particulière sur le paquet, il la gratte et découvre un code à dix chiffres. Il compose le code qu’il envoie gratuitement à mPedigree et reçoit le message suivant: contrefait.

"Si le message est ‘non’, le pharmacien doit alors remplacer le médicament — vendre de faux médicaments étant une infraction pénale", dit Bright Simons, président de mPedigree, le réseau qu’il a fondé pour lutter contre le fléau des médicaments contrefaits dans les pays en développement .

mPedigree

Les médicaments contrefaits sont un problème qui se répand de plus en plus dans les pays en développement. Quelque 20 millions de médicaments contrefaits et de contrebande ont été saisis en Asie du sud-est rien qu’en 2010.

Bright Simons, coordinator of the mPedigree Network

Bright Simons de mPedigree – Coentreprise HP d’authentification des médicaments: "Les contrefacteurs ne disposent pas d’un moyen fructueux pour déjouer le système".

mPedigree/BrightSimons

En réponse, des universitaires, des organismes de réglementation et l’industrie sont en train de déployer de nouvelles technologies pour essayer de rattraper et dépasser l’avance prise par les contrefacteurs. Mais même les inventeurs de technologies admettent que rien ne peut remplacer un système national de réglementation pharmaceutique efficace..

Alors que la plupart des nouvelles technologies s’appuient sur l’analyse de la composition des comprimés, celle-ci nécessite un kit, et mPedigree évite soigneusement ce kit.

"Il ne détruit pas l’emballage et ne désorganise pas l’indicateur d’effraction des médicaments", dit Simons. Un centre de données offshore suit la trace des codes qui sont générés au hasard par le fabricant du médicament. " Les contrefacteurs ne disposent pas de moyen efficace pour déjouer le système. Il faudrait aller chez un détaillant pour copier les codes, paquet par paquet".

Simons est un entrepreneur ghanéen qui milite pour les droits sociaux. Il a réuni les fabricants et les opérateurs de téléphonie mobile au Ghana, au Kenya et au Nigeria pour mettre en œuvre le mPedigree. Des déploiements sont prévus en Ouganda et en Tanzanie, et peut-être en Inde et en Asie du sud-estdans quelque temps. Le travail de Simons lui a valu le Grand Prix international Netexplorateur, qui récompense la meilleure innovation numérique au monde.

Le secret, dit-il, consiste à gagner la confiance des fabricants de produits pharmaceutiques et des opérateurs de télécommunications. Toute l’infrastructure technologique se trouve en Europe, ce qui d’après Simons, amène plus facilement les fabricants à faire confiance au système.

La couverture du téléphone mobile n’est pas encore parfaite — à ce jour, 80 pour cent des fournisseurs de télécommunications dans les trois pays y participent. Mais tout se passe suffisamment bien pour que le gouvernement nigérian intègre  mPedigree dans ses normes nationales d’assurance de la qualité pour les produits pharmaceutiques.

La sensibilisation est un problème essentiel à l’heure actuelle. "Il faudra du temps avant qu’elle ne devienne un service de ménage", admet Simons.

Simons reconnaît que mPedigree ne peut pas remplacer les tests en laboratoire qui sous-tendent la majeure partie des efforts de lutte contre les médicaments contrefaits. Mais, il affirme: "On aura besoin de moins de laboratoires mobiles pour les essais et les laboratoires pourront se concentrer sur certains points d’entrée tels que les ports".

Un laboratoire dans une fourgonnette

L’acheminement des outils de laboratoire à l’endroit où ils sont nécessaires est crucial pour la détection des médicaments contrefaits. Dans le cadre d’une initiative très appréciée, des chercheurs de l’Institut national chinois de contrôle des produits pharmaceutiques et biologiques ont équipé des fourgonnettes de spectromètres, qui analysent le spectre qu’un composant émet lorsqu’il est exposé à la lumière proche infrarouge (LPI). Les véhicules transportent également un arsenal de nécessaires pour tests, dont la chromatographie sur couche mince et des colorimètres.

Checking authenticity of antimalarials on mobile phone

Gratter la vignette et découvrir si le médicament est authentique

mPedigree/BrightSimons

Environ 400 fourgonnettes bien équipées sillonnent maintenant les campagnes chinoises pour tester les médicaments.

"En Chine, comme partout dans le monde, les médicaments contrefaits et ceux de qualité inférieure sont distribués principalement dans les zones rurales où l’administration en charge des médicaments est faible", dit Jin Shaohong, directeur exécutif adjoint de l’institut, dans un forum en ligne.

Son groupe met actuellement sur pied des mini-laboratoires dans des fourgonnettes qui proposent également la chromatographie liquide à haute performance (CLHP). L’avantage, dit Jin, c’est que "si un médicament est douteux après le dépistage à la LPI, alors une confirmation immédiate sur place peut être effectuée par la CLHP".

Auparavant, les fourgonnettes dans les zones rurales devaient renvoyer les médicaments suspects venant des cliniques et des pharmacies locales aux laboratoires centraux.

"Ces mini-laboratoires mobiles sont technologiquement très bons", dit Lembit Rägo, le coordinateur de l’assurance de la qualité et de la sécurité des médicaments, à l’OMS.

"Ils peuvent parcourir le pays et maintenir une sorte de filet de détection.

"Mais la condition préalable est d’avoir le médicament générique à portée de main pour le comparer avec le spectre, ajoute-il. Avec une industrie manufacturière en plein essor, en particulier pour les médicaments génériques, cela peut ne pas être toujours possible.

Les fourgonnettes transportent vraiment une bibliothèque de spectres de LPI pour les produits pharmaceutiques disponibles en Chine. Mais pour Jin davantage de spectres sont nécessaires dans la mesure où de nouvelles formules arrivent régulièrement sur le marché. Pour cette raison, la Chine est en train de mettre en place une base nationale de données spectrales.

Lesmédicaments marqués

Le système chinois est relativement coûteux. La plupart des pays en développement contrôlent visuellement les produits contrefaits, avec des fonctionnaires des douanes ou des pharmaciens recherchant des conditionnements non standards. Mais c’est un jeu de sophistication qui monte en flèche des deux côtés. Les contrefacteurs sont de plus en plus experts dans l’art de créer des hologrammes pour les emballages.

Certains fabricants de produits pharmaceutiques marquent non pas l’emballage, mais les comprimés mêmes, rendant les marques difficiles à détecter et à copier. D’autres ajoutent des étiquettes de surveillance électronique à l’emballage, de sorte que les lots puissent être suivis. Les deux méthodes rendent les médicaments essentiels plus coûteux — un problème pour les pays pauvres en ressources – alors qu’elles n’empêchent pas toujours les contrefaçons. Et les médicaments suspects marqués ou étiquetés doivent encore être analysés: la mobilité de ces systèmes d’analyse est donc capitale.

Paul Newton, un infectiologue à l’hôpital Mahosot, au Laos, utilise des kits colorimétriques mis au point par Michael Green au Centers for Disease Control and Prevention d’Atlanta, États-Unis, et généralement connus sous le nom ‘d’essais colorimétriques’.

"Ce n’est pas vraiment un colorant, c’est un produit chimique qui réagit avec les principes actifs pour produire une couleur jaune (dans le cas des antipaludéens). Vous pouvez juger de la qualité des médicaments d’après l’intensité de la couleur", dit Green.

Un autre essai colorimétrique exige plus de technologie, mais moins de formation. "Vous prenez une photo avec un appareil photo numérique ou un téléphone mobile, et un logiciel libre téléchargeable sur Internet peut mesurer la distribution de la fréquence de la couleur, dit Green. Les approches colorimétriques sont largement utilisées au Cambodge, au Laos et en Thaïlande, et par des organisations non gouvernementales et des hôpitaux pour contrôler les antipaludéens en Afrique et en Asie. Ils deviennent un élément standard des mini-laboratoires.

Preparing pills in pharmacy

Médicaments: pour suivre correctement la trace de la fraude, il faut disposer d’un laboratoire complet

Flickr/MikeBlyth

Le mini-laboratoire le plus répandu est celui de Global Pharma Health Fund, avec près de 400 unités dans 70 pays, principalement en Afrique, en Asie et dans le Pacifique occidental. Il tient dans deux très grandes valises, mais peut coûter plus de US$ 40 000, avec chaque test spectroscopique coûtant US$ 4 autres pour les solvants et d’autres consommables (souvent inflammables et difficiles à transporter). Dans la plupart des pays, ils ne sont pas transportés partout, mais sont conservés dans les capitales ou les villes de province.

"Les pays en développement n’ont pas les moyens d’acheter les solvants. Il n’y a pas de fabricants (de solvants) dans de nombreux pays africains", affirme Claude Rohrbasser, professeur d’ingénierie à l’Université de Fribourg, en Suisse, et un membre de Pharmelp, une équipe à but non lucratif en Suisse, qui a développé un mini-laboratoire de 7 000 dollars. Ce laboratoire qui évite les solvants et les produits chimiques, s’appuie plutôt sur l’électrophorèse capillaire — une technique de séparation qui mesure les charges variables, les efforts de frottement et les masses des molécules.

Chaque analyse, qui produit un résultat en quelques minutes, coûte une fraction du prix des tests basés sur la chromatographie normale et ne nécessite pas de substances de référence pour la comparaison des résultats, dit Rohrbasser.

Les laboratoires nationaux du Mali, à Bamako, utilisent déjà un mini-laboratoire Pharmelp, et le Centre national cambodgien de contrôle de la qualité des produits de santé, un autre. Des projets de fabrication, produisant suffisamment d’unités destinées au Congo et, d’ici la fin de 2011, au Burkina Faso, à Madagascar et au Sénégal existent.

Un autre mini-laboratoire qui n’utilise pas des consommables et solvants coûteux, mais qui reste portable, est en cours de développement au King’s College de Londres, au Royaume-Uni, en collaboration avec des scientifiques de l’Université de Lund, en Suède. Basé sur la spectroscopie à résonance quadripolaire (RQ), qui s’apparente à l’imagerie par résonance magnétique, "il est non-destructif, non envahissant. Vous mettez le paquet dans le système non ouvert, puis vous le retournez au rayon ou le remettez au patient", explique Jamie Barras, un associé de recherche au King’s College de Londres.

Bien qu’il soit loin d’être utilisable sur le terrain, ce laboratoire "identifiera sans équivoque plus de 10 000 substances chimiques différentes", dit Barras. Et son utilisation ne requiert pas une formation scientifique de haut niveau.

Les spectromètres numériques portatifs provenant de Thermo Fisher, en cours d’utilisation au Nigeria, sont une autre tentative pour satisfaire au critère de portabilité. "De gros espoirs reposent en ce moment sur des instruments semblables à une arme, qui analysent à travers le paquet, dit Newton.

La Règlementation toujours nécessaire

Mais la portabilité constitue aussi une limite. "A la fin de la journée, vous aurez à procéder à une analyse élémentaire complète dans un laboratoire à part entière et à l’associer aux données précédentes disponibles (sur ce médicament)", dit Barras.

C’est parce que les régulateurs doivent comprendre ce qui est substitué aux vrais médicaments, et ce qui est laissé de côté, et essayer d’identifier le fabricant.

"Je ne conçois pas que l’on puisse [comme par exemple une agence de régulation des médicaments] s’appuyer uniquement sur les données recueillies sur le terrain", dit Barras. Les mini-laboratoires peuvent certainement sauver des vies en détectant les plus mauvaises impuretés et infractions. Mais même les meilleurs "peuvent être jusqu’à un tiers moins sensibles par rapport à ceux qui disposent  d’outils de  contrôle complet de la qualité ", affirme Rägo, de l’OMS.

"Les contrefacteurs sont très habiles. Ils peuvent mettre une petite quantité de principe actif dans le faux médicament de sorte qu’il puisse réussir les tests de mini-laboratoire". Ce sont toutes des "technologies après coup" qui n’empêchent pas la contrefaçon ou leurs coûts financiers énormes pour les pays pauvres.  

"Vous devez être en mesure de suivre sa trace le long de la chaîne d’approvisionnement", dit Rägo. "Il n’y a pas une réponse unique. Les mini-laboratoires ont un rôle à jouer sur le terrain, mais ils ne peuvent pas être partout et tester chaque paquet. C’est trop coûteux. Rien ne remplace un système de réglementation pleinement opérationnel".

Yojana Sharma est une journaliste scientifique indépendante.

Cet article fait partie d’un Dossier spécial sur la Détection des médicaments contrefaits.