24/04/17

Q&R: La prévention du paludisme au Sénégal

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Crédit image: World Bank Photo Library

Lecture rapide

  • Le Sénégal a adopté une variété de techniques de prévention du paludisme
  • Il a réussi à faire passer à 3% la morbidité proportionnelle liée au paludisme
  • Le pays compte parvenir à un niveau où moins de 5 personnes sur 1000 auraient la maladie

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A l'occasion de la journée internationale de lutte contre le paludisme, SciDev.Net fait le point sur les stratégies de prévention adoptées par les pays africains. Au Sénégal, un pays traditionnellement cité en exemple pour ses performances en matière de santé, la morbidité proportionnelle liée au paludisme a été ramenée de 35% à 3% en un peu plus de dix ans.

Alioune Badara Guèye, chef du bureau de prise en charge et de formation, au Programme national de lutte contre le paludisme, livre les recettes du Sénégal dans la lutte contre le paludisme.
 

Comment est organisé le système de prévention au Sénégal ?

Ce système est basé sur une approche qui s’adapte un peu à la maladie. Il comprend plusieurs actions que nous menons pour tenter d’éviter que l'individu tombe malade. Parmi les moyens de prévention recommandés par le programme national de lutte contre le paludisme, le plus connu et celui qui offre le plus grand impact, c'est la moustiquaire imprégnée. Cette dernière évite un peu le contact entre le vecteur de la maladie et les individus.
Outre la moustiquaire, nous avons d'autres interventions, notamment ce que nous appelons l’aspersion intra-domiciliaire, qui utilise des insecticides toujours dirigés contre le vecteur qui est le moustique. Ce sont des aspersions que nous faisons dans certaines contrées et dans certaines concessions.
Nous avons d'autres stratégies d'intervention, notamment chez la femme enceinte, parce que chez elle, le risque de survenue du paludisme est important. Il y a des médicaments que nous utilisons pendant la grossesse qui permettent à la femme et à son bébé d’éviter la maladie.

Quels sont les résultats obtenus ?

Pour la moustiquaire imprégnée, nous avons ce que nous appelons une couverture universelle, c’est-à-dire une distribution à large échelle qui a donné un taux de possession de 98% : cela veut dire que dans l'ensemble du pays, au moins 98 ménages sur 100 possèdent une moustiquaire imprégnée. Pour ce qui concerne l'utilisation, les résultats d’une enquête montrent des variations d'une zone à une autre, mais globalement nous avons une moyenne de 60% d'utilisation de la moustiquaire imprégnée.

Qu’en est-il du suivi des femmes enceintes ?

Pour la protection de ces femmes, nous avons recours à un traitement préventif intermittent pour qu'elles puissent au moins recevoir trois doses pendant la grossesse. Actuellement nous sommes à une moyenne de plus de 50%. En fait, ce traitement préventif est lié aux consultations prénatales car si les femmes ne viennent pas aux consultations, il est souvent difficile, voire impossible de les protéger.

Avec toutes ces mesures, quel est actuellement le taux de morbidité ?

Je voudrais d’abord rappeler que nous n'avons pas seulement des mesures de prévention, mais aussi des moyens de prise en charge ou de traitement quand les personnes tombent malades. Pour les statistiques, nos indicateurs montrent une baisse de la courbe de morbidité en 10 ans. La morbidité proportionnelle, c’est-à-dire la part du paludisme par rapport aux autres maladies, est passée de 35% en 2006 à 3% actuellement. Quant au nombre de décès liés au palu dans les structures sanitaires, il a chuté de 30 à moins de 4% sur la même période.  

 

Au-delà de ces chiffres nationaux, quelles sont les régions qui sont le plus en retard en termes de morbidité ?

Ce sont les zones du Sud et du Sud-Est du Sénégal, en particulier les régions de Tambacounda, Sédhiou, Kolda et Kedougou qui paient toujours le lourd tribut au paludisme. Cela s'explique car le fait que c’est une maladie qui a des déterminants environnementaux et climatiques. Quand ces conditions sont réunies dans une zone, la lutte devient beaucoup plus difficile. Je reconnais que dans ces régions-là nous avons des résultats en-dessous des moyennes nationales.
Selon les statistiques 2015 du Pnlp, Kédougou et Kolda ont enregistré une mortalité proportionnelle liée au paludisme de 24% et 12 %. Par ailleurs, les deux régions de Kolda et Tambacounda regroupent 46% des cas de paludisme.

Le thème de la journée est axé sur la prévention. Y a-t-il des actions ou des messages particuliers pour ces régions à l’occasion de cette journée ?

Il faut savoir que nos actions vont au-delà de la journée. Et dans ces zones-là, nous avons mis en place des plans d'accélération de la lutte contre le paludisme, plus de moyens et plus de suivi. Nous faisons tout pour adapter certaines stratégies en vue d’être au rendez-vous de la pré-élimination prévue pour 2020. Nous demandons toujours avec insistance aux populations d'utiliser les moyens de prévention mis en place et surtout d'avoir un recours précoce aux centres des soins à chaque fois qu'elles ont des signes ou des symptômes comme la fièvre.

Le Sénégal se fixe pour objectif de parvenir à la pré-élimination en 2020 et à l’élimination en 2030. Quelle différence faites-vous entre ces deux termes ?

La pré-élimination est l’antichambre de l'élimination. En termes de santé publique, c'est de parvenir à un niveau où sur une population de 1000 personnes, moins de 5 personnes auront la maladie. Il s’agit de diminuer la charge de morbidité de telle sorte que le paludisme ne soit plus un problème au niveau des populations. Parvenir à l’élimination dans une zone donnée, c'est réussir à ne plus avoir de cas autochtones dans la zone. C’est quand on n'a plus de cas local dans le village ou la localité. Après l’élimination, le défi sera de pouvoir éviter l’introduction de nouveaux cas.

En tant que médecin spécialiste de la lutte contre le paludisme, que pensez-vous des recherches sur les moustiques OGM ?

De manière générale nous disons toujours que pour avoir un grand impact il faut au paquet d'interventions. A chaque fois que nous avons une nouvelle intervention, il faut qu'elle ait une valeur ajoutée. Pour nous responsables de programmes, nous avons besoin d'évidences. Nous avons besoin également que la recherche puisse nous proposer des stratégies à haut impact. Sur le plan de la lutte anti-vectorielle, certains pays ont utilisé des stratégies modernes dans la lutte anti-larvaire avec des "poissons larvivores" qui ont permis d’avoir des résultats probants. Donc si aujourd’hui cette stratégie (basée sur les moustiques OGM) vient vraiment ajouter du gain, ce que nous faisons, nous sommes preneurs.

Il y en a qui psychologiquement refusent la moustiquaire. Vous êtes souvent sur le terrain, que dites-vous à ces personnes ?

Effectivement, il y a beaucoup de déterminants de non-utilisation et dans le lot, il y en a qui ont des idées reçues sur la moustiquaire. Ils ont comme un blocage psychologique. Voici ce que nous leur disons et que nous leur répétons toujours et toujours : faire l’effort d’utiliser effectivement la moustiquaire. Pourquoi ? Parce que le paludisme continue de tuer et que nous continuons à avoir des cas graves. Donc notre message ne varie pas : s’il n’y a aucune contrainte particulière, vous devez dormir sous moustiquaire, toute l’année, toutes les nuits, avec toute la famille.

Cet article fait partie d'un hors-série de SciDev.Net Afrique sur le paludisme, publié à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme.