12/02/08

Les Etats du Golfe veulent promouvoir des projets scientifiques ambitieux

La KAUST négocie actuellement des projets de coopération avec la Carnegie Mellon University

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Les Etats du Golfe investissent dans des projets révolutionnaires pour renforcer leur domaine scientifique. Mais selon ce reportage de Waleed Al Shobakky, les résultats ne sont pas garantis.

Farouk El-Baz est régulièrement confronté aux deux visages qu’offrent les pays du Golfe. Un jour, ce géologue égypto-américain scrute, depuis son bureau de Boston, des photos satellite détaillées de la péninsule arabique. Le lendemain, il poursuit son travail de géologue sur le terrain – ou dans le cadre de ses fonctions de conseiller scientifique – en se rendant au Qatar, en ’Arabie saoudite ou dans les Emirats arabes unis.

En effet, El-Baz, Directeur du Centre de télédétection de l’Université de Boston, aux Etats-Unis, est le conseiller scientifique des Etats du Golfe depuis plus de trente ans, et a participé à la plupart des projets de recherche scientifique dans la région.

A ce jour, ces projets n’ont, pour la majorité d’entre eux, pas atteint leurs objectifs. «  La recherche scientifique dans cette région est dans un piètre état, » selon El-Baz.

Mais les choses évolueraient, grâce aux pétrodollars investis par les Etats du Golfe dans de nouveaux projets.

Des différences profondes

Des projets de recherche scientifique ont été initiés dans les pays du Golfe au milieu des années 70 et au début des années 80 avec la première manne pétrolière.

Toutefois, quand on compare les fonds accumulés par les Etats du Golfe au fil des ans avec l’évolution de leurs infrastructures de recherche et de formation, on peut constater des écarts immenses.

Au mois de juin dernier, The Economist  a divulgué le montant des bénéfices enregistrés par les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe, à savoir Bahreïn, le Koweit, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis – qui ont réalisé à eux six US$ 1,5 milliard de bénéfices sur les exportations pétrolières au cours de la période 2002-2006, soit le double des exportations des cinq années précédentes.

El-Baz qualifie cette situation de regrettable. «  Plusieurs décennies perdues et des dizaines de milliards de dollars gaspillés, » ajoute-t-il.

Toutefois, au cours des années récentes, une évolution significative de la situation, sinon radicale, a été observée.

Des institutions dotées de plusieurs milliards de dollars ont été ou sont sur le point d’être créées, des projets expérimentaux ont été initiés, pour tenter de développer la recherche scientifique locale en misant sur les succès scientifiques des universités étrangères. Cette réflexion a conduit les pays du Golfe à adopter des stratégies variées. Elles semblent toutes novatrices, mais personne ne sait laquelle aura le plus de succès à long terme.

"Tous ces projets ne seront pas des réussites," déclare El-Baz, dont la bonne connaissance de cette région contraint à se montrer prudent. "Mais ce nouvel enthousiasme de ces pays pour la recherche scientifique est réconfortant."

Les expériences du Royaume

Après plusieurs tentatives infructueuses au cours des années 70 pour attirer les scientifiques, le Royaume d’Arabie saoudite a mis en place un système peu conventionnel.

Dans le cadre de la nouvelle Université des Sciences et Technologies Roi Abdallah (KAUST), institution de troisième cycle – et première institution saoudienne de co-éducation – qui ouvrira sur les bords de la Mer rouge en 2009, le Royaume projette de soutenir financièrement les chercheurs étrangers dans leurs institutions de par le monde.

La KAUST soutiendra financièrement des étudiants étrangers de troisième cycle, des boursiers en post-doctorat et des professeurs dans les institutions qui les emploient, en leur accordant des bourses et des prix, se dotera d’une faculté et recrutera des étudiants en résidence. Lorsque l’Université sera totalement opérationnelle, son effectif devrait atteindre 10 000 personnes.  

L’originalité du projet réside dans l’attribution, du moins dans un premier temps, de subventions aux domaines de recherche qui présentent un intérêt pour l’Arabie saoudite, à savoir les procédés de séquestration du carbone et des carburants riches en hydrogène, le dessalement de l’eau, les biotechnologies alimentaires, la nutrition et la santé publique, les mathématiques appliquées et les sciences informatiques.

Dans son allocution lors de la cérémonie d’inauguration des travaux de cette université, au mois d’octobre dernier, Nadhmi Al-Nasr, président par intérim de la KAUST, a qualifié cette stratégie de ‘’nouveau modèle opérationnel”.

Cependant, malgré son caractère original, force est de constater que cette stratégie est risquée.

Les bourses de recherche accordées par la KAUST n’imposent pour ainsi dire aucune obligation aux chercheurs bénéficiaires. En échange de bourses s’élevant parfois à US$ 5 millions, ils n’ont l’obligation de se rendre en Arabie saoudite que deux fois par an pour participer à des ateliers et rendre compte à leurs sponsors de l’état d’avancement de leurs travaux.

Si ce programme permet d’espérer une facilitation accrue des transferts de connaissances vers le Royaume, les résultats ne semblent pas garantis.

"Il s’agit à n’en point douter d’une stratégie risquée. Et il est très difficile de dire si cette idée est géniale, ou folle” déclare Peter Lee, chef du département informatique de la Carnegie Mellon University aux Etats-Unis (CMU), l’une des universités avec lesquelles la KAUST est en pourparlers de partenariat.

Lee, qui a pris part à la première rencontre entre la KAUST et la Carnegie Mellon au printemps dernier, ajoute que le sort de cette stratégie dépendra de deux facteurs : la qualité des participants au programme au cours des premières années, et « la volonté des chercheurs du monde d’aider la KAUST à se développer ».

L’idée de nouer des partenariats avec l’Arabie saoudite suscite quelques doutes chez des collègues de la CMU, déclare Lee. D’après lui, «  l’image du Royaume est très négative, surtout aux Etats-Unis. » L’important n’est pas que cette image soit justifiée ou non. Elle existe. Et c’est un autre obstacle qu’il sera difficile pour la KAUST de franchir."

Des modèles en évolution

La stratégie saoudienne est peut-être risquée, mais elle semble être essentiellement conçue pour combler les lacunes de celle du Qatar.

La stratégie de développement de la recherche scientifique du Qatar est purement locale, et consiste à encourager les institutions étrangères à s’installer dans le pays. A partir de 1997, le pays a commencé à inviter de grandes universités américaines à ouvrir des filiales sur le campus de la Cité de l’éducation, à Doha. Au départ, plusieurs de ces invitations ont été rejetées.

La Cornell University, située à Ithaca, dans l’Etat de New York, avait initialement rejeté l’invitation du Qatar. Lors des négociations en 1999, son président aurait déclaré, “Cornell c’est Cornell, parce qu’il n’existe qu’une seule Cornell."

Mais cela relève désormais du passé : une filiale de l’école de médecine de cette université a ouvert ses portes sous le ciel ensoleillé de Doha, à des milliers de kilomètres du campus américain.

La persévérance du Qatar, conjuguée à la conclusion d’un partenariat avec la Commonwealth University de Virginie et aux propositions financières alléchantes faites aux universités sollicitées, ont fini par convaincre la prestigieuse Cornell University.

"Dès que nous avons conclu un accord avec la Cornell University en 2002, il est devenu plus facile de convaincre les universités Carnegie Mellon, Texas A&M et Georgetown au cours des années suivantes,” déclare Fathy Saoud, négociateur en chef et nouveau président de la Fondation Qatar, l’institution qui gère les projets qataris dans les domaines de la science et de l’éducation.

Le recours aux filiales d’universités étrangères pour éduquer les Qataris et les ressortissants des autres pays du Moyen-Orient a le mérite d’être une stratégie claire. Mais, le modèle des filiales n’est pas parfait – toutes les universités ne sont pas prêtes à en ouvrir dans des pays qui commencent tout juste à s’intéresser à la science.

Le second défaut de ces filiales réside dans le fait que les meilleurs chercheurs peuvent choisir de rester dans la maison mère et ne pas se rendre dans ce nouveau lieu qu’est Doha. « Il y’a également le risque que le Qatar ne reçoive que des scientifiques de seconde zone ou ceux qui ne sont pas sollicités dans le pays d’origine de l’Université », selon Tidu Maini, président du Parc scientifique et technologique du Qatar.

Le Qatar semble être conscient des limites de son propre modèle. Au mois d’avril 2006, La Fondation Qatar a lancé le Fonds national Qatari pour la Recherche (QNRF), qui vientd’entamer un programme de recherche conjointe devant associer des chercheurs basés au Qatar à des chercheurs extérieurs.

Ce programme, dénommé ‘Programme de Recherche sur les Priorités nationales’, se propose de financer intégralement des projets de recherche en provenance du monde entier. Cependant, deux conditions s’imposent : l’équipe de recherche doit compter au moins un chercheur qatari, et la moitié des travaux doit être réalisée au Qatar.

"L’un des objectifs de ce programme réside dans l’amélioration de l’image du pays en tant que soutien à la recherche scientifique" déclare Abdoul Sattar Al-Taie, directeur du QNRF.

La stratégie qatarie consistant à investir dans des projets de recherche contraste totalement avec celle de son voisin Dubai, l’un des sept émirats qui composent les Emirats arabes unis (EAU).

En 2003, TECOM, l’autorité gérant la zone franche de Dubai, a créé le Knowledge Village (Village du savoir). Ce village abrite actuellement 19 universités américaines, britanniques, australiennes, indiennes et pakistanaises.

Cependant, à l’inverse du Qatar qui invite et finance ses partenaires triés sur le volet, le Knowledge Village de Dubai est ouvert à toutes les institutions intéressées. Ces universités sont indépendantes d’un point de vue financier, et fonctionnent plus ou moins comme des entreprises installées sur le sol de Dubai.

Une opportunité pour les retardataires

L’enthousiasme des Etats du Golfe pour la coopération dans le domaine de la recherche intervient à un moment où les ressources nécessaires à sa réalisation sont disponibles.

" De nos jours, les technologies et les équipements utilisés dans la recherche scientifique sont plus standardisés et plus facilement transférables que par le passé.”, déclare Javaid Sheikh, Vice-doyen chargé de la recherche dans la filiale qatarie de l’Ecole de médecine de la Cornell University.

A titre d’exemple, ces filiales disposent des ressources nécessaires pour acheter les équipements dernier cri nécessaires pour la recherche en génomique , permettant ainsi aux chercheurs de mener les mêmes travaux à Doha qu’à New York. « Une chose impossible il y a seulement dix ans. »

Selon Sheikh : " La possibilité de procéder rapidement à des transferts de technologie et de relancer les activités de recherche dans cette région est réelle , ".

Cependant, étant donné que les projets scientifiques dans la région sont rendus possibles principalement grâce à la manne pétrolière, qu’adviendrait-il en cas de chute brutale des cours comme ce fut le cas au milieu des années 80 ? Toutefois, ce scénario est peu probable, du moins à brève échéance.

D’après Adhip Chaudhuri, professeur d’économie à la filiale qatarie de l’université de Georgetown, « La demande de pétrole est actuellement soutenue par la Chine et l’Inde,". Il observe que ces pays connaissent une croissance non seulement rapide mais également constante, à la différence des Etats-Unis qui connaissent une croissance cyclique faite de booms et de récessions. « Ce qui crée une solide demande pour le pétrole.»

Les perspectives optimistes du marché pétrolier sont aussi valables pour les projets scientifiques dans cette région.

Cette réflexion donne à El-Baz des raisons d’espérer. " Ces pays essaient; et c’est une bonne chose," déclare–t-il. "Nous devons continuer à faire des tentatives. Cette région ne peut pas se permettre d’abandonner la recherche scientifique."