12/09/11

Des kits recyclés pour équiper les laboratoires africains

Dudnik en compagnie de confrères du Kenya Crédit image: Seeding Labs

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Selon Vijaysree Venkatraman, les dons d’équipements de laboratoire recyclés aux scientifiques africains présentent aussi une opportunité de réseautage et de collaboration.

[BOSTON] Il y a onze ans, Nina Dudnik alors boursière Fulbright, avait passé un an auprès du Centre du riz pour l’Afrique en Côte d’Ivoire. Ses collègues d’alors étaient obligés de rincer méticuleusement le matériel de laboratoire sensé être jetable comme les embouts de pipettes, pour pouvoir les réutiliser. Peu après, une fois admise pour un diplôme post-universitaire à Harvard aux Etats-Unis, elle constate que des équipements de laboratoire encore utilisables sont systématiquement jetés chaque fois que les laboratoires procédaient au renouvellement de leur matériel.

Avec le concours d’une petite bande de camarades étudiants également sensibilisés au travail dans des laboratoires mal équipés, Dudnik se mit à collecter les équipements qu’on allait jeter, comme les chromatographes, les microscopes, les centrifugeuses ou les verreries de laboratoire. Quelques temps après, ils expédiaient leur première cargaison au Guatemala et au Paraguay.

Après son PhD en biologie moléculaire, Dudnik obtient une bourse de l’organisation non gouvernementale (ONG) Echoing Green pour créer une nouvelle ONG appelée Seeding Labs fait le choix de devenir entrepreneure sociale à temps plein, au lieu de mener une carrière en laboratoire.

C’est en 2008 qu’elle a formellement lancé Seeding Labs à Boston, utilisant les excédents d’équipements de laboratoire collectés aux Etats-Unis auprès des industriels et des universités pour contribuer à la science de qualité dans le monde en développement. L’organisation contribue aussi à établir des liens entre les jeunes scientifiques de pays du Sud et les chercheurs de Boston, un pôle de recherche en sciences de la vie, concentrant actuellement son action sur les pays d’Afrique sub-saharienne. Si les laboratoires du monde en développement souffrent souvent de l’absence des équipements sophistiqués trouvés dans le monde développé, ‘on retrouve des scientifiques talentueux partout’, fait remarquer Dudnik, qui s’est donnée pour mission d’assurer l’égalité des chances à tous les chercheurs talentueux qui n’ont pas accès aux outils de recherche.

Semer une révolution

D’autres organisations envoient déjà des équipements recyclés aux hôpitaux dans les pays en développement. C’est ainsi que Sustainable Sciences Institute, aux Etats-Unis, travaille avec les installations sanitaires publiques. D’autres initiatives individuelles se concentrent sur l’envoi d’équipements à des laboratoires de chimie et de biologie.

‘A titre individuel, de nombreux scientifiques ont des collaborateurs ou des connaissances dans le monde en développement et utilisent leur propre excédent d’outils pour contribuer à l’équipement de ces laboratoires’, explique Dudnik. ‘Mais notre programme est probablement le plus organisé des programmes de grande envergure dont la mission est de répondre aux besoins en équipements de laboratoire’.

Seeding Labs reçoit les listes de besoins des départements de sciences de pays étrangers. Des étudiants volontaires des universités américaines, inventorient, testent, emballent et expédient les équipements, ce qui réduit les coûts. Les bénéficiaires prennent en charge une partie du coût des équipements pour compenser les dépenses de logistique, (même si Seeding Labs refuse de communiquer les montants), et, en tant qu’acheteurs, ils assument la responsabilité du montage et de l’entretien.

Les bénéficiaires reçoivent également des instructions sur le montage, selon David Qualter, responsable des opérations chez Seeding Labs. ‘Si nous n’avons pas la réponse à une question, il est possible que nous connaissions quelqu’un qui l’a. Nous mettons également les bénéficiaires en relation avec les fabricants d’équipements afin qu’ils puissent directement en assurer le suivi, si le besoin s’impose,’poursuit-il.

Une leçon de  chimie à l'Université Kenyatta

Les étudiants de l’Université Kenyatta au Kenya ont désormais un meilleur accès aux équipements.

Seeding Labs

Une main tendue

Ce mode de fonctionnement diffère largement de celui de l’aide internationale classique, où le fournisseur dépose les équipements et s’en va, commente Martin Mwangi, boursier postdoctoral à l’Université Harvard et membre du conseil d’administration de Seeding Labs.

Néanmoins, le recours à des listes de besoins a aussi ses propres lacunes, reconnaît-il. Ainsi, les chercheurs demandent parfois des équipements obsolètes, les seuls avec lesquels ils sont familiarisés.

Pour ouvrir les yeux aux chercheurs du monde en développement et les familiariser avec les équipements et techniques modernes, Seeding Labs a établi un partenariat avec le géant pharmaceutique Novartis pour mettre sur pied un programme de bourses destiné aux étudiants originaires d’Afrique sub-saharienne. Le programme a été lancé l’an dernier et travaille parallèlement au programme d’équipements.

Des tuteurs individuels sont attribués aux chercheurs boursiers qui bénéficient de l’occasion de connaître les outils et techniques actuels, ce qui les aide à résoudre les problèmes importants de la recherche dans leurs communautés d’origine. Pour Brigitta Tadmor, responsable mondiale de la diversité chez Novartis, ‘[u]ne personne qui comprend bien les deux mondes joue un rôle inestimable lorsqu’il faut choisir les bons candidats à une bourse’. C’est ainsi que Mwangi est titulaire d’un master en chimie de l’Université Kenyatta au Kenya et d’un PhD de l’Université de l’Iowa aux Etats-Unis.

Quatre professeurs de l’Université Kenyatta en milieu de carrière ont été les premiers boursiers Seeding Labs-Novartis, dont l’ancien professeur de chimie analytique de Mwangi.

Mwangi se souvient qu'[i]l avait ‘l’habitude de faire un schéma sur le tableau pour montrer aux étudiants de ma classe comment fonctionne un chromatographe en phase gazeuse’. Une cargaison de Seeding Labs est venue changer tout ça, aujourd’hui les étudiants font des expériences sur le chromatographe.

En 2009, quand Dudnik a visité les laboratoires nouvellement construits au département de pharmacie de l’Université Kenyatta, ils étaient pratiquement vides. ‘Un peu plus d’un an après, ils étaient remplis de verreries et d’autres équipements pour les étudiants, tous envoyés par Seeding Labs avec l’aide d’autres institutions de Boston’, se félicite-t-elle. C’est, à ce jour, le plus grand succès de Seeding Labs en matière de dons.

Stimuler la collaboration

Un autre outil, un spectromètre de masse, a été à l’origine d’une triple collaboration sur un projet de génie tissulaire, impliquant des chercheurs du Kenya, de Norvège et des Etats-Unis.

Lorsqu’il était étudiant de troisième cycle dans l’Iowa, Mwangi avait constitué une équipe avec un professeur invité de Norvège dans le cadre d’un projet qui faisait appel à l’expertise de Mwangi dans la recherche en chimie et aux connaissances du professeur en recherche clinique. Plus tard, ce programme de bourse a suscité une nouvelle opportunité – associer un jeune talent kenyan à cette collaboration.

Un module d'analyse chimique

Des équipements d’une valeur de plus de US$ 1 million de dollars ont été expédiés à des instituts de recherché de 16 pays

Seeding Labs

Seuls manquaient les équipements. ‘Maintenant que nos collègues de l’Université Kenyatta peuvent procéder à des cultures cellulaires et à des analyses, ils participent activement à ce projet d’avant-garde’, se réjouit Mwangi.

Cette année, le programme Seeding Labs-Novartis compte neuf boursiers provenant de deux pays africains, à savoir l’Université Kwame Nkrumah des sciences et technologies au Ghana et l’Université de Bamako au Mali, dont aucun n’a encore acheté d’équipements chez Seeding Labs.

‘Leur travail chez Novartis va les familiariser avec des techniques ou équipements nouveaux, en plus d’agrandir leurs horizons de recherche. Mises ensemble, ces expériences peuvent leur permettre d’identifier les équipements dont ils ne disposent pas encore et qui leur seront utiles à l’avenir dans leurs enseignements’, estime Dudnik.

Rita Dickson, l’une des deux boursiers Ghanéens, isole les composés bioactifs dans les plantes médicinales mais elle manque d’outils spectroscopiques pour déterminer leurs structures. Actuellement, elle reçoit les résultats de la spectroscopie magnétique nucléaire d’Afrique du Sud. Elle dit rêver du jour où les chercheurs ghanéens ne seront plus obligés d’envoyer les composés à l’étranger pour y être analysés. ‘Alors, nous pourrons alors ne plus nous soucier des choses comme le risque de perte des échantillons dans le circuit du courrier postal’.

Un mouvement mondial

A ce jour, Seeding Labs a expédié des cargaisons d’une valeur de plus de US$ 1 million à des organismes de recherche dans 16 pays. Elle s’est étendue au-delà de Harvard, avec des antennes estudiantines à l’Ecole de médecine de Yale, à l’Université de Boston, à la Faculté de médecine Mont Sinaï, et à la Faculté de médecine Albert Einstein, entre autres.

Les entreprises comme Vertex Pharmaceuticals et Thermo Fisher participent également sous forme d’équipements.

L’ONG est également à la recherche de nouveaux partenaires pour former des gens sur le terrain dans l’entretien et la réparation des équipements. ‘Nous pouvons essayer de convaincre les vendeurs à s’engager dans le bénévolat’, suggère Tadmor. ‘Il faut veiller à ce que ces équipements ne deviennent pas des pièces de musée’ .

Pour Calestous Juma, professeur de développement international à l’Université Harvard, ‘[l]e plus gros défi auquel Seeding Labs fait face c’est de pouvoir travailler à une échelle capable de produire un impact palpable’. Actuellement, les fonds proviennent de programmes de bourses, d’entreprises mécènes et de donateurs à titre individuel.

‘Garantir un financement stable et à long terme pourrait permettre de résoudre ce problème’, ajoute-il.

D’après Dudnik, ‘[à] terme, l’objectif de Seeding Labs est de susciter un mouvement mondial de scientifiques en faveur des scientifiques’, pour qu’aucun chercheur motivé n’ait à travailler en isolation de part sa situation géographique.

En tant que membre de l’organe consultatif de cette organisation, Juma souligne que de tels réseaux ne peuvent se développer que si les chercheurs disposent des équipements dont ils ont besoin. ‘Le réseautage qui découle de tels liens durera plus longtemps que les équipements donnés à l’Afrique’, rappelle-t-il.