02/01/14

Un détecteur de faux médicaments bientôt sur les marchés

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Crédit image: Thermo Fisher Scientific

Lecture rapide

  • Le TruScan permet de détecter les faux médicaments, qui circulent par milliers en Afrique
  • L’appareil conserve dans sa mémoire plus 13.000 différents produits chimiques et compare le spectre du produit qu'on lui présente avec les données stockées en mémoire
  • Mais selon les spécialistes, il y a de la coupe aux lèvres pour éradiquer les faux médicaments : si l’appareil peut permettre l'authentification préliminaire de médicaments bien déterminés, il n’est pas encore en mesure de déterminer si un médicament donné respecte certains standards

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Baptisé TruScan, l'appareil est un instrument d'analyse portable, de la taille d'un talkie-walkie, conçu pour détecter les faux médicaments, dont la contrebande est devenue une rente hautement lucrative pour des individus ou des cartels opérant dans la clandestinité.

Selon l'initiative Faire Reculer le Paludisme (Roll Back Malaria), à laquelle l'OMS est partie, la contrefaçon des antipaludéens représente un phénomène de taille, du fait que ces produits induisent une grande consommation liée à la forte prévalence du paludisme en Afrique et à travers le monde.

À titre d'illustration, on peut citer la dernière évaluation disponible faite sur le Sénégal, Madagascar et l'Ouganda par la US Pharmacopeia, chargée des normes sur les médicaments et nourritures aux Etats-Unis, en collaboration avec l'OMS et le Programme Américain d'information sur la qualité des médicaments (DQI).

Cette évaluation, assez révélatrice du problème, a porté sur un échantillon de 197 antipaludéens (dont des produits à base d'artémisinine et des produits de combinaison sulfadoxine-pyriméthamine).
42 pour cent des échantillons provenant du Sénégal ont échoué au test de qualité mené en laboratoire, et pour Madagascar et l'Ouganda, ces taux étaient respectivement de 30 et 26%.

Mais la contrefaçon en général est plus difficile à cerner et les statistiques en la matière en sont encore à une étape balbutiante, les contrefacteurs et autres faussaires opérant hors des circuits officiels de distribution.

En revanche, à en croire Roll Back Malaria, l'impact sur les politiques de lutte anti-paludisme en est bien réel — il y a l'exposition des populations à des produits dangereux ou encore le développement de résistances aux produits existants.
"Cela a été très compliqué au niveau de l'OMS de définir ces produits", déclare à Scidev.net Magali Babaley, conseiller technique sur les questions d'approvisionnement en médicaments à Roll Back Malaria.

"C'est soit un problème de qualité, soit un fabricant qui ne répond pas à toutes les bonnes pratiques ou c'est vraiment la criminalité, c'est-à-dire que dans le cas d’espèce, on fait exprès de fabriquer de faux produits."

À défaut d'une définition concise, l'OMS se réfère à cette problématique des produits défectueux sous le sigle anglais de SFFC (Médicaments faux, falsifiés, mal étiquetés ou contrefaits) et en a fait un sujet de préoccupation majeure pour la première fois, lors d'une conférence en 1985 à Nairobi, ce qui souligne qu'il s'agit d'une vieille problématique.

“Dans la mémoire de l'appareil, il y a plus de 13.000 différents produits chimiques.”

Joël Le Chevalier, Thermo Fisher Scientific

Mais TrusCan représente-t-il une solution viable ?

Joël Le Chevalier, représentant de Thermo Fisher Scientific pour l'Afrique et le Moyen Orient, fait le schéma d'une machine en miniature dont le logiciel est programmé pour reconnaître les signatures moléculaires d'un grand nombre d'antipaludéens homologués.

"Dans la mémoire de l'appareil, il y a plus de 13.000 différents produits chimiques", déclare Joël Le Chevalier à Scidev.Net. "C'est comme une grande bibliothèque de spectres stockés dans la mémoire de la machine. En faisant son analyse, l'appareil compare le spectre du produit qu'on lui présente avec les données stockées en mémoire."

Ainsi, tout médicament à authentifier dont la signature n'est pas reconnue par le TruScan est signalé comme potentiellement frauduleux. Mais, dans l'hypothèse où la banque de données dans la mémoire du TruScan n’est pas suffisamment complète pour référencer tous les médicaments antipaludéens sur le marché, cette méthode d'authentification présente des limites.

Joël Le Chevalier se garde cependant de parler d’insuffisance, soutenant que la mémoire du TruScan n'est pas statique. "Nos clients ont la possibilité d'ajouter des choses, dit-il, puisque parfois il y a des médicaments qui sont produits en Afrique par des laboratoires qui fabriquent des génériques; donc on a l'habitude de rajouter les signatures moléculaires de ces médicaments dans la mémoire de l'appareil."

Thermo Fisher Scientific affirme que son appareil est destiné naturellement aux milieux de la régulation des produits pharmaceutiques — les laboratoires centraux qui veillent sur la qualité des médicaments et nourritures, les policiers qui opèrent des contrôles-surprise dans les pharmacies ou les douaniers vérifiant des produits arrivant par les postes frontaliers.

Mais le TruScan est-il homologué par les pairs? Au siège de Roll Back Malaria à Genève, les fameux mini-labs sont les appareils reconnus comme instruments de détection des médicaments potentiellement défectueux.

La conseillère Magali Babaley avoue ne pas pouvoir se prononcer sur le TruScan, ne l’ayant pas testé. En revanche, aux États-Unis, où est basé Thermo Fisher Scientific, l'appareil a reçu un avis favorable.
Des chercheurs de la US Pharmacopeia (USP) ont fait une évaluation du TruScan et en ont publié les résultats dans le Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis.

Selon leurs conclusions, l'appareil qui est muni d'un spectroscope Raman (une technologie standard en spectrographie), possède un énorme potentiel pour l'identification des contrefaçons et des produits sous-standards.

"Le TruScan pourrait être efficace dans l'authentification préliminaire de certains médicaments bien déterminés; mais il ne pourrait pas être fiable pour trancher sans équivoque si un médicament est sous-standard ou pas," observent les chercheurs de la USP.

En somme, leurs conclusions sont en accord avec l'avis général de Magali Babaley sur les mini-labs qui, selon elle, ne sont pas suffisants à eux seuls pour résoudre l’équation que posent les faux médicaments.
"[Avec ces appareils], c'est toujours un premier screening", explique la conseillère de Roll Back Malaria.

"Souvent, ça ne vous permet pas de chercher toutes les impuretés; ça ne vous permet pas de faire les tests de dissolubilité des comprimés; il faut qu'un comprimé soit soluble à une certaine vitesse pour que le produit soit libéré dans l'intestin. S'il est dissolu trop vite ou trop tard, votre produit ne marchera pas. [Détecter cela] dépend des appareils."

Thermo Fisher Scientific assure cependant que la dernière version du TruScan qu'il va introduire à l'usage en Afrique francophone et qui a été mis au point après l'évaluation de l'UPS est "hypersophistiqué".

Joël Le Chevalier affirme que le logiciel de l'appareil a été considérablement amélioré, permettant au TruScan d'opérer une analyse du produit au niveau moléculaire — analyse susceptible de vérifier non seulement l'authenticité du produit, mais aussi de dire s'il est de qualité sous-standard.

Mais quelque efficace que puisse être le TruScan, vu l'ingéniosité des faussaires qui n'ont cessé d'innover dans leurs manœuvres frauduleuses et considérant que la problématique des SFFC date des années quatre-vingts, il n'est pas imprudent de noter qu'il faudra plus qu'un appareil pour venir à bout de la problématique des faux médicaments.

Et de l'avis de Magali Babaley, pour éviter la contrefaçon, en plus de la possibilité d'authentification en aval avec les mini-labs (dont le TruScan est un exemple), il faut aussi un travail en amont.

"Il faut un système pharmaceutique fort; une autorité réglementaire chargée d'évaluer la qualité des médicaments et de donner les autorisations de mise sur le marché […] et après, sécuriser tout le système d'approvisionnement, toute l'importation."

La question va préoccuper fournisseurs de technologies et régulateurs tant que le paludisme restera un problème majeur de santé publique. Selon le rapport 2013 de l'Organisation Mondiale de la Santé sur la parasitose, plus de 207 millions de cas de paludisme (dont 627 000 décès) ont été recensés en 2012. Le taux de mortalité globale de la maladie a chuté à 45%, mais pour la région Afrique de l'OMS, il reste de quelque 49%.