05/01/16

Urgence de relancer la recherche scientifique au Bénin

Research at ILRI
Crédit image: Flickr/S.Kilungu/CCAFS

Lecture rapide

  • Les candidats à la prochaine présidentielle n’évoquent pas le thème de la recherche
  • Le problème des ressources humaines et financières est la principale pesanteur
  • Impliquer les entreprises et intégrer la diaspora pourraient aider à changer la donne

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

En cette période de fièvre électorale pour l’élection du prochain président de la République en 2016, force est de constater que la question de la recherche scientifique ne fait point partie des sujets qui alimentent déjà les débats autour des projets de société des candidats potentiels.
 
Elle n’est pas un enjeu électoral comme elle ne l’a jamais été les années passées. A l’inverse d’autres préoccupations, cette question n’est point sur les lèvres des politiques, des politiciens, ni des populations. Je suis persuadé qu’elle ne le sera pas pendant la campagne électorale ni après l’élection. Et c’est bien dommage pour le pays.
 
Les préoccupations comme la recherche scientifique pour le développement du Bénin ne sont presque jamais abordées dans les débats publics. Une telle situation ne peut permettre de trouver des solutions aux nombreux problèmes qui handicapent le secteur de la recherche scientifique dans ce pays.
 

Insuffisance de ressources

 
Les raisons de ce retard dans le domaine de la recherche scientifique sont nombreuses. Le pays manque d’infrastructures universitaires et de structures en recherche et développement (R&D). La grande difficulté est qu’il n’existe aucune politique cohérente d’investissement dans les infrastructures de recherche. On a par exemple créé des centres universitaires un peu partout à travers le pays sans infrastructures pour les abriter.
 
Le Bénin compte aujourd’hui plus de centres universitaires que de départements (12 départements sur papier). Quelle recherche scientifique peut-on mener dans des universités qui n’ont que pour seul amphi une maison du peuple ou des centres de santé abandonnés ? La multiplication des universités ou centres universitaires (22 centres universitaires), loin d’être un atout est finalement un véritable handicap à la recherche scientifique dans le pays.
 
Comme un peu partout en Afrique francophone, les véritables structures qui font de la recherche et qui publient des découvertes sont pour la plupart des organismes étrangers. Le pays n’abrite sur son sol que des représentations d’instituts de recherche de pays étrangers ; à l’instar de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), ainsi que certains centres membres du consortium CGIAR (AfricaRice et IITA etc.).
 

“il est impératif d’impliquer les entreprises locales aux activités de recherches et de développement. L’Etat doit prendre conscience de cet enjeu en offrant des facilités aux entreprises qui peuvent appuyer la recherche scientifique au service du développement du pays”

Christophe Assogba

Le Bénin accueille aussi des chercheurs étrangers dans ces différents centres de recherche et consomme les productions scientifiques des autres à travers la formation universitaire. Ces centres de recherche étrangers participent à la formation des étudiants locaux.
 
Dans le même temps, les laboratoires de recherche locaux qui mènent vraiment des travaux de recherche couronnés de résultats probants et validés au niveau international se comptent sur les doigts d’une main. Depuis  les années 1970, année de création de la première université du pays, celle-ci ne dispose pas de laboratoires pouvant, par exemple, procéder à la simple datation d’un objet, d’un vestige archéologique au radiocarbone (C14). C’est la preuve manifeste d’un réel manque d’intérêt pour la recherche scientifique de la part de l’Etat qui croit pouvoir s’en passer sans que le pays ne sombre, ne tombe à la renverse. Il me paraît important de dire qu’à ce rythme, on ne peut que s’attendre à de maigres et chétifs résultats de la recherche scientifique et donc à un faible impact de celle-ci sur le développement économique et social et du pays.
 

Ressources ridicules

 
Pourtant, ce ne sont pas les moyens à investir dans les infrastructures adéquates de recherche qui font défaut. Il se trouve tout simplement que les ressources financières consacrées à la recherche sont ridicules. A l’université d’Abomey-Calavi, par exemple, l’enveloppe financière consacrée à la recherche tourne autour de 20 millions de francs CFA (juste un peu plus de 33 000 dollars). C’est ridicule pour un secteur qui doit être une source d’innovations et de découvertes pour le développement. Cela traduit à quel point la recherche scientifique est négligée dans les hauts lieux de prise de décision. Quels résultats scientifiques peut-on obtenir lorsque les pôles de recherches n’ont pas de ressources ? A mon avis, aucun ; sinon que du saupoudrage scientifique.
 
Selon le ministre d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur, François Abiola, les besoins financiers du premier plan de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique au Bénin, qui compte 48 actions prioritaires organisées autour de 12 axes stratégiques, pour la période 2013-2017, sont estimés à plus de 400 milliards de francs CFA. Un montant que le gouvernement peut bien mobiliser pour réaliser toutes les actions prévues ; mais nous ne sommes pas sûrs que les choses aient bougé dans ce sens depuis l’élaboration de ce document.
 
Du coup, les quelques travaux de recherches scientifiques qui se déroulent dans les universités du pays sont financés par des organismes extérieurs à travers des projets ad hoc. C’est le cas d’une chaire éco-santé consacrée à la pollution de l’air et aux maladies non transmissibles respiratoires impliquant quatre pays à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Question de produire beaucoup de données au profit de la lutte contre la pollution de l’air et ses problèmes connexes. Le gros problème est que les nouvelles pistes de recherches envisagées à la fin des études de ce genre ne sont le plus souvent pas réalisées.
 
Dans l’ensemble, les centres de recherches locaux dépendent fortement des financements extérieurs qui, malheureusement, ne couvrent souvent qu’un volet de la recherche. D’où des résultats souvent partiels ou parcellaires, rarement définitifs et peu satisfaisants.
 
Là où le bat blesse est que les politiques de recherche scientifiques dorment dans les tiroirs où ils conservent le statut de vœux pieux et deviennent caduques sans qu’on ne puisse mettre en œuvre un seul pan des actions prévues.
 

Rayonnement

 
Bien entendu, la recherche scientifique au Bénin peut connaître une évolution significative et un rayonnement international. Mais sous certaines conditions…
 
D’une part, impliquer les entreprises locales. Il est aujourd’hui impératif d’associer les entreprises locales dans les activités de recherches et de développement. L’Etat doit prendre conscience de cet enjeu en offrant des facilités aux entreprises qui peuvent appuyer la recherche scientifique au service du développement du pays. Dans les pays émergents comme l’Inde et la Chine, cette expérience connaît des succès depuis des années. Il suffit d’investir autrement dans l’éducation universitaire pour y arriver.
 
D’autre part, intégrer la diaspora scientifique. Nous l’avons déjà dit plus haut, la diaspora béninoise compte de nombreux scientifiques en son sein. La présence de ces scientifiques en occident constitue un énorme gâchis. Il est plus que nécessaire d’intégrer la diaspora scientifique dans le jeu en créant des "postes d'ambassadeurs scientifiques dans les pays du Nord" comme l’a proposé, il y a quelques années, un chercheur au Canada, pour tirer grandement profit de ces nombreuses compétences.
 
A l’échelle du pays, cette démarche permettra de combler progressivement le fossé en matière de recherche entre le Bénin et les autres pays de la région au bénéfice des populations. Cette idée de créer des postes d’ambassadeurs scientifiques paraît pertinente en ce sens qu’elle peut faire prendre conscience aux gouvernants de la nécessité de faire de la recherche scientifique une priorité au service du développement du pays.
 
Christophe Assogba est journaliste et correspondant de SciDev.Net au Bénin.