30/05/16

Les défis de la recherche scientifique en Côte d’Ivoire

Centre suisse de recherche scientifique Abidjan
Une vue du Centre suisse de recherche scientifique en Côte d'Ivoire Crédit image: SciDev.Net / Julien Chongwang

Lecture rapide

  • Aux problèmes d’effectif s’ajoutent des soucis financiers, matériels et structurels
  • Les instituts de recherche doivent trouver des stratégies pour joindre les deux bouts
  • L’Etat envisage de multiplier par 10 la part du budget consacrée à la recherche

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Cinquante-six ans après l’indépendance, le dispositif de recherche scientifique en Côte d’Ivoire, malgré son importance croissante, peine toujours à trouver ses marques. Piégé qu’il est par des difficultés d’ordre structurel, financier, matériel, humain et institutionnel qui laissent parfois les chercheurs dans un sentiment de frustration.
 
En tête de ces difficultés, les problèmes de financements. Pour un budget 2016 de 5 813 milliards de FCFA par exemple, seulement 5,173 milliards, soit 0,08%, sont consacrés à la recherche. Bien loin du 1% recommandé par l’Union africaine.
 
Un peu partout, ce problème de financements se traduit entre autres par l’absence de fonds dédiés à la recherche.
 

“Une architecture moderne de notre système de recherche scientifique exige, en plus du document de politique de la recherche et du plan stratégique déjà disponibles, l’adoption d’une loi d’orientation et de programmation de la recherche scientifique et technologique”

Séraphin Kati-Coulibaly
Directeur général de la Recherche scientifique – Côte d'Ivoire

  
"Nous n’avons pas de fonds spécialement dédiés à la recherche. Il existe au sein du Centre ivoirien de recherche économique et social (CIRES), une catégorie de chercheurs qui sont aussi enseignants à la faculté de sciences économiques et de gestion de l’université Félix Houphouët Boigny ; mais il y a également des chercheurs pleins qui ne sont affectés qu’à la recherche. Et il faut reconnaître que le fait de ne pas avoir de ressources dédiées à la recherche plombe un peu les activités de ces derniers", dépeint Ibrahim Diarra, le directeur de ce centre.
 
"Ce qu’on peut souligner, c’est que le CIRES essaie aujourd’hui par ses propres moyens de mobiliser des ressources qui lui permettent d’être présent dans le monde de la recherche et surtout de continuer de dynamiser ses activités pour se rendre visible", ajoute-t-il.
 
Par exemple, le centre soumissionne à des appels d’offre pour être sélectionné, ce qui permet à l’institution de mobiliser des ressources pour mener ses activités.
 
Il développe aussi un mécanisme de consultance auprès de diverses structures, dont le Centre de promotion de l’investissement en Côte d’Ivoire (CEPICI) et le Conseil café cacao (CCC), pour lesquels il mène des études pouvant leur permettre de prendre des décisions.
 
En attendant, certains chercheurs n’hésitent pas cependant à puiser dans leurs économies personnelles pour faire avancer leurs travaux. C’est le cas de Sylvestre Kouassi Kouamé, enseignant-chercheur au département de géographie de l’université Alassane Ouattara de Bouaké, qui mène des travaux sur la gouvernance des aires protégées, le désordre urbain, la perspective territoriale et environnementale.
 

Fonds propres

 
Selon ce dernier, l’appui à la recherche demeure faible et il n’existe quasiment pas de financement disponible pour ses travaux. "Je finance mes recherches sur fonds propres, c’est-à-dire sur mes ressources personnelles", dit-il.
 
Du côté des chercheurs indépendants, la situation n’est guère plus reluisante. Le chercheur Lambert Kouadio Asman, concepteur de modèles industriels, designer et inventeur titulaire de plusieurs titres de propriété intellectuelle, se plaint d’être livré à son propre sort quant au financement de ses travaux.
 
"J’ai mis au point des technologies qui m’ont permis de remporter plusieurs distinctions au plan national et international à l’instar d’un séchoir de produits agricoles (Séchoir Kal) ; mais mes recherches ont été faites pratiquement sur fonds propres", relève-il.
 
En revanche, dans les établissements privés de recherche, la situation est un peu meilleure. C’est le cas du Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS-CI).
 
Au dire de son directeur général, Bassirou Bonfoh, cet institut a deux lignes de ressources financières : un budget des projets et programmes, entièrement financé sur fonds compétitifs obtenus par les chercheurs ; et un budget de fonctionnement provenant de l’Etat de Côte d’Ivoire (8%), de la Confédération Helvétique (22%) et des services et frais de gestion du CSRS (70%).
 
Un atout qui permet au Centre de disposer de moyens généraux adéquats, à savoir "des ressources humaines de 250 personnes, une plateforme technique physique et virtuelle comprenant huit unités et un capital savoir accumulé depuis plus de 65 ans réparti dans huit groupes interdisciplinaires de recherche".
 
Fort de cette assise, le CSRS-CI a bénéficié, en avril 2016, de la part de la fondation britannique Wellcome Trust, d’un appui d’un montant de 3,96 milliards de FCFA dans le cadre d’un projet de recherche sur la santé humaine, animale et environnementale.
 

Manque de matériel

 
"Nous entendons toujours dire que les finances manquent ! Mais la réalité est qu’elles existent au plan international avec un champ de compétition certain, nécessitant un renforcement de capacités", tient à souligner Bassirou Bonfoh.
 
Comme conséquence de ces ressources financières insuffisantes, la recherche scientifique en Côte d’Ivoire n’échappe pas au manque de matériel et de ressources humaines.
 
Pour le directeur du CIRES, Ibrahim Diarra, en matière de dotation en matériel de travail, "il faut séparer la recherche et l’enseignement".
 
"Je sais par exemple qu’un enseignant a toujours besoin d’un tableau, d’un marqueur et d’étudiants pour faire son travail. Pour le chercheur, il faut un ordinateur, une connexion et des logiciels. Ce qui n’est pas toujours disponible", déplore-t-il.
 
"La politique qui est menée au niveau du CIRES spécifiquement, c’est de faire en sorte de mettre à la disposition des chercheurs ces outils. Mais ils ne sont pas suffisants pour permettre à tous les chercheurs de bénéficier de l’environnement qu’il faut pour mener la recherche", note-t-il.
 
Même son de cloche chez les chercheurs du laboratoire de physiologie végétale de l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, laboratoire dirigé par Daouda Koné.
 
Pour ce dernier dont le centre a inventé le bio-pesticide NECO, son équipe n’aurait pas pu atteindre ce résultat sans un soutien particulier de la présidence de l’université, qui lui a permis d’effectuer certaines manipulations dans d’autres laboratoires de l’université. Celui de physiologie végétale ne disposant pas de tout le matériel requis.
 
En effet, dans bien des centres et laboratoires universitaires ivoiriens, l’obsolescence et l’inadaptation des équipements sont évoquées, résultat du non-renouvellement du matériel depuis de nombreuses années.
 

Ressources humaines

 
Raison pour laquelle, certains chercheurs comme Valery Hgaza de l’université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo et de l’Ecole supérieure d’agronomie (ESA) de l’Institut national polytechnique Félix Houphouët Boigny (INP-HB) de Yamoussoukro, ont recours à la logistique d’instituts non étatiques, généralement mieux équipés, pour poursuivre des travaux entamés dans leur centre d’origine.
 
"L’université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo étant encore très jeune, nous ne disposons pas encore de laboratoires équipés et fonctionnels, ni de parcelles agricoles d’expérimentation. Pour ces raisons, nous conduisons nos activités de recherche au CSRS-CI qui offre ce cadre indispensable à la recherche agronomique", affirme Valery Hgaza.
 
D’ailleurs, ce dernier est également coordonnateur du projet "Système de culture à base d’igname (YAMSYS)" au CSRS-CI où il a même un statut de chercheur associé.
 
En outre, une réelle inquiétude existe désormais quant à la disponibilité des ressources humaines.
 
"Le potentiel sur ce point reste faible au regard des ambitions de notre pays. De nombreux chercheurs seront appelés à faire valoir leur droit à la retraite dans les années à venir", admet Séraphin Kati-Coulibaly, directeur général de la Recherche scientifique et de l’innovation technologique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
 
"La ressource humaine dans le secteur n’est pas abondante, certainement à cause des conditions difficiles de la recherche qui n’attirent pas beaucoup de jeunes", croit savoir Valery Hgaza.
 
Pour éviter un gap générationnel dans les centres et instituts de recherche, quelques écoles doctorales sont organisées, mais également des chantiers-étudiants pour la sensibilisation à la carière de chercheur.
 

Cadre législatif

 
Mais par-dessus tous ces problèmes, l’absence d’un cadre législatif définissant la politique de recherche scientifique en Côte d’Ivoire constitue, à en croire Séraphin Kati-Coulibaly, le premier verrou à lever.
 
Car selon ce dernier, en plus des questions financières, matérielles et humaines, la recherche scientifique est confrontée à des difficultés organisationnelles et de gouvernance.
 
"Le système national de recherche scientifique fonctionne déjà dans un cadre légal, qui mérite néanmoins de s’inscrire dans un cadre législatif. Il est fonctionnel et dynamique, cependant, il nécessite une restructuration et un plan de développement soutenu dans le cadre de l’émergence de notre pays", suggère Séraphin Kati-Coulibaly.
 
"En effet, l’existence d’un ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique est un cadre minimal pour assurer le développement des activités de recherche scientifique. Cependant, une architecture moderne de notre système de recherche scientifique exige, en plus du document de politique de la recherche et du plan stratégique déjà disponibles, l’adoption d’une loi d’orientation et de programmation de la recherche scientifique et technologique", insiste-t-il.
 
L’adoption d’une telle loi, selon cet universitaire, aura pour avantage de faciliter la mise en place d’organes clés, tels que le Fonds national de recherche, l’Agence de valorisation ou encore le Conseil supérieur de la recherche scientifique.
 
"Ce dispositif doit renforcer les activités de la chaine des valeurs de la recherche scientifique pour plus d’efficacité et pour de meilleures performances", dit-il.
 
Selon Diomandé Aboubacar, enseignant-chercheur en droit constitutionnel à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, cette faiblesse institutionnelle cause des blocages quand il s’agit d’accéder à des documents ou données pratiques auprès de certains services judiciaires ou administratifs dans le cadre de travaux de recherche.
 
"Certaines administrations déclarent des décisions ou arrêts top secrets et refusent qu’on y accède. Cela retarde nos recherches et nous empêche de progresser normalement dans notre carrière", explique-t-il.
 

“L’Etat doit placer la science et la technologie au cœur de son développement en mettant en place, un dispositif juridique et institutionnel, un système de financement compétitif et ouvert”

Bassirou Bonfoh
Directeur CSRS-CI

  
Pour y remédier, "nous avons recours au droit comparé, c’est-à-dire que nous nous inspirons de ce qui se passe ou s’est passé dans un autre pays en récupérant des données pratiques via internet", dit-il.
 
Mais, la recherche scientifique en Côte d’Ivoire souffre aussi d’un manque de vulgarisation de ses résultats.
 
Pour Ibrahim Diarra du CIRES, il n’y a pas vraiment un mécanisme de vulgarisation qui permet de rendre les résultats de la recherche plus accessibles à la population.
 
"Les chercheurs ont des canaux par lesquels ils font la publication. Mais cela reste beaucoup trop scientifique", estime-t-il.
 
Ajoutant que "quand il s’agit d’impacter les politiques, il est important qu’on les présente sous une forme beaucoup plus accessible et dans un langage beaucoup plus compréhensible pour les décideurs et pour les administrations de notre pays".
 
Pour cela, le CIRES a opté pour la formation de ses chercheurs en media training : "cela consiste à voir comment les chercheurs peuvent présenter les résultats de leurs recherches pour qu’ils soient plus accessibles aux décideurs et également au commun des mortels", explique son directeur.
 
Car, dit-il, " nous voulons être un centre au service du développement, c'est-à-dire que nos recherches doivent contribuer à orienter les décideurs vers l’amélioration du bien-être de la population".
 
Mais, pour tous ces universitaires, c’est l’Etat ivoirien qui doit ouvrir la voie de la révolution à travers une réelle volonté politique.
 
"L’Etat doit placer la science et la technologie au cœur de son développement en mettant en place un dispositif juridique et institutionnel, un système de financement compétitif et ouvert", affirme le directeur du CSRS-CI.
 

Initiatives

 
"L’Etat pourrait, dans cette logique et au plan national, établir une convention d’objectif avec les chercheurs", suggère-t-il.
 
De leur côté, Sylvestre Kouassi Kouamé et Valery Hgaza plaident pour "plus d’investissements dans les infrastructures de recherche et pour la création d’un fonds pour la recherche nationale dans les différentes universités qui devront présenter leur programme national de recherche en lien avec les besoins de développement".
 
Quoi qu’il en soit, les chercheurs ivoiriens restent optimistes, flattés par des initiatives comme le Programme d’appui stratégique à la recherche scientifique (PASRES), le Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO/WAAPP) en Côte d’Ivoire et le Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricole (FIRCA).
 
En attendant l’adoption d’une loi d’orientation et de programmation de la recherche scientifique et technologique, le gouvernement ivoirien prévoit de remédier aux problèmes structurels et de gouvernance par le renforcement des capacités du système.
 
"Nous envisageons des formations à la gouvernance des centres et instituts de recherche en conformité avec les standards internationaux qui servent de référence pour l’évaluation de ces centres et instituts", annonce Séraphin Kati-Coulibaly.
 
Mais, surtout, le directeur de la Recherche scientifique annonce que pour ce qui est de la part du budget consacrée à la recherche, "l’enveloppe est appelée à augmenter, puisque comme promis par le gouvernement, dans les années à venir, la proportion de la recherche dans le budget passera à 0,8%".
 
Ce qui, malgré une multiplication par dix, restera en deçà du 1% recommandé par l’Union africaine.

Cet article a été produit en collaboration avec l’Agence ivoirienne de presse (AIP), grâce à l’appui du Wellcome Trust.