27/02/15

Les ravages du “repassage des seins” au Cameroun

African girl sadness
Le "repassage des seins" affecte 12% des jeunes filles au Cameroun Crédit image: Flickr/7 Nation Army

Lecture rapide

  • Des pierres sont utilisées pour masser les seins des petites filles
  • Le phénomène qui touche 38% des filles de 11 à 14 ans laisse des séquelles
  • Grâce à l’action de la société civile, cette pratique est en net recul.

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Des mamans utilisent des objets chauffants pour modeler les seins de leurs filles et retarder leur vie sexuelle.

Nonobstant le plaidoyer et les campagnes de sensibilisation des organisations de la société civile, le phénomène du "repassage des seins" existe toujours un peu partout au Cameroun.

Cette pratique consiste "en l’utilisation d’objets chauffés ou non pour masser les seins des jeunes filles pour les empêcher de croître ou pour simplement les faire disparaître", explique l’anthropologue médical Flavien Ndonko, par ailleurs consultant indépendant régulièrement sollicité par des organismes comme la Coopération allemande (GIZ).

D’après une étude menée en 2013 par l’Institut pour la Recherche, le Développement Socioéconomique et la Communication (IRESCO) pour le compte de la GIZ en 2013, le phénomène toucherait encore près de 12% de jeunes filles et femmes au Cameroun.

D’après cette étude, les 11-14 ans (38 % environ des victimes) apparaissent comme les plus touchées par cette opération qui est le plus souvent effectuée par des femmes.

Catherine, une jeune femme originaire de Yaoundé, âgée d’une vingtaine d’années, a raconté à SciDev.Net comment chaque matin, sa mère appliquait une pierre à écraser préalablement chauffée sur ses seins alors qu’elle n’avait pas encore 10 ans.

Rahimatou, originaire de Foumban dans l’ouest du Cameroun, garde pour sa part le souvenir des "douloureuses" séances de massage des seins de sa cousine Rachida.
"Ma cousine avait des seins dès l’âge de 7 ans. Régulièrement dans la chambre, ma tante la massait soit avec une pierre à écraser préalablement chauffée, soit à l’aide d’une spatule trempée dans de l’eau chaude et salée", se souvient-elle.

Ce phénomène de modelage des seins, d’après l’étude de l’IRESCO, concerne toutes les régions du Cameroun : les zones rurales comme les centres urbains.

La principale explication des parents qui recourent à cette pratique est "le souci des mamans de préserver leurs filles de la convoitise des hommes" afin de les mettre à l’abri des grossesses précoces.

"Une mauvaise solution à un vrai problème", juge Cathy Fouda, chargée de la communication du Réseau National des Tantines (RENATA), une association qui encadre les filles-mères.

Cette association est à l’avant-garde de la lutte contre ce phénomène de "repassage des seins" au Cameroun.

"J’ai moi-même subi le repassage des seins, mais cela ne m’a pas empêchée d’avoir précocement un enfant", fait remarquer Cathy Fouda.

Dans certaines régions du Cameroun, le repassage de seins est une mesure de prévention contre les mariages précoces.

Tableau des sévices subis par les victimes
Source: Etude de la Coopération allemande (GIZ, 2013)
Diverses
anomalies
Diminution du volume Douleurs et autres
45,7% des personnes interrogées déclarent que leurs seins ont connu une anomalie après la pratique 42,5% assurent que la taille de leurs seins a été diminuée
 
24,5% se plaignent de douleurs et 21% d'une inflation du volume de leurs seins
     

Rahimatou souligne qu’en pays Bamoun dans l’Ouest par exemple, la polygamie est courante et les enfants apparaissent comme une charge pour leurs pères.

"Dès la poussée des seins, le papa est tenté de donner sa fille mineure en mariage ; au grand dam des mères qui font recours au repassage des seins pour laisser grandir leurs filles", ajoute-elle.
 

Conséquences

Pourtant, selon les résultats de l’étude commandée par la GIZ, La pratique "du repassage des seins" impacte négativement la santé des jeunes filles.

"Près de la moitié (45,7%) des répondantes déclarent que leurs seins ont eu une anomalie après le repassage. Les conséquences les plus récurrentes sur les seins sont la diminution de la taille (42,5%) ; les douleurs (24,5%) ou une inflation du volume (21%)", indique l’étude.

Par ailleurs, 3,7 % de filles interrogées se sont retrouvées avec des seins blessés ; 8% avec un sein plus grand que l’autre ; tandis que 2% ont subi l’ablation d’un sein, etc.

L’étude conclut que les kystes et les abcès (17%) sont souvent les conséquences de cette pratique.

Micyline Sinou, gynécologue à l’hôpital général de Yaoundé, suit particulièrement les filles et femmes qui ont été victimes de cette pratique.

Elle s’inquiète des effets du "repassage des seins" qu’elle considère du reste comme une mutilation génitale féminine.

"Je continue à suivre trois cas qui présentent les complications les plus graves, dit-elle. Il y a un cas de disparition d’un sein du fait d’un excès de massage. Ensuite la brûlure d’un sein au troisième degré ; un problème en voie de solution grâce à la technique du greffage de la peau. Enfin, il y a un cas de nécrose (pourriture du sein, NDLR)".

L’autre conséquence est plutôt d’ordre sociologique.

Dans la société camerounaise en effet, les hommes recherchent généralement les femmes ayant une poitrine ferme et généreuse.

C’est d’ailleurs l’une des causes du sevrage précoce des enfants (20% de femmes au Cameroun allaitent leurs enfants jusqu'à 6 mois)*.

Les femmes croient ainsi préserver la fermeté de leur poitrine pour continuer à séduire.

Flavien Ndonko raconte le cas de cette victime du "repassage des seins" qui a perdu son mariage du fait de l’affaissement précoce de sa poitrine.

"Lorsque le fiancé de cette jeune fille remarqua l’état de sa poitrine, il l’abandonna le projet et la fille court toujours après un mariage", explique l’anthropologue.

"Passent encore ces conséquences physiques. Que dire alors des complications psychologiques avec de nombreuses séquelles à la clé ?" , s’interroge Micyline Sinou.

Certaines victimes culpabilisent tandis que d’autres perdent confiance en elles-mêmes, parce qu’elles se considèrent désormais comme des "sous-femmes", déplore la gynécologue.

Pourtant dans les sociétés traditionnelles camerounaises,  une espèce de massage de seins existait déjà.

"Il était question de préparer la femme au mariage en stimulant la production du lait maternel dans des sociétés natalistes. C’était marginal et thérapeutique. Il était aussi question de traiter la dissymétrie des seins. Nous avons du mal à comprendre comment l’on est passé du simple massage thérapeutique au repassage." Analyse Flavien Ndonko.

"Il y a là les symptômes d’une société en crise qui peine à s’adapter à la modernité. La sexualité est encore un sujet tabou. Pourtant, en discutant avec ces jeunes filles, l’on pourrait facilement résoudre le problème de la sexualité précoce", propose-t-il.

Un avis que partage Micyline Sinou. Pour elle, la meilleure option est "le dialogue avec les enfants à propos de la sexualité"
 

Stratégie de lutte

 
Outre la GIZ, le RENATA apparait comme l’un des principaux acteurs de la lutte contre ce phénomène.

Sa stratégie consiste notamment à s’adresser directement aux élèves du primaire et même du secondaire, explique Georgette Arrey Taku, sa chargée des programmes.

"En sensibilisant les enfants à l’éducation sexuelle, fait-elle remarquer, nous attirons l’attention des parents sur la nécessité de discuter d’un sujet a priori tabou dans notre société."

"Nous apprenons aux enfants à connaître leur corps et les différents changements caractéristiques de la puberté. Nous leur apprenons à comprendre la poussée des seins, la survenue des règles, la nécessité de faire respecter leur corps. Personne ne doit y toucher, même si c’est pour masser les seins”, renchérit Cathy Fouda.

"Mais la collaboration avec les autorités concernées par le problème n’est pas toujours franche", regrette cette dernière.

"Leur implication est encore tiède et d’aucuns croient préserver l’image de marque du pays en sacrifiant la santé des enfants", ajoute-t-elle.

Alors qu’elle présidait le 5 février dernier une manifestation en prélude à la journée mondiale de lutte contre les mutilations génitales féminines, Marie Thérèse Abena

Ondoua, ministre de la Promotion de la femme et de la famille, a refusé par exemple de s’exprimer sur la question du "repassage des seins".

Pour Micyline Sinou, Il y a comme un déni de la réalité.

Pour autant, le phénomène du "repassage des seins" semble aujourd’hui en net recul.

"Il y a sept ans, je recevais en consultation chaque année près de 12 patientes. Aujourd’hui, j’en suis à deux cas", témoigne Micyline Sinou.

Si l’on s’en tient à l’étude de l’IRESCO, la prévalence du phénomène est passée de 25 à 12 % entre 2006 et 2013.

Par ailleurs, 9,8 % de parents interrogés sont encore disposés à expérimenter cette pratique sur leurs enfants ; alors que 90,2 % de sondés s’y opposent.

En outre, il n’est pas exclu que la pratique du "repassage des seins" soit pénalisée dans un proche avenir.

"La révision en cours du code pénal camerounais prévoit une disposition pénalisant cette pratique", croit savoir l’anthropologue Flavien Ndonko pour qui il ne faut pas baisser la garde tant que ce phénomène n’est pas "totalement" éradiqué.

Références

(*) "Etude des connaissances et pratiques des mères sur l’allaitement maternel à l’hôpital provincial et à la PMI de Bafoussam" présenté à l’Institut Supérieur des Sciences de la Sante de Bangangté par Bernadette Kamgne Kamga en vue de l’obtention d’un doctorat en médecine.