29/03/10

La science africaine doit surmonter les barrières linguistiques locales

Une grande partie des connaissances scientifiques en Afrique est ancrée dans les langues et les cultures locales Crédit image: Flickr/bmjccray

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Pour Charles Dhewa, les connaissances locales africaines ont beaucoup à apporter à la science – à condition que la science soit traduite dans les langues locales.

Les Africains possèdent un riche patrimoine culturel et disposent d’une mine de connaissances traditionnelles sur des sujets allant de l’agriculture et de la sylviculture aux médicaments et aux pratiques médicales – autant de savoir qui pourrait apporter de précieuses contributions à la science moderne.

Ainsi, les connaissances traditionnelles sur les variétés de cultures résistantes à la sécheresse pourraient se révéler essentielles en aidant les petits agriculteurs du continent à s’adapter aux changements climatiques.

Une grande partie de ces connaissances s’ancrent dans les diverses langues et cultures locales co-existant en Afrique.

Pourtant, malgré des siècles d’entreprises scientifiques sur le continent, il n’existe toujours pas de mot vernaculaire pour désigner la ‘science’. En Afrique australe, la science reste une activité ne concernant qu’une minorité de personnes, articulée en langue anglaise et renforçant la domination de l’anglais au détriment des langues locales comme le Ndebele, le Swahili et bien d’autres.

Cette marginalisation des langues et des pratiques africaines fait que beaucoup de connaissances locales sont perdues. De nombreuses innovations réalisées par les agriculteurs et les communautés rurales sont ainsi exclues de la science et de la technologie (S&T) modernes, à cause de l’absence de termes ou d’expressions locales pour les exprimer.

Il est essentiel que les gens ordinaires soient en mesure de participer à l’innovation scientifique. Intégrer la masse de connaissances autochtones dans les systèmes scientifiques et technologiques classiques aiderait à répondre aux problèmes de développement qui se posent sur le continent.

Par ailleurs l’engagement des gens ordinaires dans la science et la technologie pourrait aussi contribuer à empêcher l’exploitation abusive des ressources naturelles et à sensibiliser davantage les citoyens sur les lois protégeant ces ressources aux niveaux national et régional.

La domestication de la science

Les décideurs africains doivent faire un effort pour ‘domestiquer’ la science en utilisant les langues vernaculaires quand ils en parlent. Cela signifie investir dans les activités de traduction.

La traduction littérale constitue, bien entendu, un aspect important. Les initiatives visant à compiler des dictionnaires scientifiques sont une avancée qu’il faut soutenir. Le chercheur zimbabwéen Christopher Chetsanga s’attèle, par exemple, à la compilation d’un dictionnaire en langue Shona – parlée par neuf millions de personnes au Zimbabwe – qui devrait contribuer à l’amélioration de la compréhension locale des termes et des questions scientifiques.

Assurément, les grandes institutions comme la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et les initiatives importantes telles que l’Evaluation internationale des Connaissances agricoles, scientifiques et technologiques pour le Développement devraient utiliser la traduction pour valoriser les tonnes de documents qu’ils publient chaque année en anglais.

Mais ce ne sont pas simplement des mots individuels qu’il faut traduire, c’est aussi l’expression d’idées et de significations, qui aujourd’hui sont constituées dans un contexte mais reçues et interprétées dans des contextes très différents.

L’intégration des idées

Pour y parvenir, nous devons renforcer le rôle d’intermédiaires possédant des aptitudes à communiquer – des gens sachant traduire et résumer des idées scientifiques et techniques complexes en langues locales et expliquer à la fois les concepts et leurs implications en toute simplicité. Ces personnes sont diversement appelées des ‘intégrateurs’, des ‘filtres’ ou des ‘synthétiseurs’.

Les intégrateurs combinent des idées distinctes pour former un bloc de connaissances à part entière. Un intégrateur sait combiner par exemple connaissances indigènes et scientifiques sur les changements climatiques, de manière à ce que les gens ordinaires les comprennent. Le filtrage comprend l’édition et la clarification des idées, de sorte que les gens puissent comprendre les avantages, disons, de la biotechnologie, en évitant tout préjugé ou malentendu. Les synthétiseurs résument de manière efficace les questions clés.

La traduction des questions autour de thèmes comme les changements climatiques ou la biotechnologie, où le débat est souvent très polarisé, exige chacune de ces trois compétences.

En outre, les intermédiaires peuvent parfois faire plus qu’expliquer la science de façon simplifiée. Ils pourraient, par exemple, être en mesure d’attirer l’attention de leurs auditeurs sur les possibilités en ce qui concerne la propriété intellectuelle.

Les intermédiaires peuvent également encourager la participation des communautés marginalisées dans les discours scientifiques modernes, renforçant ainsi la collaboration avec les chercheurs et les organisations scientifiques et technologiques formelles.

Les activités de traduction devraient également promouvoir le partage interdisciplinaire et la collaboration.  De nombreuses disciplines scientifiques et technologiques continuent à fonctionner  comme en autarcie. En Afrique, ainsi, les ingénieurs du génie civil ne communiquent que trop rarement avec les chercheurs agricoles, une situation aux conséquences potentiellement graves pour les agriculteurs.

L’augmentation des rendements agricoles grâce à la recherche agricole est négligeable si les infrastructures de transport, routes et ponts, ne leur permettent pas d’acheminer leur récolte sur les marchés.

Payer pour le progrès

Assurément, la domestication de la science et de la technologie par le biais de la traduction ne peut réussir qu’à condition d’y consacrer des ressources suffisantes.

En principe, l’argent destiné aux activités de traduction devrait provenir des budgets nationaux de la science et de la technologie. Mais ceux-ci restent très faibles en Afrique.

En dépit des promesses faites en 2007 par les membres de l’Union africaine de consacrer un pour cent de leur PIB (produit intérieur brut) à la recherche et développement, seuls deux pays parviennent à ce chiffre – le Rwanda et la Tunisie. La moyenne du continent ne se situe qu’à 0,4 pour cent – il est donc peu probable que l’on y retrouve les fonds nécessaires à la traduction.

Une source alternative de financement, récemment défendue par mes collègues scientifiques au Zimbabwe, pourrait être trouvée dans les impôts nationaux pour la science et la technologie, calqués sur l’impôt trois pour cent pour le VIH/SIDA au Zimbabwe, introduit en 1999. Cet impôt a remarquablement bien réussi, levant des fonds pour les activités relatives au VIH/SIDA, dont l’accès aux antirétroviraux, et ce en dépit du désarroi économique dans lequel le pays est plongé.

Un impôt pour la science et la technologie pourrait être utilisé pour financer tous les aspects de la recherche et développement, y compris les activités de traduction. Il pourrait également contribuer à promouvoir l’industrialisation et aider les producteurs et les fabricants locaux à valoriser leurs produits.

Quelle que soit la voie menant aux financements, investir dans les activités de traduction de la science en Afrique constitue une urgente nécessité si nous voulons tirer parti de l’énergie, de l’esprit d’entreprise, de la créativité et de l’intelligence de nos peuples.

Charles Dhewa est expert-conseil en gestion pour Knowledge Transfer Africa, un cabinet-conseil de gestion des communications et des connaissances, basé à Harare, au Zimbabwe.