24/08/12

Le libre accès pour le développement : une bataille loin d’être gagnée

Avec la progression rapide du modèle de libre accès, les revues locales faisant la promotion de la recherche sur les besoins locaux doivent être protégées Crédit image: Flickr/World Bank

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Il est vrai que la dynamique du libre accès est irréversible, mais la communauté scientifique internationale doit bien gérer ce changement pour s'assurer que les régions pauvres ne restent pas à la traîne.

Ce sont des jours grisants pour les partisans du libre accès (LA), ceux qui soutiennent que les résultats de la recherche effectuée à l'aide de fonds publics doivent être librement accessibles à tous, et pas uniquement à ceux qui peuvent se payer les abonnements aux revues scientifiques dans lesquelles ces résultats sont publiés.

Cette année, la Banque mondiale a annoncé qu'elle allait adopter une politique de libre accès pour tous ses résultats de recherche et "produits du savoir", qui seront placés dans un répertoire central librement accessible sur Internet.

Le mois dernier, le gouvernement britannique a déclaré qu'à l'avenir, il exigerait que toutes les recherches financées par le secteur public dans les universités britanniques deviennent librement accessibles, prévoyant que les auteurs paieraient aux éditeurs des frais (financés sur les subventions de recherche) pour que cela soit possible. L'influent Wellcome Trust avait déjà adopté une position similaire.

Ce geste a été rapidement suivi par une annonce de la Commission européenne (CE), affirmant que la même règle s'appliquerait à toutes les recherches financées par la CE.

Le Département britannique pour la coopération internationale (DFID) a, pour sa part, récemment annoncé que tous ses travaux de recherche deviendraient gratuitement disponibles.

Et certains éditeurs, comme BioMed Central, figurent déjà parmi les précurseurs cherchant à mettre au point des revues à accès libre dans des régions en développement, telles que l'Afrique.
 

Attention au rythme du changement


L'élan est irrésistible. Lorsqu'on les considère sous leur capacité de lecteurs, les scientifiques des pays en développement, où les abonnements aux revues sont souvent inabordables, sont parmi les plus grands bénéficiaires.

Bénéficier d'un libre accès aux derniers résultats de recherche dans le monde leur permet de devenir des membres plus efficaces de la communauté mondiale des chercheurs — tout en aidant la recherche mondiale à identifier des applications locales.

Pourtant, il ne faut pas trop attendre, trop vite, du concept de libre accès, aussi attrayant puisse-t-il paraître — et cela autant en termes des résultats et de l'impact que pourrait avoir le phénomène.

Il nous faut tempérer notre enthousiasme par une prise de conscience de ce qui est véritablement réalisable, et du rythme du changement qu'il conviendra d'adopter pour s'assurer qu'une ruée vers le libre accès n'entraîne pas d'effets secondaires indésirables.

Il est important, ainsi, que le fait d'œuvrer pour que soit mis en place un modèle d'accès libre où c'est l'auteur qui paie – un modèle parfois connu sous le nom de  'libre accès par voie dorée' – ne vienne pas saper les efforts visant à créer ce que bon nombre de personnes dans la communauté du libre accès considèrent comme une étape intermédiaire essentielle, à savoir la mise en place de répertoires ouverts (baptisé 'libre accès par voie verte').

Ces répertoires sont des collections librement accessibles d'articles de recherche, mises sur pied pour accueillir toutes les publications (y compris les versions finales des manuscrits publiées ultérieurement dans des revues scientifiques en accès payant) écrites par des chercheurs affiliés à une institution donnée.

Près de 1.000 répertoires ouverts florissants ont déjà été mis en place dans le monde en développement (pour plus de détails, voir ROAR Eprints). Bon nombre fournissent un lien important entre la recherche menée au sein d'une institution d'une part, et les communautés locales susceptibles d'utiliser cette recherche d'autre part.
 

Protéger les besoins locaux


Pour que les scientifiques des pays en développement puissent en profiter, il faudra aussi s'assurer que les droits d'auteur exigés par les revues en libre accès ne deviennent pas un obstacle. Mobiliser quelques £ 1 500 (US$ 2 373) supplémentaires, en plus des fonds nécessaires pour effectuer la recherche – car c'est le montant généralement cité comme standard pour les droits d'auteur – certes peut paraître à la portée d'un chercheur bien financé dans un pays développé.

Or, pour un homologue dans un pays en développement, où le financement de la recherche est déjà limité, cela peut représenter un obstacle.

Des mesures à court terme pourraient venir atténuer la différence ;  les éditeurs pourraient par exemple renoncer à leurs droits.

A long terme, la solution consistera à faire des coûts de publication une composante essentielle de toute subvention de recherche (comparable à l'achat de fournitures et de matériel scientifique). Mais nous n'y sommes pas encore.

En outre, seules certaines revues, celles dans une situation financière plus confortable, pourraient être en mesure de renoncer à ces frais ; les revues de recherche dans le monde en développement, mènent souvent au contraire une existence au jour le jour, en s'appuyant sur les abonnements (et donc en imposant un accès restreint) pour couvrir leurs coûts de rédaction et de production.

Cela pose donc le risque, comme l'a rappelé Susan Murray de African Journals On-Line lors d'une réunion organisée en juin dernier par le Réseau international d'accès aux publications scientifiques (International Network for the Availability of Scientific Publications, ou INASP), de voir les chercheurs des pays en développement déserter les revues locales qui ne disposent pas des moyens de se muer en publication à accès libre tout en renonçant aux droits d'auteur.

Selon elle Murray, un tel phénomène saperait le rôle clé que ces revues peuvent jouer comme moyen de promotion de la recherche financée localement et sur la base des besoins et des priorités déterminés dans les pays en développement, plutôt que par la communauté scientifique du monde développé.
 

Les défis à relever


Contribuer au renforcement des capacités de recherche locales fut inscrit au cœur des priorités de SciDev.Net, et ce depuis notre création en 2001, quand nous nous sommes engagés à publier en libre accès l'intégralité de notre contenu sur le site Web.

Une telle décision, inévitablement, posait un problème de durabilité pour notre initiative : de quelles sources, nous a-t-on demandé, proviendraient les revenus pérennes nécessaires pour couvrir les coûts importants de gestion d'une telle organisation ?

Nous avons eu la chance d'avoir des sponsors, en particulier des organismes d'aide au développement, dotés de suffisamment de clairvoyance pour comprendre que dans le monde en développement, non seulement la recherche scientifique, mais également l'accès à cette recherche, ne peuvent être soutenus que par des subventions publiques, du moins pour le moment.

Même les revues Nature et Science, toutes deux des revues en accès payant, ont accepté de rendre les travaux de recherche pertinents pour les pays en développement librement disponibles pour les lecteurs de SciDev.Net.

Pour nous, l'accès libre à l'information scientifique, tel qu'il est véhiculé par le mouvement de libre accès, représente un élément essentiel de la construction du développement de la base vers le sommet (une approche récemment décrite par Rajiv Shah, l'administrateur de l'Agence américaine pour le développement international, comme le "développement en accès libre").

Alors que je m'apprête à quitter le fauteuil de rédacteur en chef après 11 années, c'est un plaisir de constater que notre travail fait partie d'un mouvement allant dans la bonne direction — le vent a tourné, et la nécessité d'un accès libre à la science est de plus en plus reconnue par les institutions de recherche et leurs bailleurs de fonds.

Pourtant, de nombreux obstacles à la libre circulation de l'information scientifique perdurent – par exemple des éditeurs rapaces, des lois sur la propriété intellectuelle restrictives, ou encore les institutions de recherche qui ne partagent pas cette vision.

Ces restrictions affectent non seulement les scientifiques mais aussi les journalistes scientifiques. Pour les journalistes, le libre accès à la science doit être complété par un libre accès aux scientifiques.

Ainsi, la bataille pour l'acceptation des journalistes et communicateurs scientifiques comme des acteurs clés dans le domaine du développement, ainsi que pour le libre accès à l'information scientifique, est loin d'être gagnée.
 

David Dickson
Rédacteur en chef, SciDev.Net