15/03/11

Soutenir les sciences sociales en Afrique

En Afrique, la culture du débat a autant d'importance que le financement de la science Crédit image: US Army Africa

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Pour Jonathan Harle, la technologie seule ne peut résoudre les problèmes de l’Afrique, les sciences sociales et la culture du débat doivent y contribuer.

Les pays d’Afrique sub-saharienne font face à d’innombrables défis, depuis les changements climatiques et la rareté de l’eau au double poids des maladies infectieuses et chroniques, en passant par la productivité agricole et la croissance rapide des villes.

Quelles que soient les solutions à ces défis, elles nécessitent de bénéficier de meilleures connaissances scientifiques et d’une application efficace des technologies nouvelles et des technologies traditionnelles.

Mais les progrès scientifiques à eux seuls ne conduiront pas au développement : les populations et leurs sociétés sont trop complexes.

Nous devons maîtriser les contextes sociaux des milieux auxquels on applique ces connaissances, connaître les dispositions des populations sur l’adoption de nouvelles technologies ou de nouveaux traitements, mais aussi les obstacles auxquels ils sont confrontés.

Nous devons établir des liens plus solides entre les sciences sociales et les sciences naturelles, afin d’apprendre les uns des autres les stratégies de renforcement de la recherche.

Bien que les débats autour des capacités de recherche et de formation mettent l’accent sur les sciences naturelles, une discussion parallèle est en cours sur les sciences sociales et les humanités qui peuvent tirer profit de petites initiatives destinées à promouvoir de bonnes idées.

Les facteurs sociaux conditionnent le progrès

L’attitude des gens face à la science et la technologie est conditionnée par la culture, les institutions, et les croyances.

Par exemple, de nouvelles techniques agricoles et variétés de cultures pourraient contribuer à réduire les pénuries alimentaires chroniques, mais nous devons également comprendre comment les gens gèrent leur propre insécurité nutritionnelle.

De même, il faut des sociologues et des médecins pour prévenir et lutter contre les maladies. Et les efforts  visant à s’assurer que les gens prospèrent dans les villes en expansion nécessitent non seulement l’aide d’ingénieurs mais également des gens expérimentés dans l’étude de la dynamique des réseaux sociaux et des espaces urbains en mutation, par exemple, de nouvelles formes de leadership et de gouvernance.

Plus généralement, il nous faut comprendre le processus de prise de décisions afin que les gouvernements puissent transformer les nouvelles connaissances en solutions efficaces à ces défis.

Mais le rôle des sciences humaines et sociales ne se limite pas à l’amélioration de l’application et de la compréhension de la science et des progrès technologiques.

Il est vrai que les certitudes sur l’avenir sont peu nombreuses, mais il est sûr que des changements sociaux vont se produire. La société, la culture, la politique et l’économie jouent souvent un rôle déterminant dans la réussite des efforts de développement, et nous devons comprendre ce rôle au moyen de la recherche.

Un pays comme le Nigéria, avec plus de 500 langues et 250 groupes ethnico-régionaux, est la preuve que les universitaires africains doivent se pencher sur les questions d’histoire et d’identité.

Et ils ont besoin de soutien dans la compréhension des jeux du pouvoir, qui continuent de jouer un rôle déterminant dans la prospérité et les difficultés de certains pays.

Problèmes et solutions communes

En Afrique, plusieurs des obstacles auxquels les chercheurs font face sont communs à plusieurs domaines, qu’il s’agisse des sciences naturelles ou des sciences sociales ; l’accès aux ressources et aux infrastructures essentielles ; le financement de la promotion de nouvelles idées ou l’élaboration de plus grands projets ; des salaires et incitations insuffisantes ; le vieillissement du personnel enseignant et l’absence de la relève.

Cependant, plusieurs des solutions possibles se chevauchent, tout comme les cadres d’appui à ces solutions. Et dans de nombreux cas, elles sont toutes mises en oeuvre sur le même campus universitaire.

Il existe des initiatives entre institutions et disciplines dont le succès se vérifie par-delà les frontières, comme ces nouveaux réseaux qui relient les institutions africaines. Il s’agit, entre autres, du Consortium pour la formation à la recherche avancée en Afrique(CARTA)et de l’Initiative régionale pour la science et l’éducation (RISE).

Il existe également de nouvelles approches à la formation post-universitaire. Les programmes d’études ‘multisites’ ou en collaboration peuvent produire de meilleures résultats à moindres frais comparativement aux coûteuses bourses d’études à l’étranger, et l’échange de données sur Internet permet aux chercheurs installés sur plusieurs continents de collaborer.

Depuis 2007, en appui à cette initiative, l’Académie de Grande Bretagne et l’Association des universités du Commonwealth contribuent à la promotion d’une série de dialogues entre les universitaires africains et leurs homologues du Royaume-Uni, donnant naissance au désormais célèbre ‘processus de Nairobi’ pour le renforcement de la recherche dans les sciences humaines et sociales.

Récemment, une série d’initiatives ont été prises indépendamment du processus de Nairobi, regroupant des activités dispersées et servant de plateforme de débat de plus en plus large sur les stratégies de renforcement de la recherche dans les sciences humaines et sociales, et leur importance pour l’avenir de l’Afrique.

Culture du débat critique

De nombreuses initiatives sont de petite envergure. Il s’agit par exemple des ateliers de rédaction organisés par l’African studies Association de Grande Bretagne qui aident les jeunes chercheurs à publier,  ou de projets de partenariats pour soutenir l’échange de scientifiques et des programmes de recherche inter-régionaux.

D’autres initiatives sont plus ambitieuses, comme la collaboration intra-régionale qui prend corps dans le cadre de l’African Social and Governance Research, ou l’Ecole doctorale africaine qui a été lancée à l’Université de Stellenbosch, en Afrique du Sud, en janvier dernier.

Ces différentes initiatives à travers le continent contribuent à créer un sentiment d’optimisme. Elles ont prouvé que l’amélioration de la qualité et de la gamme de projets de recherche ne nécessite pas forcément de gros financements, de soutien à des projets de grande échelle ou de bourses en grande quantité, bien que ces éléments soient importants et utiles.

Surtout, ce sont les petites choses qui comptent. Les bonnes idées peuvent grandir sans dépendre de projets de grande envergure. .

C’est dans son département de recherche que le chercheur peut tirer, à titre personnel, le maximum de profit, et il s’agit autant d’instaurer la culture de la discussion et du débat critiques que de trouver de nouvelles ressources et sources de financement.

Accompagner un jeune étudiant de PhD vers les premières étapes de  sa carrière postdoctorale peut permettre de contribuer à l’émergence d’une nouvelle génération de chercheurs, et tirer ainsi profit de l’investissement placé dans sa formation.

Un bon tutorat de la part de professeurs expérimentés peut contribuer à la création de liens intergénérationnels essentiels pour la vitalité des départements de recherche. Et des politiques institutionnelles bien gérées peuvent permettre aux professeurs de disposer de temps et d’espace faire de la vraie recherche et de publier.

Les professeurs de sciences humaines et sociales n’ont pas besoin de laboratoires coûteux dont auraient besoin leurs confrères des sciences naturelles. Mais certaines de ces petites initiatives peuvent être d’une immense utilité pour les chercheurs dans tous les domaines.

Jonathan Harle est chargé de programme (recherche) à l’Association des universités du Commonwealth à Londres, au Royaume-Uni.