24/01/14

Analyse: Les enjeux de la politique spatiale africaine

Satellite in Niamey
Crédit image: Flickr/ARM Climate Research Facility, Kim Nitschke

Lecture rapide

  • L’utilisation croissante des technologies spatiales en Afrique nécessite une réglementation
  • Le document de politique spatiale africaine devrait être prêt en octobre
  • Les décideurs doivent apporter des réponses aux questions que pose la technologie spatiale, notamment l’échange de données.

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L’Université technologique de la péninsule du Cap (CPUT) ne fait pas partie des plus grandes universités de recherche d’Afrique du Sud. Elle n’a pas non plus une solide et longue réputation d’excellence en matière d'ingénierie.
 

Cependant, l’an dernier, elle est devenue la première université africaine à mettre en orbite le microsatellite ZACUBE-1, qui a été propulsé dans l’espace sur le dos d’une fusée russe le 21 novembre, et dont la mission est de surveiller la météo de la haute atmosphère.

Qu’une université modestement équipée comme la CPUT ait pu construire et lancer un microsatellite de 10 cm3 constitue une preuve que cette technologie  coûte de moins en moins cher et devient plus accessible. La semaine où ZACUBE a été lancé, plus de cinquante autres satellites appartenant à des pays non-africains ont également été placés en orbite.

Cette prolifération offre aux pays africains l’occasion de mettre à profit les technologies satellitaires comme le Système mondial de localisation (GPS) et la télédétection pour la mise en œuvre de projets comme la modélisation des maladies, la  gestion des catastrophes ou les prévisions météorologiques. Mais elle induit aussi l’urgente nécessité d’une coordination et de régulation des activités spatiales aux niveaux national et continental.

La réponse africaine

L’Afrique n’échappe pas à ces exigences. Le mois dernier, des responsables venus de tout le continent se sont rencontrés à Pretoria en Afrique du sud pour l’examen du projet de politique spatiale africaine longtemps attendue.

Ce projet fixe deux objectifs politiques majeurs pour le continent: d’abord, utiliser les technologies et les sciences de l'espace pour améliorer la qualité de vie des Africains, et créer des richesses. Ensuite, il entend renforcer les capacités africaines dans le domaine des technologies de l'espace afin de créer une industrie spatiale locale capable de satisfaire les besoins du marché africain.

Il souligne la nécessité de tirer profit des infrastructures et projets existants pour atteindre ces objectifs. C’est pour cela que des pays comme le Nigéria et l’Afrique du sud qui ont déjà certaines capacités en la matière, joueront un rôle important dans la mise en œuvre de cette politique.

Le projet entend également assurer la coordination des activités fragmentées qui se déroulent sur le continent. Cela passe non seulement par l’évaluation des besoins de l’industrie spatiale africaine en herbe, mais aussi la mise en place de structures de bonne gouvernance et de gestion.

L’utilité d’une agence

Mais ce projet ne  précise pas clairement qui est responsable de la mise en œuvre de ces activités.

Il évoque simplement la mise en place d’un "cadre organisationnel" continental pour l’intégration des capacités et des ressources spatiales qui serait chargé du suivi des activités africaines afin de garantir leur conformité avec les règles internationales et de coordonner le plan spatial continental.

Il est difficile de dire si le cadre ainsi proposé sera un simple programme interne à une agence de coordination des activités spatiales nationales, ou s’il prendra la forme d’une véritable Agence spatiale africaine.

“ Le débat autour de la politique et de la stratégie africaines de l’espace doit s’assurer que les programmes élaborés pour la coordination des activités spatiales africaines ne retardent pas, en définitive, leur mise en œuvre.”

Linda Nordling

« Le débat autour de la politique et de la stratégie africaines de l’espace doit s’assurer que les programmes élaborés pour la coordination des activités spatiales africaines ne retardent pas, en définitive, leur mise en œuvre ».

La deuxième option consisterait à imiter le programme européen dans le cadre duquel l’Agence spatiale européenne (ESA) a été créée en vue de promouvoir l’investissement et durabilité des activités spatiales des pays membres. L’ESA a également permis la naissance d’un plus grand marché de l’espace en Europe, ce qui a favorisé d’importants investissements publics.

Une agence africaine aurait plus d’influence et de présence qu’un simple programme. Mais elle pourrait poser de nombreux problèmes de ressources (qui paierait son personnel et ses locaux?) et des problèmes politiques (où serait-elle basée ?), ce qui peut entraîner des retards dans sa mise en place et le démarrage de ses activités.

A court terme, des investissements substantiels dans la science, la technologie, l’ingénierie et l’enseignement des mathématiques et la formation au profit des jeunes africains, combinés à une hausse progressive mais constante du financement des activités spatiales pourrait donner de meilleurs résultats comparativement à une initiative commune.

Echanger, mais équitablement

L’autre question délicate concerne l’échange de données. Le projet exhorte les pays à se doter de capacités suffisantes dans le domaine des technologies spatiales, comme l’ont fait le Nigéria et l’Afrique du Sud,  et à adopter des protocoles d’échange de données afin de permettre aux pays qui ne disposent pas de telles capacités d’utiliser ces données.

En échange, il y’aurait une forme d’appui – financier ou autre – des bénéficiaires de cette « démocratie des données » aux pourvoyeurs de données, même s’il reste à préciser s’il s’agira d’une contribution volontaire, ou, si elle sera obligatoire, et qui fixera le niveau de cet appui.

Mais, même si les gouvernements du monde entier disent adhérer au principe de l’échange de données en tant qu’obligation morale, la réalité de la technologie spatiale se réduit souvent à des considérations de prestige ou de sécurité nationale.

« De nombreux gouvernements prônent la collaboration à divers niveaux, mais en coulisses, personne ne veut “partager” l’espace », affirme Khalid Manjoo, responsable de l’assemblage, de l’intégration  et de l’essai des satellites chez Space Advisory Company à Stellenbosch en Afrique du Sud.

Les priorités communes                                  

Le débat va se poursuivre autour de ce projet de politique en vue d’en finaliser le contenu avant la prochaine Conférence des ministres africains de la science et de la technologie prévue en octobre ou en novembre 2014 en Namibie.

Une fois que les ministres de la science auront donné leur aval au projet, il sera présenté  au Sommet des Chefs d’Etat  et de gouvernement de l’Union africaine pour approbation.

Etant donné que la politique en matière de science spatiale peut être instable, les décideurs africains ont bien fait de mettre l’accent sur les priorités communes qui profitent à tous les pays concernés.
Mais, ils doivent se garder de ne pas élaborer des programmes irréalisables, compte tenu surtout du faible niveau des activités spatiales et des capacités technologiques africaines.

Le débat autour de la politique et de la stratégie africaines de l’espace doit s’assurer que les programmes élaborés pour la coordination des activités spatiales africaines ne retardent pas, en définitive, leur mise en œuvre.

Les décideurs doivent s’inspirer des projets spatiaux couronnés de succès comme le lancement du microsatellite de la CPUT, et voir comment de telles activités peuvent être promues, tout en apportant de la valeur ajoutée par un regroupement des activités spatiales africaines et l’extension du marché africain de l’espace.

Linda Nording La journaliste Linda Nordling, qui travaille au Cap, en Afrique du Sud, est spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement. Elle a été rédactrice en chef de Research Africa et collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net), Nature, etc.

Cet article est une production de la rédaction Afrique subsaharienne.