05/10/11

Analyse: Donner l’alerte sur les catastrophes ne se résume pas à la science

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Pour Linda Nordling, la famine qui frappe la Corne de l'Afrique remet en cause le bien-fondé de l'investissement dans les systèmes d'alerte rapide si on ne peut améliorer leur utilisation.

La déclaration par l'ONU de l'état de famine dans la Corne de l'Afrique en juillet dernier  était sans surprise pour un groupe de chercheurs. En août 2010, en effet, le Réseau de systèmes d'alerte précoce sur la famine (en anglais, Famine Early Warning Systems Network ou FEWS NET) financé par l'USAID avait publié une prévision de faibles précipitations de mars à mai de cette année.

Les dizaines de milliers de personnes qui sont décédées depuis en Afrique orientale, et les millions d'autres qui restent affamées, constituent une sévère mise en accusation quant à la capacité des alertes précoces scientifiques témoignant de catastrophes à venir à changer le sort des personnes les plus vulnérables sur le continent.

A mesure que des données scientifiques africaines plus nombreuses et de meilleure qualité rendent les prévisions plus faciles, il faudra faire plus d'efforts pour comprendre et améliorer la mise en application des alertes précoces aux niveaux local, national et international.

Pourquoi les alertes ont-elles échoué ?

Alors pourquoi l'alerte aux pluies n'a-t-elle pas permis d'éviter la catastrophe dans la Corne de l'Afrique ? Ce problème comporte de multiples facettes et n'est pas facile à aborder.

Intervenant dans Nature, Chris Funk, chercheur de FEWS NET énumère un certain nombre de raisons, allant des recherches contradictoires sur le climat prévoyant des conditions plus humides en Afrique orientale, aux obstacles politiques (en particulier la guerre en Somalie) et à la croissance démographique rapide de la région qui est supérieure aux rendements agricoles. [1]

Pour Funk, la réponse à donner réside dans le recours accru à la science et l'amélioration des pratiques agricoles en vue d'améliorer les rendements dans les zones exposées à la sécheresse et aux pénuries alimentaires. Œuvrer dans le sens d'une stratégie à long terme plus durable pour nourrir la population de la région permettra de limiter la nécessité d'une intervention d'urgence, juge-t-il.

Alors que la grande partie des journalistes ont mis l'accent sur l'incapacité de la communauté internationale à réagir, Funk, pour sa part, insiste sur ce qu'il faut faire en Afrique pour améliorer l'absorption.

Il a raison. L'incapacité des alertes précoces à se faire entendre à tous les niveaux décisionnels africains est un problème plus grave que celui de la mobilisation des secours d'urgence, elle-même critiquée par de nombreux observateurs parce qu'elle crée une culture de dépendance dans des régions auto-suffisantes par le passé.

Fini les mauvaisesdonnées

La forte avancée scientifique de la dernière décennie en Afrique a amélioré la compréhension de son climat, des maladies qui y sévissent et de ses systèmes politiques et économiques.

Ce flot de données a produit une foule de modèles mathématiques, et les systèmes sont maintenant en place — ou en cours de mise en place – pour prédire la variabilité des prix alimentaires, les épidémies de paludisme, les inondations et même les conflits armés.

Tous sont annoncés comme étant des outils susceptibles de révolutionner la réponse du continent aux situations d'urgence.

Mais FEWS NET n'est pas le seul à peiner à atteindre les objectifs fixés et répondre aux attentes. Le mois dernier, en effet, l'agence nigériane de gestion des situations d'urgence a accusé les gouvernements d'Etats d'avoir ignoré les pré-alertes aux inondations qui ont fait plus de 140 morts environ et laissé des dizaines de milliers de sans-abri.

Au Nigeria, le problème a été l'incapacité d'administrations d'Etats de se conformer aux instructions des alertes en débouchant les écluses et en évacuant les personnes vivant dans les plaines inondables.

Le maillon faible

Des obstacles semblables ont entravé l'alerte à la famine dans la Corne de l'Afrique. "Le lien entre  l'alerte précoce et la réaction est faible", se lamente Gideon Galu, un chercheur au service de FEWS NET basé à Nairobi, au Kenya.

FEWS NET a beau collaborer avec les décideurs dans les gouvernements nationaux pour que ses conclusions soient entendues, le contact avec les autorités locales et les communautés rurales dépend des structures des gouvernements nationaux, explique-t-il.

Le Kenya, ainsi, dispose d'un groupe d'orientation sur la sécurité alimentaire qui transmet des informations scientifiques aux décideurs. Les organisations non gouvernementales et d'autres partenaires peuvent participer à des réunions et parvenir à un consensus sur l'ampleur et la gravité d'un problème.

Mais le dernier maillon de la circulation de l'information est problématique au Kenya et en Ethiopie, et il est particulièrement faible dans des pays comme la Somalie où la gouvernance est fragile. Il y a peu de moyens et de réseaux de diffusion d'informations pour s'assurer que les messages arrivent au niveau local.

Ces défaillances illustrent un obstacle majeur que de nombreux pays africains doivent surmonter. L'impact des systèmes scientifiques d'alerte précoce dépend de la capacité (et peut-être de la volonté) des gouvernements de transformer les alertes en préparation sur le terrain.

Quand trop d'alertes tue l'alerte

Avec le temps, la communauté responsable des alertes précoces tirera les leçons de ses erreurs et établira des réseaux solides qui s'étendent au niveau communautaire — une activité à laquelle se livre FEWS NET.

Ce réseau œuvre également pour la réduction de la vulnérabilité sous-jacente aux crises alimentaires par le biais du programme américain Feed the Future (Nourrir le futur), qui consiste en des investissements de US$ 3,5 milliards dans le renforcement de l'agriculture en Ethiopie, au Kenya et dans d'autres pays.

De meilleurs liens avec le gouvernement local et les communautés rurales amélioreront également la capacité de FEWS NET en matière de collecte des données sur des variables telles que la pluviométrie et la température, facilitant la prévision dans les deux sens, ajoute Gulu. "Ils sont à présent en mesure de nous fournir des données supplémentaires sur ce qui se passe sur le terrain", poursuit-il.

Mais il y a un inconvénient : l'explosion des systèmes d'alerte précoce signifie que les alertes individuelles pourraient se transformer en une cacophonie d'appels à des mesures d'urgence qui se font concurrence pour l'attention des décideurs et leurs ressources limitées.

Une telle situation compliquerait davantage l'identification des alertes crédibles et la prise des mesures appropriées.

A l'avenir, un système d'alerte bien intégré aux décideurs et aux lignes de communication fonctionnelles avec les responsables locaux est susceptible d'être efficace – bien plus que celui dans lequel tous les fonds ont été investis pour l'amélioration de la science, alors que la capacité de tirer bon parti des preuves récoltées a été négligée.

La journaliste Linda Nordling, spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement travaille au Cap, en Afrique du Sud. Rédactrice en chef de Research Africa, elle collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) et collabore à des journaux comme Nature, etc.

Références

[1] Funk, C. We thought trouble was coming, Nature, 476, 7 (2011)

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