13/06/11

Analyse africaine : Une mine d’or d’informations sur la R&D africaine à ne pas rater

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Pour Linda Nordling, le nouveau rapport de l'UA sur la recherche et l'innovation en Afrique est un véritable trésor d'informations, et mérite plus d'intérêt de la part des médias.

Les données ‘fiables’ sont rares en Afrique, et en général les journalistes doivent se contenter d’estimations approximatives et de feuilles de calcul à moitié vides. C’est pourquoi nous devons passer au peigne fin les nouvelles données qui sont publiées, n’est-ce pas?

Et bien il semble que non. Le mois dernier, l’Union africaine a enfin publié son premier rapport sur les Perspectives de l’innovation africaine, une enquête sur les activités de recherche, de développement et d’innovation. Il est vrai qu’il contient des statistiques sur la recherche et développement (R&D) pour seulement 13 des 50 pays d’Afrique, mais il contient les données les plus détaillées des dépenses scientifiques du continent.

Pourtant, jusqu’à présent, le traitement de ce rapport par les médias a été décevant, une réaction d’autant plus surprenante qu’il représente un véritable trésor d’informations. Parmi les conclusions les plus surprenantes figure le fait que trois pays, l’Afrique du Sud, l’Ouganda et le Malawi, ont consacré plus de 1 pour cent de leur PIB à la R&D en 2007. Le Malawi affirme contre toute attente y avoir consacré 1,6 pour cent de son PIB, un chiffre qui reste à vérifier.

En outre, le fait d’apprendre que seulement 72 des 7 000 Kenyans qui travaillent dans la R&D sont titulaires d’un PhD, soit moins du quart des PhD tanzaniens et moins de la moitié de PhD tanzaniens dans le secteur, est tout aussi surprenant, et devrait susciter quelques interrogations dans les cercles scientifiques et technologiques au Kenya.

Ces statistiques ont-elles été verifiées ?

Les journaux nationaux ignorent les chiffres

Ce rapport a bénéficié d’une couverture correcte de la part de certains organes de presse. Les sites d’information spécialisés dans la science et les questions universitaires comme Nature, University World News, Research Africa, basé au Cap, et SciDev.Net ont tous analysé le rapport dans le détail.

Il est tout de même encourageant que cette enquête ait bénéficié également d’une couverture, meme discrète, de la part des principaux journaux africains. Il ressort des recherches effectuées sur Google que The Citizen, un quotidien tanzanien, a publié un court article sur le sujet, ainsi que Accra Mail, au Ghana, et les agences de presse du Sénégal et de l’Angola. Mais plusieurs de ces articles font une lecture décevante de cette actualité. Pour la plupart, ils insistent sur le lancement du rapport plutôt que son contenu. Et aucun article n’a analysé les données dans une perspective nationale.

Il est surprenant que l’article de Citizen ne cite qu’un chiffre, 136, qui correspond au nombre de pages du rapport. Quant au chiffre qui revient le plus fréquemment dans les articles parus dans les médias nationaux, c’est 19, soit le nombre de pays ayant participé à l’enquête.

Où sont les articles qui devraient s’interroger sur les raisons des performances remarquables du Malawi? Et où est cet article qui devrait s’interroger sur la faiblesse du nombre de PhD travaillant dans la recherche au Kenya ?

Et comme si cela ne suffisait pas, la plupart des articles parus dans les principaux journaux ont également mis l’accent sur l’annonce du lancement de la deuxième phase de l’Initiative africaine sur les indicateurs de la science, de la technologie et de l’innovation (ASTII), qui est à l’origine du rapport, avec comme principal message la nécessité ‘d’investir davantage’ dans la science et la technologie.

C’est un traitement ennuyeux et superficiel qui ne rend pas justice aux données fiables présentées dans le rapport, que les journalistes auraient du prendre le temps d’analyser.

Au-delà des communiqués de presse

Pourquoi ces articles ont-ils ignoré l’information essentielle ?

L’une des raisons est probablement liée au fait que la plupart des articles de journaux nationaux étaient basés sur les dépêches de l’Agence panafricaine de presse (PanaPress) et les communiqués de presse du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). En effet, la plupart des articles reprennent ces sources mot pour mot.

Ni PanaPress ni le NEPAD ne parlent de la plupart des conclusions du rapport, ce qui explique aussi la rareté des données dans les articles des journaux nationaux.

Mais pourquoi après avoir pris connaissance des communiqués de presse, ou de l’article de PanaPress aucun journaliste ne s’est demandé ce que contenait réellement ce rapport ?

Les articles relatifs aux indicateurs de la science et de l’innovation ne sont probablement pas une priorité pour la plupart des rédactions africaines. Mais dès lors que les capacités en R&D servent souvent de critère de compétitivité, la publication de tels rapports sur d’autres continents engendrerait un vif intéret dans la presse économique et la presse technologique.

De plus, dans la mesure où les sources de données sont si rares sur le continent, la plupart des journalistes ne comprennent peut-etre pas que les statistiques peuvent être des mines d’or.

Il est par ailleurs are que les rapports, même leurs résumés analytiques, ne soient mis en ligne dès leur publication. Par conséquent, peu de journalistes ont peut-être pensé à consulter le site Internet du NEPAD, où figurait le résumé du rapport.

Surmonter la phobie des chiffres

Christina Scott, rédactrice en chef de Research Africa et pilier du journalisme scientifique africain, pense que l’absence de maîtrise des chiffres chez les journalistes est une autre cause.

Les journalistes ont une peur bleue des chiffres. C’est pour cela que beaucoup d’articles, y compris en Afrique du Sud, publient qu’ ‘untel a participé à la réunion’ ou ‘untel a objecté à ceci ou cela’ sans livrer de données ou de chiffres, qui, pour eux, n’ont peut-etre pas d’intéret.

La non maîtrise des chiffres par les journalistes ne se limite pas au continent africain. On la retrouve, par exemple, dans la plupart des salles de rédaction de Grande Bretagne. Les diplômés en journalisme sont titulaires de licences d’anglais ou de sciences politiques, mais pas de filières scientifiques. Et partout, la plupart des journalistes doivent apprendre à surmonter leur peur des chiffres en la salle de rédaction, parfois auprès d’un collègue chevronné qui leur enseignera quelques astuces.

Vu les mauvaises performances des gouvernements africains dans la production et le partage de données, il n’est pas surprenant que les journalistes du continent n’aiment pas les chiffres, même lorsqu’ils sont disponibles. Cette situation peut servir de point de départ pour un journalisme d’investigation indépendant. L’amélioration de la formation en journalisme scientifique peut aider les rédactions africaines à prendre conscience du problème. Avec l’apparition d’une abondance de données et la mise en ligne des données par certains gouvernements, cette ignorance doit cesser.

Le rapport sur les Perspectives de l’innovation africaine, qui s’inscrit dans le cadre d’une mesure pour les investissements en R&D sur un continent qui lutte pour son développement, mérite certainement plus d’attention.

La journaliste Linda Nordling, spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement travaille au Cap, en Afrique du Sud. Rédactrice en chef de Research Africa, elle collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) et collabore à des journaux comme The Guardian, Nature, etc.