04/11/11

Analyse africaine: Passez au vert par pragmatisme et non par profit

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Pour Linda Nordling, le pragmatisme doit éclipser l'appât du profit lorsque les dirigeants africains s'engagent pour un programme de développement vert.

Imaginez l'année 2060. Trois innovations technologiques ont fait évoluer en profondeur le développement de l'Afrique. La biotechnologie agricole a augmenté la productivité des agriculteurs et réduit considérablement l'utilisation des pesticides et de l'eau. La recherche sur les médicaments a permis de développer des outils de diagnostic bon marché et efficaces et des traitements pour des maladies telles que le paludisme et la schistosomiase, qui frappent durement la région. Enfin les fleuves, le vent et le soleil d'Afrique produisent en abondance une énergie propre et bon marché.

Une vision rose de l'avenir? Peut-être. Mais la Banque africaine de développement la considère comme un tableau raisonnable de ce que pourrait être l'Afrique dans un demi-siècle. Dans un rapport publié récemment, "L'Afrique dans 50 ans – Le chemin vers la croissance inclusive", elle cite l'innovation technologique comme étant l'une des trois forces motrices du changement qui permettront à l'Afrique de relever les défis de la pauvreté, des changements climatiques et des migrations. [1]

Ce rapport semble indiquer que les pays africains emprunteront des chemins de développement durable pour parvenir à cette vision. Cela comprendrait un programme de 'croissance verte', mettant l'accent sur la production d'énergie propre et des pratiques agricoles et industrielles durables.

L'engagement de l'Afrique sur la voie du développement durable dépend de la volonté des gouvernements a renoncer — si nécessaire — aux avantages financiers immédiats en faveur de la durabilité à long terme pour leurs économies. Selon une déclaration récente des ministres sur le continent, cette volonté est pratiquement garantie.

Les Africains solidaires

La position commune du continent a été négociée dans la perspective des négociations mondiales sur le développement durable, prévues en juin prochain à Rio de Janeiro, au Brésil. Cette conférence internationale, appelée Rio +20, intervient 20 ans après le premier Sommet de la Terre, qui s'est tenu dans la même ville en 1992.

La 'déclaration de consensus' de l'Afrique sur Rio +20 a été le résultat majeur d'une série de réunions tenues à Addis-Abeba, en Ethiopie, le mois dernier, centrées sur le développement 'vert' en Afrique. Elle doit être formellement approuvée par les chefs d'Etat africains au début de l'année prochaine. Mais elle est déjà un signal clair de ce que sera la  position de l'Afrique dans ces négociations.

Cette déclaration adopte un ton positif en ce qu'elle impose aux gouvernements africains de s'approprier leurs programmes de développement durable. "Nous reconnaissons que les pays africains sont principalement responsables de la conduite de leur propre agenda de développement durable", dit-elle.

Les pays s'engagent également à accroître les investissements dans la science, la technologie et l'innovation "afin de s'assurer que l'Afrique n'est pas en retard dans la course aux technologies vertes", et de laisser les priorités de développement durable guider leurs plans nationaux de développement.

L'argent

Cependant, quand on en vient à l'aspect financier des choses, il incombe toujours aux pays développés d'honorer les engagements qu'ils ont pris par le passé et de s'assurer que l'adoption par l'Afrique d'un programme de développement vert n'affecte pas négativement la compétitivité du continent.

En effet, les exigences que les pays africains ont l'intention de présenter à la conférence de Rio+20  ressemblent à une énumération des engagements pris par les pays développés envers les pays en développement au cours de la dernière décennie, parmi lesquelles les promesses faites depuis le sommet du G8 de Gleneagles en 2005, de meilleures règles commerciales pour les pays en développement et la résolution des problèmes de dette des pays en développement.

"Malgré la nécessité d'accroître les efforts locaux, l'Afrique seule ne peut pas relever le défi du développement durable, en particulier face à des questions nouvelles et émergentes telles que les changements climatiques et la crise financière et économique mondiale. Nous demandons donc a la communauté internationale de respecter ses engagements sur les transferts de ressources financières et technologiques", indique la déclaration.

Est-ce rentable?

En tempérant les appels au soutien financier et en promettant de s'engager résolument pour le développement durable, la position de l'Afrique dans les négociations témoigne d'une bonne stratégie diplomatique. Néanmoins, fonder tous les espoirs sur le respect de  leurs engagements financiers par les pays développés grâce à ce choix de développement vert est risqué.

D'autant plus que les bénéfices locaux à court terme peuvent se trouver menacés. En effet, si de nombreux partisans de la croissance verte assurent que les industries vertes surclasseront les entreprises travaillant avec des solutions technologiques plus anciennes, certains universitaires estiment que l'Afrique devrait rester, tout compte fait, à l'écart des 'investissements verts'

Dans un exposé présenté à Addis Abeba et intitulé "Les investissements verts favorisent-ils la croissance de la productivité?", Salifou Issoufou et Nama Ouattara, de l'Université de Paris 11, en France, ont analysé les données sur la période 1987-2007 provenant de 46 pays. Ils ont conclut qu'une croissance de 1 pour cent des investissements verts au cours de cette période correspond  à la réduction de la croissance de la productivité de 0,23 pour cent. [2]

"Au regard des impacts négatifs des investissements verts, les pays africains peuvent etre contraints de renoncer aux questions liées aux changements climatiques dans leur quête d'industrialisation", ont-ils déclaré à la réunion.

Le pragmatisme plus important que les profits

Ces études sont sans aucun doute a l'origine des cauchemars du secrétariat de Rio +20, basé à New York, aux Etats-Unis. Si le 'virage écologique' est considéré comme un coût pour la productivité, et donc pour la croissance économique, les pays — en particulier ceux en développement — seront réticents à franchir le pas et à s'engager sur une voie du développement durable, pourtant nécessaire, notamment à long terme.

C'est pourquoi, lorsqu'ils se réuniront pour arrêter leur position commune pour le Rio+20, les chefs d'Etat africains devront insister sur la réalité des défis auxquels le continent est confronté, et sur l'impératif moral de s'y attaquer, autant que sur l'assise financière de leur engagement envers le développement vert.

Ils doivent faire preuve de pragmatisme en se rendant compte que l'alternative — impliquant potentiellement des ressources surexploitées et la dégradation de l'environnement – est peu susceptible de conduire à un avenir prometteur pour l'Afrique d'ici 2060, malgré l'optimisme de la Banque africaine de développement.

La journaliste Linda Nordling, spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement travaille au Cap, en Afrique du Sud. Rédactrice en chef de Research Africa, elle collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) et collabore à des journaux comme Nature, etc.

Références

[1] What will Africa be like in 2060? (African Development Bank Group, 2011)
[2]
Africa’s industrialisation through green growth. (African Development Bank Group, 2011)