28/07/09

Analyse africaine : comment mobiliser les scientifiques de la diaspora

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Linda Nordling écrit qu'après plusieurs décennies de tentatives aux résultats mitigés, la définition d'un modèle de collaboration pour mobiliser la diaspora scientifique africaine reste difficile.

Les milliers de scientifiques qui ont quitté l’Afrique sont animés par l'idée d’agir afin d’offrir quelque chose en retour pour le continent. Pourtant, déterminer le meilleur moyen pour ce faire n'a jamais été chose facile.

Pendant plus d'une décennie, diverses stratégies pour constituer des réseaux ont ainsi été poursuivies. Propulsés soit par des individus, par des gouvernements africains ou des bailleurs de fonds étrangers, ces réseaux entendent mobiliser la ‘diaspora scientifique’ afin qu’elle puisse contribuer au développement du continent.

Ces diverses initiatives ont dressé plusieurs répertoires de contacts et organisé des réunions d’échange. Or, transformer ces initiatives en collaborations fructueuses, en établissant par exemple des projets conjoints, favorisant le partage des infrastructures ou supervisant les étudiants de niveau doctoral, s’est avéré bien plus complexe.

Ainsi, certains des premiers réseaux se sont vite essoufflés, les financements et l'enthousiasme initiaux épuisés. D’autres encore n’en sont restés qu’au stade de simples 'réseaux d'amis', contribuant peu à la mise en oeuvre de projets scientifiques conjoints ou de transfert des technologies (voir Can the scientific diaspora save African science?).

Malgré ces espoirs déçus, la volonté de mobiliser la diaspora demeure inchangé.

Un enthousiasme renouvelé

L’Institut scientifique africain (African Scientific Institute ou ASI), une organisation de réseautage basée en Californie, a récemment organisé une conférence dont l'objectif était d’identifier la meilleure stratégie permettant de mobiliser la diaspora. La réunion, tenue au siège de l'UNESCO à Paris en France du 29 juin au 1er juillet, a recommandé à l'Union africaine (UA) de confier un rôle officiel à l’ASI dans cette démarche.

Le voeu de l'ASI pourrait bientôt être exaucé. Cette semaine (26 juillet – 1er août), Jean-Pierre Ezin, commissaire aux Ressources humaines, Sciences et Technologies de l’UA, rencontrera les représentants de l'ASI aux Etats-Unis pour discuter de la contribution possible de l'ASI aux scientifiques africains de la diaspora cherchant à participer dans les programmes scientifiques du continent.

L’ASI aura peut-être à partager cet honneur avec l'Afrique du Sud. L'UA et d'autres institutions africaines, notamment la Commission économique pour l'Afrique et l'antenne locale de l'UNESCO, soutiennent un projet sud-africain de promotion de la création des réseaux avec la diaspora.

Le projet, financé par la Fondation nationale pour la Recherche d’Afrique du Sud et administré par le bureau Afrique du Conseil international pour la Science (ICSU), compte créer une base de données de chercheurs mais aussi identifier des sources de financement pour des projets conjoints.

Le financement initial devrait être assuré par les pays africains plutôt que par les bailleurs de fonds étrangers, si l'on en croit Sospeter Muhungo, Directeur de l'ICSU pour l'Afrique. Son institution recueille actuellement les adhésions des chercheurs pour un projet qu’il espère entré dans sa phase d'exécution d'ici janvier 2010.

Des conséquences imprévues ?

Le discours de Muhungo traduisent une inquiétude grandissante quant auxconséquences imprévues de la mobilisation de la diaspora. Ainsi, malgré les intentions louables des scientifiques de la diaspora, ces derniers risquent, grâce à leurs entrées auprès des bailleurs de fonds étrangers, de détourner involontairement l'agenda scientifique de l'Afrique.

L’Institut africain pour la Science et la Technologie (AIST) de l’Institut Nelson Mandela  illustre parfaitement ce sentiment croissant.

L'AIST est l'une des collaborations les plus ambitieuses entre bailleurs de fonds internationaux et scientifiques africains– qu’ils soient sur le continent ou émigrés. Fruit de l'imagination de scientifiques de renom vivant pour la plupart aux Etats-Unis, elle se veut conçue selon le modèle de l'Institut indien des Technologies, avec un campus dans chacune des régions du continent : en Afrique du Nord, de l’Est, de l’Ouest et en Afrique Centrale.

Le premier campus a été ouvert à Abuja, capitale du Nigéria, en 2007 avec le soutien de la Banque mondiale. Mais par la suite le projet semblait piétiner.

Il a été relancé cette année avec la nomination du personnel d'encadrement et le choix d’Arusha en Tanzanie comme site du second campus. Contrairement au campus d'Abuja, dirigé par une équipe nommée par la Banque mondiale, le nouveau campus sera géré par une équipe exclusivement tanzanienne.

Cette évolution coïncide avec une inquiétude plus fondamentale concernant les réseaux créés par la diaspora. Etant souvent dirigés, ou à tout le moins, financés par des chercheurs de la diaspora ou des bailleurs de fonds étrangers, ils ont tendance à renforcer les liens entre les Etats, recréant parfois des liens coloniaux.

Ainsi, des réseaux fructueux lient des chercheurs basés en France avec ceux de l'Afrique francophone. De même, le Brésil compte créer des réseaux avec des pays de l'Afrique lusophone comme l'Angola et le Mozambique.

Privilégier la collaboration interafricaine

Pour Mammo Muchie, ces réseaux, bien que bénéfiques à certains égards, empêchent les scientifiques africains de nouer des liens directs entre eux. Muchie est un chercheur éthiopien revenu s'installer sur le continent, même si c’est en Afrique du Sud, après de nombreuses passées au Danemark et en Grande-Bretagne.

Muchie s'emploie à mettre sur pied un cycle de formation doctorante en s'appuyant sur les Africains qui enseignent dans les universités à travers le monde. Mais plutôt que de faire appel aux grands bailleurs de fonds internationaux pour financer son fonctionnement, il se tourne vers la première puissance économique du continent.

‘Un pays comme l'Afrique du Sud ne doit pas réfléchir en termes de lusophone ou de francophone, il doit penser seulement africain’, déclare-t-il.

Que d'autres pays du continent refusent à l’Afrique du Sud le rôle de grand frère ne devrait pas être un motif d'inquiétude, ajoute-t-il. ‘Il vaut mieux que l'Afrique du Sud devienne le grand frère plutôt que de lointaines puissances émergentes, dont les intentions ou pratiques ne sont pas si claires lorsqu'il s'agit des relations avec l'Afrique’.

Sans aucun doute, la science africaine sortirait renforcée d'un accroissement des liens avec le reste du monde. Mais cela ne doit pas se faire aux dépens des efforts de création d'une communauté africaine de la recherche, au sein de laquelle des scientifiques venus de divers horizons pourront nouer des liens durables.

Le francophone Ezin devra garder cela à l'esprit pendant sa tournée à Washington.

Linda Nordling estl'ancienne rédactrice en chef de Research Africa.