24/11/15

La CEDEAO décide d’harmoniser sa politique agricole

Agriculture Sols (soil)
Crédit image: Flickr / Synergos Institute

Lecture rapide

  • Tous les acteurs constatent une dispersion des programmes et des financements
  • La CEDEAO va veiller à ce que tous les investissements respectent cette politique
  • Les partenaires s’engagent à aligner leurs appuis sur les principes de l’ECOWAP

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Au terme d’une conférence organisée du 17 au 19 novembre dernier à Dakar (Sénégal), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a décidé d’harmoniser sa politique agricole pour la rendre plus efficace.
 
Cette décision vient un peu en réponse aux critiques des acteurs et observateurs qui, faisant le bilan de la Politique agricole de la CEDEAO (ECOWAP) sont pour la plupart arrivés à la conclusion que celle-ci s’est caractérisée ces dix dernières années  (2005 – 2015) par un certain manque de coordination.
 
C’est l’ONG Oxfam International qui a donné le ton en publiant la veille de la conférence de Dakar un rapport intitulé : "ECOWAP : une politique morcelée".
 
Dans ce rapport, cette organisation dénonce "une politique régionale qui reste très morcelée" du fait qu’il existe "trois pôles régionaux en concurrence".
 
Les trois pôles en question sont la CEDEAO qui pilote l’ECOWAP, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS).
 
Le rapport indique à ce propos que de nombreux bailleurs de fonds mettent en œuvre leurs financements à travers d’autres institutions régionales, la CEDEAO n’assurant pas la coordination de ces projets qui ne sont dès lors que "faiblement" alignés sur les orientations de l’ECOWAP.
 
"C’est le cas par exemple du CILSS qui met en œuvre une part croissante des programmes à dimension régionale financés par les partenaires au développement ces dernières années", illustre le rapport.
 
"Alors que le CILSS est censé agir comme le "bras technique" de la CEDEAO sur la mise en œuvre de l’ECOWAP, les instances de la CEDEAO ne sont pourtant pas impliquées dans la conception de nombreux programmes régionaux mis en œuvre par le CILSS", peut-on lire.
 

"Approche contradictoire"

 
D’un autre côté, l’on apprend que le Programme décennal de transformation de l’agriculture et la sécurité alimentaire, adopté en 2014 par l’UEMOA est constitué de cinq axes et projets ; sauf que ceux-ci "ne font pas mention des programmes mobilisateurs adoptés par la CEDEAO, bien qu’ils en recouvrent très largement les domaines d’intervention".
 
Pire encore, ajoute le rapport, "sur certains projets, l’approche développée est même parfois contradictoire avec celle de la CEDEAO".
 
Jean-Jacques Gabas, chercheur au Centre de coopération en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), a remarqué lui aussi cette multiplicité des acteurs intervenant dans la politique agricole en Afrique de l’Ouest.
 
"Cette question de la multiplicité des organisations régionales en Afrique de l’Ouest et même ailleurs en Afrique est connue depuis longtemps. On retrouve cette situation névralgique suite à l’augmentation des financements après la crise alimentaire de 2008", analyse-t-il.
 
"Donc, conclut l’intéressé, l’idée qu’il y a une absence de coordination et de cohérence entre les groupes CILSS, UEMOA et CEDEAO est une réalité et un fait qu’il faut mettre en avant pour essayer de corriger cette absence de coordination."
 
Pour Adama Traoré, responsable du suivi-évaluation à l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en savane (APESS), "tout se joue sur un leadership inutile".
 
"Vous savez, énumère-t-il, on a la Politique agricole de l’UEMOA (PAU), on a l’ECOWAP qui concerne les quinze Etats de la CEDEAO, parmi lesquels les huit Etats de l’UEMOA. Alors, on se répète. C’est pour cela que nous avons appelé cela une cacophonie."
 
"Nos décideurs doivent comprendre que cette coordination est essentielle et que nous devons à terme avoir une seule politique agricole dans notre région ; et que toute initiative, d’où qu’elle vienne, doit être en cohérence avec cette politique", exhorte-t-il pour conclure.

Les institutions ont une autonomie pour mettre en œuvre leurs activités. Nous cheminons ensemble pour ce qui nous réunit et chacune met en œuvre à sa façon ce qui nous différencie ; mais, on fait tout pour minimiser les contradictions et les chevauchements

Alain Sy Traoré
Commission de la CEDEAO

 
Mais, du côté de la CEDEAO, on ne lit pas les choses exactement de la même façon, et on pense que tout dépend de la signification qu’on donne au terme "politique".
 
"Dans notre sens, la politique est l’ensemble des stratégies ou des mesures qui sont mises en cohérence les unes à côté des autres pour atteindre un objectif bien ciblé. Dès lors, la politique de l’ECOWAP ne peut pas être qualifiée de morcelée, " réagit Alain Sy Traoré, directeur de l’agriculture et du développement rural à la Commission de la CEDEAO
 
"Il est vrai qu’il y a une coexistence de l’ECOWAP avec la PAU qui est la Politique agricole de l’UEMOA. De ce point de vue, l’UEMOA qui est une entité autonome peut développer une politique spécifique à la communauté qui l’intéresse", concède-t-il néanmoins.
 
Mais, "l’ECOWAP qui est postérieure à la PAU et au cadre stratégique de sécurité du CILSS et qui a embarqué ces deux institutions dans sa définition et son adoption, intègre tous ces différents éléments", tient-il à préciser.
 
Alain Sy Traoré en veut pour preuve le fonctionnement du système d’information régional agricole de la CEDEAO (ECOAGRIS).
 
"ECOAGRIS prend en compte le système d’information de l’UEMOA et il intègre d’autres dispositifs d’information existants, et nous avons mandaté le CILSS qui exécute actuellement ce projet. Donc, nous définissons la politique et nous la donnons au CILSS pour sa mise en œuvre. Il n’y a donc pas de chevauchement", affirme-t-il.
 
Soulignant que "à l’étape d’aujourd’hui, on ne peut pas empêcher une institution autonome, autre que la Commission de la CEDEAO, de développer son propre plan de travail, son plan d’action et ses stratégies spécifiques".
 
"Les institutions ont une autonomie pour mettre en œuvre leurs activités. Nous cheminons ensemble pour ce qui nous réunit et chacune met en œuvre à sa façon ce qui nous différencie ; mais, on fait tout pour minimiser les contradictions et les chevauchements", conclut-il.
 

"Gaspillage de ressources"

 
En tout cas, pour Oxfam, ce trop-plein d’acteurs et d’initiatives différentes entraîne une dispersion des ressources et limite l’efficacité de la politique agricole dans cette sous-région.
 
"Il y a eu un gaspillage des ressources qui sont venues en rangs dispersés, avec des références différentes les unes des autres. Et l’impact qui aurait pu venir de l’argent investi n’a pas été obtenu, ou ne l’a été qu’à moitié", note Imma de Miguel, chargée de programme régional Justice économique chez Oxfam Afrique de l’Ouest, l’un des auteurs de l’étude.
 
Pour Jean-Jacques Gabas, cette situation peut avoir un effet négatif parce qu’une multiplicité de programmes "va générer des réunions et des coûts de coordination très importants. Il y a des coûts fixes qu’on pourrait réduire s’il y avait coordination, afin qu’une plus grande partie des financements aillent vers ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les agriculteurs".
 
Pour ces observateurs, ce problème associé au manque d’indépendance financière est suffisant pour éclipser les progrès brandis par la CEDEAO comme ayant été réalisés ces dernières années avec la contribution d’ECOWAP.
 
A l’instar de l’amélioration de la sécurité alimentaire : "la plupart des pays ont réussi à diviser au moins par 2 leur taux de prévalence de la malnutrition (de 25% en 1991 à 15% en 2014). La disponibilité alimentaire s’est améliorée dans tous les pays", peut-on lire dans l'un des documents qui ont sanctionné la conférence de Dakar.
 
Un document qui contient aussi les engagements pris par les différentes parties pour les dix prochaines années.
 
Par exemple, la CEDEAO s’engage à "s’assurer que les investissements publics et privés (…) respectent les orientations de l’ECOWAP".
 
Tandis que les partenaires techniques et financiers s’engagent à "aligner, harmoniser et coordonner l’ensemble de leurs appuis régionaux au développement agricole et à la sécurité alimentaire avec les orientations, objectifs, principes, programmes et actions de l’ECOWAP".
 
Reste à résoudre l’équation que représentent ces Etats qui ne sont membres que d’une seule ou de deux seulement de ces trois regroupements régionaux…