14/10/11

Eradication des maladies : un objectif ambitieux mais mobilisateur

Les moustiquaires imprégnées et les médicaments à base d'artémisinine ont placé l'éradication du paludisme à portée de main. Crédit image: Flickr/World Bank Photo Collection

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Mettre l'accent sur les mesures nécessaires à l'éradication du paludisme, et non juste son contrôle, permet d'élargir et de renforcer l'appui aux programmes de recherche en santé.

La semaine prochaine à Seattle aux Etats-Unis, un nouveau forum sur le paludisme sera hébergé par la Fondation Bill et Melinda Gates, et mettra l'accent sur les stratégies de lutte contre cette maladie, particulièrement en Afrique. Trois séances sur l'élimination et l'éradication de la maladie figurent au programme, dont l'intitulé, 'Forum sur le paludisme : optimisme et urgence' résume bien l'état actuel de la réflexion sur la question.

Cette réunion succède à celle tenue à Londres la semaine dernière, au cours de laquelle le Centre Carter, une fondation créée par l'ancien président américain Jimmy Carter, a annoncé qu'elle a contribué à faire reculer le nombre de malades de la dracunculose de 3,5 millions en Afrique et en Asie au cours des années 80 à moins de 2000 aujourd'hui. L'objectif d'élimination de la maladie d'ici 2015 semble en phase d'être atteint.

Les progrès enregistrés dans la lutte contre le paludisme [1, 2] et la dracunculose encouragent ceux qui travaillent sur d'autres maladies infectieuses à réfléchir au développement d'une stratégie permettant de passer du traitement et du contrôle à l'élimination, voire à l'éradication totale de ces fléaux dans de vastes régions du monde.

Il règne un certain scepticisme autour d'un tel changement d'orientation. Certains soulignent les énormes problèmes logistiques qui vont se poser, surtout avec les maladies difficiles à diagnostiquer ou dont la prévalence n'est pas bien maîtrisée.

D'autres rappellent les risques d'une perte de confiance du public au cas où des objectifs d'une grande visibilité n'étaient pas atteints. D'autres encore craignent que de telles initiatives n'engloutissent des ressources qui seraient mieux utilisées si elles étaient consacrées à d'autres mesures de contrôle.

Pourtant, cibler l'élimination ou l'éradication pourrait permettre de clarifier quels sont les engagements financiers nécessaires pour obtenir un meilleur impact, notamment dans des cas où les stratégies de traitement et de prévention se sont avérées relativement efficaces à une échelle réduite ou régionale, comme pour le paludisme. Cela pourrait également stimuler des efforts scientifiques supplémentaires, tout aussi nécessaires.
 

Les obstacles à l'éradication


Quand l'idée d'éradiquer le paludisme a pour la première fois été évoquée par la Fondation Gates lors de son forum sur la maladie en 2007 à Seattle, elle a suscité chez certaines personnes des doutes sur le bien-fondé de l'objectif. "On a eu le sentiment généralisé d'un objectif très déconnecté de la réalité", selon les mots d'un des participants à un débat organisé à l'occasion du 7è Congrès européen sur la médecine tropicale et la santé internationale, organisé la semaine dernière à Barcelone en Espagne.

Certains se souviennent des précédents efforts d'éradiquer le paludisme, déployés au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale avec un recours généralisé au DDT, et à des médicaments comme la chloroquine. Malgré quelques succès enregistrés au plan local, la menace de santé publique a resurgi dans les années 80 et 90 avec le développement de résistance au DDT par le moustique, vecteur de la maladie.

Les obstacles à l'éradication d'une maladie ne sont pas toujours d'ordre scientifique. Ainsi, les efforts d'éradication de la polio ont été freinés par la suspicion créée dans le Nord du Nigéria autour de l'utilisation de vaccins produits dans le monde industrialisé. Cette maladie se répand à nouveau dans plusieurs pays africains.

Ces deux échecs ont donné lieu à des critiques, selon lesquelles les campagnes d'éradication sont politiquement motivées, mais scientifiquement injustifiées.
 

La science, moteur du succès


Se pose aussi le risque que les échecs de ces campagnes en éclipsent les succès. On oublie parfois que les campagnes de lutte contre le paludisme à base du DDT ont permis l'élimination de la maladie dans plusieurs pays, surtout en Asie de l'Est.

De même, la campagne de lutte contre la polio menée par l'OMS n'a certes pas éradiqué la maladie. Mais elle y est parvenue à 99 pour cent. En Inde, un pays où intervenir est souvent difficile, aucun nouveau cas n'a été signalé au cours des neuf derniers mois. Un autre participant au Congrès de Barcelone s'est ainsi interrogé : "si l'Inde a pu le faire, pourquoi l'Afrique n'y parviendrait-elle pas ?".

Enfin, on ne peut évidemment pas oublier le succès du programme d'éradication de la variole, dont le dernier cas a été signalé en Somalie en 1977.

Ces différents exemples sont autant de preuves qui montrent que les efforts d'élimination et d'éradication de certaines maladies peuvent remporter un succès appréciable, malgré l'ambition des objectifs, et malgré les risques d'échec. Le défi consiste à s'assurer que toute stratégie similaire soit fondée sur de solides preuves scientifiques, et que les outils techniques nécessaires (comme les vaccins par exemple) sont disponibles ou peuvent être rapidement développés.
 

Exercer des pressions politiques


L'exemple du paludisme semble indiquer qu'une stratégie consistant à concentrer les efforts scientifiques et technologiques à l'élimination d'une maladie, plutôt que son seul contrôle, peut se révéler être bénéfique, et que de telles mesures pourraient être appliquées à d'autres maladies. Ainsi, des programmes pourraient accorder d'avantage d'importance à la recherche sur les modes de transmission, et non seulement au traitement des malades.

Un tel objectif permet également d'encourager une production de données épidémiologiques démontrant l'efficacité des campagnes d'élimination et la comparaison des stratégies de contrôle. Les décideurs politiques pourront alors choisir, par exemple, s'il faut lancer des programmes d'élimination dans des endroits de forte prévalence, ou au contraire là où la maladie est la moins répandue.

Pour ce qui est du paludisme, il est clair que les outils développés par la communauté scientifique durant la dernière décennie, comme les moustiquaires imprégnées et les médicaments à base d'artémisinine, ont enfin placé l'éradication partout dans le monde à notre portée.

Deux défis subsistent, néanmoins. Le premier tient à l'utilisation des preuves scientifiques de faisabilité pour mobiliser les considérables ressources financières, ainsi que l'engagement politique, tous deux nécessaires pour l'atteinte de cet objectif. Cette tâche ne doit pas être laissée à la Fondation Gates toute seule, qui ne pourra l'assumer sans aide.

Le second consiste à mettre à contribution les progrès accomplis dans la lutte contre le paludisme, et les appliquer à l'élimination d'autres maladies difficiles, en suscitant de la demande pour la recherche sur une gamme d'autres outils jugés nécessaires. Certes, certaines campagnes d'éradication n'atteindront pas leurs objectifs. Mais cela n'enlève rien au mérite de ces efforts, efforts qui sont d'ailleurs susceptibles de nous permettre de faire un pas supplémentaire dans le contrôle d'une maladie, alors qu'une telle avancée aurait été impossible si une autre stratégie avait été adoptée.
 

David Dickson
Editorialiste, SciDev.Net

Références

[1] Campbell, C. and Steketee, R. Malaria in Africa can be eliminated American Journal of Tropical Medicine and Hygiene 85, 584–585 (2011)
[2] Rollback Malaria Partnership A decade of partnership and results Progress and Impact Series 7 (2011)