02/10/07

Diaspora musulmane: de la fuite des cerveaux à la récupération des cerveaux?

Des étudiants égyptiens Crédit image: SciDev.Net/Dickson

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Selon Munir Nayfeh, les pays musulmans doivent exploiter les talents de leur immense diaspora et soutenir la collaboration entre les scientifiques expatriés et ceux restés au pays.

Au cours des 50 dernières années, un grand nombre d’intellectuels ont émigré du monde musulman vers les pays industrialisés. Des études estiment que presque 500,000 personnes ont quitté le monde arabe, source à lui seul d’un tiers de la diaspora des professionnels des pays en développement ayant migré vers l’Occident.

Les médecins représentent environ la moitié de cet exode, alors que les scientifiques comptent pour environ 15 pour cent.

Parmi ces professionnels, de nombreux ont connu beaucoup de succès, remplissant 1 à 2 pour cent des postes aux plus prestigieuses institutions en Europe et aux Etats-Unis, et contribuant de façon significative au développement de la science et de la technologie en Occident.

Beaucoup de belles paroles, pas assez d’action

Cependant, cet exode prive les pays musulmans de talent et transfère un énorme investissement en éducation vers l’Occident. Chaque personne qualifiée représente un investissement en éducation de US$ 10,000 à 20,000.

Les 57 pays de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) n’ont pas réussi à mettre un terme à la fuite des cerveaux en adressant les causes fondamentales du phénomène. Pis encore, ils ont gaspillé du talent et des idées, en se révélant incapables de transformer la fuite des cerveaux en récupération de cerveaux pour leurs pays.

Certains soutiennent que les lois d’immigration occidentales sont conçues de façon à voler les cerveaux, afin d’entretenir un rythme de croissance économique plus élevé. En cela, ces politiques ont réussi, offrant des conditions de travail alléchantes : une abondance de ressources, un environnement intellectuel stimulant, de la reconnaissance et des récompenses. Mais des facteurs exogènes dans les pays d’origine, ou ‘push factors’ – dont un manque d’installations pour la recherche et de liberté de l’enseignement, ainsi que la persécution – ont également joué un rôle.

L’OCI n’a pas réussi à ralentir – et encore moins à stopper – l’hémorragie. Si l’on parle souvent d’exploiter les talents de la diaspora, peu d’actes s’ensuivent. Les allocations pour la recherche et le développement (R&D) dans les pays musulmans demeurent insignifiants, à environ 0,2 pour cent du PNB en moyenne, comparé avec environ trois pour cent dans les pays industrialisés.

Je doute que les forces tirant des deux côtés peuvent être renversées sans une profonde intégration des ressources politiques et économiques de l’OCI, et sans une révision majeure de l’éducation supérieure dans les pays musulmans pour mettre l’accent sur la R&D.

Dans l’absence d’un tel changement de cap, la question reste à savoir si l’OCI a la volonté de mettre en place des programmes cohérents et durables dans des pays individuels pour tirer profit de la diaspora. En ce moment, on constate seulement des tentatives éparpillées, à court terme, avec peu de planification ou de vision à longue échelle.

Des disparités aiguë

L’OCI n’a pas été jusqu’ici le champion des programmes d’échange, et n’a pas même fait preuve de volonté de les financer, peut-être par peur d’encourager, par inadvertance, des candidats supplémentaires à l’émigration, ou pour des raisons religieuses ou culturelles. Les différences entre les cultures scientifiques et sociales ou encore les pratiques discriminatoires, sont potentiellement nuisibles aux échanges, aux collaborations et au financement international.

Des disparités aiguës au niveau de la formation, des ressources et des récompenses agissent aussi comme barrières – les professionnels restés dans le monde arabe deviennent hostiles et sur la défensive, et les expatriés deviennent hautement critiques. Cette situation a incité le Réseau des Scientifiques et Technologues arabes à l’Etranger (Network of Arab Scientists and Technologists Abroad) (ASTA) – que j’ai aidé à créer – à discuter des moyens qui pourraient soulager les sensibilités des deux camps.

L’ASTA, une de plusieurs organisations de la diaspora fondées en l’absence d’une action efficace émanant de l’OCI, fut inaugurée en 1992 lors d’un congrès à Amman, en Jordanie, qui rassemblait des membres de la diaspora venus du Canada, de l’Europe et des Etats-Unis, ainsi que des scientifiques et des fonctionnaires du monde arabe.

L’ASTA reçoit du financement de l’Association des Universités arabes afin d’identifier et de produire un répertoire électronique de ses membres. Ceci s’est révélé être une tâche imposante, puisque la diaspora est à la fois éparpillée et mobile. De plus, il y a une pression intense sur ses membres pour qu’ils aient du succès dans leurs nouvelles régions et cultures. Les énormes variations au niveau de leur sentiment d’appartenance et la peur d’être persécutés sont d’autres difficultés.

Le monde arabe, par contre, n’a pas réussi à bâtir sur l’initiative de l’ASTA et dans l’absence de mécanismes clairs et ouverts pour recevoir et évaluer les propositions de projet, la plupart des financements continuent de provenir d’institutions locales, projet par projet, et le plus souvent initiés grâce à des connections personnelles.

Cette lacune a été amplifiée par l’atmosphère suite aux attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, depuis lesquelles la diaspora hésite avant d’initier et de participer à des associations ou à des activités potentiellement sources de malentendus.

Les conséquences du 11 septembre sur le financement ont d’autant plus exacerbées la situation. Le financement des deux côtés a été coupé ou redirigé vers d’autres priorités, et des conditions supplémentaires y sont attachées. En raison de l’atmosphère d’incertitude dans le monde du post-11 septembre et au vu des difficultés au niveau des déplacements et du financement, l’ASTA a adopté une approche d’attente prudente.

Un changement d’attitude

Mais il n’en demeure pas moins possible d’agir. L’OCI pourrait, par exemple, aider à créer un réseau et un répertoire de scientifiques et de technologues musulmans vivant à l’étranger, ainsi qu’une fondation qui soutiendrait les collaborations entre la diaspora et leurs confrères et consoeurs oeuvrant dans les pays de l’OCI.

Ce petit pas vers l’avant pourrait revigorer la R&D dans les pays de l’OCI. Les collaborations pourraient enrichir la propriété intellectuelle des deux côtés – une richesse qui est capable de catalyser et d’agir comme levier pour favoriser un financement et une commercialisation additionnels, le résultat étant un véritable transfert de savoir-faire et de technologie.

La production de dispositifs perfectionnés et à faible coût issus de la nanotechnologie dans le domaine des matériaux avancés, la santé publique, l’approvisionnement et en purification de l’eau et les biocarburants figurent parmi les secteurs qui pourraient potentiellement bénéficier de telles collaborations.

Mais ces activités ne porteront des fruits que si l’OCI accepte d’élaborer des moyens pour cultiver la diaspora et commence à changer les attitudes de ses Etats membres envers les échanges et les projets accomplis en collaboration.

Ce processus est déjà en route : des propositions ont récemment été discutées par des représentants de la diaspora d’origine algérienne, bangladaise, égyptienne, indienne, iranienne, jordanienne, libanaise et pakistanaise installée aux Etats-Unis. Des responsables de l’OCI à Djeddah, en Arabie Saoudite, ont été briefés et des propositions sont en préparation.

Il reste à voir si ces efforts sauront susciter des collaborations durables entre institutions, ou s’ils ne resteront qu’un effort isolé de plus.

Munir Nayfeh est professeur de physique à l’Université de l’Illinois, aux Etats-Unis.