01/03/16

Le néré, une plante aux vertus inestimables

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Crédit image: SciDev.Net / AIP

Lecture rapide

  • Le néré et ses dérivés peuvent traiter un nombre indéterminé d’affections
  • Des médecins prescrivent à leurs patients des traitements à base de cette plante
  • En Côte d’Ivoire comme ailleurs, il n’est encore exploité que de manière artisanale

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[ABIDJAN] Le néré (Parkia Biglobosa de son nom scientifique), plante présente dans toutes les savanes africaines, se reconnait surtout par ses fruits qui sont de longues gousses contenant de nombreuses graines noires enrobées de pulpe jaune.
 
De ses fleurs à ses grains, en passant par ses feuilles et ses fruits secs, le néré est l’une des plantes les plus prisées en Côte d’Ivoire (pays où il ne pousse que dans le Nord) pour ses nombreuses vertus.
 
Traditionnellement utilisé comme arôme d’assaisonnement des repas – communément appelé "Soumbara" obtenu après transformation de ses graines-, il présente également des propriétés médicinales.
 
Le néré est un petit arbre de 10 à 20 mètres de hauteur, à fût robuste, cylindrique et court.
 
Cette plante pérenne, à large cime étalée en parasol et aux feuilles bipennées et alternes, fait partie de la vaste famille des mimosaceae, des légumineuses dont l’intérêt nutritionnel réside dans leur teneur élevée en protéines.
 

“La farine de néré apporte la totalité des acides aminés essentiels à l'organisme, du fer, mais aussi de la vitamine C pour limiter les risques de scorbut”

Annick Tahiri
Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan

Autant de qualités qui lui ont valu un intérêt scientifique auprès de certains chercheurs et médecins ivoiriens.
 
Directrice de la valorisation de la recherche et de l’innovation technologique (DVRIT) au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Annick Tahiri, biologiste et enseignante à la faculté de Biosciences de l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, a consacré une étude aux propriétés de cette plante.
 
"Le néré est très connu pour ses nombreuses propriétés anti-blennorragiques, antinévralgiques, diurétiques, fébrifuges, toniques, antiseptiques et vermifuges. Ses graines riches en matières grasses servent à fabriquer un fromage végétal pour assaisonner les sauces (Soumbara), ou comme succédané du café", décrit-elle.
 
"Les écorces et les racines de cette plante sont prescrites pour soigner la stérilité, les maladies vénériennes, la bronchite, l’hépatite et la lèpre. Les feuilles en bain de vapeur entrent dans le traitement des états fébriles et des parasitoses intestinales", poursuit-elle.
 

Nutriments

 
Par ailleurs, apprend-on, cette plante apporte de nombreux nutriments: protides, lipides, glucides, iode, vitamines diverses. Elle constitue à ce titre une source très importante en termes d'alimentation et de nutrition de qualité.
 
"La farine de néré apporte la totalité des acides aminés essentiels à l'organisme, du fer, mais aussi de la vitamine C pour limiter les risques de scorbut", affirme Annick Tahiri, indiquant également que cette plante possède "un moindre potentiel insecticide par rapport au neem, au papayer et au quinquéliba".
 
"Les extraits du néré agissent par contact et sont moins toxiques pour le termite que les extraits du neem, du papayer et du quinquéliba", dit-elle.
 
A cela il faut ajouter, en matière de santé végétale, que le néré s’avère efficace dans la protection des cultures contre les attaques des bruches et plus modérément contre les termites.
 
En référence aux nombreux usages liés à cet arbre, il se dit couramment, en zone de savane que "tout, de la racine à la cime, contribue à la survie de l'homme".
 
Le médecin et botaniste français Edouard Heckel (1843 – 1916) qualifie d’ailleurs ce végétal de "providentiel".  (1)
 
"Les Africains considèrent le néré comme un présent du ciel et l'empirisme des natifs a été encore une fois bien inspiré pour le choix de cet aliment de premier ordre comme (…) médicament précieux d'origine végétale", écrit-il.
 
Aussi le néré fait-il partie des plantes conseillées par certains médecins ivoirien comme le nutritionniste Félix Aka. "Je prescris toujours le néré à mes patients", dit-il à SciDev.Net. Selon lui, cette plante "réduit la tension artérielle".
 
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"J’avais une tension qui avoisinait les 16-17. Mais depuis que je consomme le soumbara, elle est retombée à 12-13", confirme Danielle Tiémélé, une patiente.
 
Selon une étude(2) citée par ce dernier, les fleurs rouges du néré guériraient l'angine, tout comme le soumbara pourrait traiter les abcès en provoquant la suppuration.
 
Ses écorces et ses racines seraient aussi employées avec d'autres végétaux contre la stérilité, les maladies vénériennes, la bronchite.
 
D’après la même étude, "le rameau de la plante est un remède contre les morsures de serpent, les fleurs soignent la lèpre, la pulpe du fruit lutte contre la fièvre jaune, la constipation, l’ictère".
 
Si la graine de néré, à travers le soumbara, peut servir de régulateur de tension, un champignon vivant en symbiose sur le tronc de cet arbre est reconnu par le Dr Aka Félix pour avoir des principes anti-hémorroïdaires.
 
Par ailleurs, dans la pharmacopée traditionnelle, la pulpe du néré est considérée comme diurétique et fébrifuge.
 
La décoction d'écorce constituerait un calmant pour les douleurs dentaires. Il se prépare aussi avec les feuilles et les racines une lotion utilisée dans les affections oculaires.
 
La pulpe de néré est utilisée, avec une légère adjonction de sel, pour la réhydratation des enfants.
 

Médecine traditionnelle

 
Selon Sidibé Dramane, un pratiquant de médecine traditionnelle basé à Ferkessédougou (574 km au nord d’Abidjan), "les fleurs, de couleur rouge, du néré traitent la fièvre typhoïde".
 
"Une infusion des écorces permet de traiter l’asthme, tout comme une cuillérée à soupe de l’infusion traite les infections intestinales et les gastrites", soutient pour sa part Thérèse Ouattara qui dirige à Ferkessédougou une association de femmes dénommée "Wouekelé Kouema" ("Donnons-nous la main"), dont la principale activité est la fabrication de soumbara.
 
Toutefois Sidibé Dramane met en garde contre toute utilisation immodérée de cette infusion.
 
"Il y a des risques élevés de coma et de perte de connaissance avec la consommation d’une infusion d’écorce du néré. Une personne qui boit l’infusion sans la diluer peut perdre connaissance. C’est très fort et puissant. Il faut la diluer assez avant de la boire", conseille-t-il.
 
Au demeurant, suggère M. Sidibé Dramane, une collaboration entre médecine traditionnelle et médecine moderne serait souhaitable, afin de permettre aux populations, quel que soit leur niveau social, de tirer profit de cette plante.
 
Les bienfaits du néré sont aussi appréciés dans toutes les autres régions de Côte d’Ivoire, ainsi que dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest.
 
C'est ainsi qu'à Abidjan, le soumbara est disponible tout au long de l'année. Pourtant le processus de fabrication de cet aliment reste artisanal.
 
A Ferkessédougou, les femmes de l’association "Wouekelé Kouema" travaillent à tour de rôle les unes au service des autres, lorsque l’une d’entre elles dispose de la matière première, c’est-à-dire les graines de néré.
 
"Nous achetons 50 kg de graines à 20 000 FCFA (34 dollars). Quand nous vendons le produit fini, nous avons des bénéfices allant de 3 000 à 5 000 FCFA. Mais c’est difficile et long", explique la présidente de l’association.
 

Transformation

 
Le procédé de transformation des graines de néré passe en effet par plusieurs étapes. Les graines brutes sont d’abord mises à la cuisson entre vingt et quarante-huit heures ; question d’en faciliter le décorticage.
 
Les amandes sont ensuite essorées et les graines cuites sont mises à fermenter dans un canari ou une calebasse recouvertes de feuilles, à une température de 30 à 40°C pendant trois jours ou plus.
 
Les graines fermentées sont enfin séchées au soleil et commercialisées en l’état ou encore pilées au mortier pour en faire de la poudre.
 
Une fois le soumbara prêt pour la consommation, il est utilisé dans des recettes culinaires très variées aussi bien en Côte d’Ivoire et au Sénégal qu’au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et ailleurs.
 
Cependant, Dagnogo Adama, infirmier d’Etat à la Formation sanitaire d’Adjamé (Abidjan), insiste sur le fait que le soumbara "ne saurait jouer son rôle de régulateur de tension s’il n’est pas naturel et pur".
 
"Aujourd’hui, on trouve sur le marché du soumbara de mauvaise qualité, parce qu’il a été mélangé à d’autres produits. Dans ces conditions, le soumbara ne peut pas agir comme il se doit. Il faut consommer du soumbara de bonne qualité", conseille-t-il.
 
En Côte d’Ivoire, les difficiles conditions de préparation du soumbara peuvent constituer une menace à sa pérennité. D’où le plaidoyer des femmes de l’association "Wouekelé Kouema" pour un soutien à leurs activités, en vue de leur modernisation.
 
"Nous évoluons avec des méthodes artisanales. L’activité est très pénible. Le processus de transformation dure toute une semaine et requiert une surveillance permanente. Nous pouvons faire des semaines sans sortir", explique Tuo Sali, transformatrice et vendeuse de Soumbara au marché de Ferkessédougou.
 
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"La pénibilité du travail est un frein à la modernisation de la filière. A part nos associations, et notre appartenance à la chambre des métiers ces derniers temps, nous évoluons à l’étape rudimentaire", se plaint-elle.
 
"Pour préparer du Soumbara, on utilise beaucoup de bois de chauffe ; or le bois de chauffe devient de plus en plus rare et cher. Notre activité est donc encore artisanale. C’est pourquoi nous avons besoin de fours et de décortiqueuses pour faire évoluer l’activité. Cela nous permettrait de gagner du temps", poursuit l’intéressée.
 
"Nous voulons aussi que les autorités nationales organisent la filière afin de nous permettre d’exporter nos produits pour que tout le monde entier puisse bénéficier des vertus du néré", plaide pour sa part Thérèse Ouattara dont l’association regroupe 35 membres.
 
Sauf que le commerce des graines de néré, bien que relativement important, est déjà difficile à évaluer et, à l'instar d'autres produits de cueillette, il ne figure pas dans les bilans nationaux du ministère de l’Agriculture.
 
"C’est vraiment un de nos gros problèmes, car le néré est un produit de cueillette. On continue de chercher les voies et stratégies pour pouvoir en évaluer la production dans notre zone", admet le directeur régional de l’Agriculture de Ferkessédougou, Vamara Dermbélé.
 
Pourtant, selon ce dernier, "l’activité autour du néré est très importante, car la demande du soumbara est tellement forte que les vendeuses qui ont gardé la confiance des consommateurs à cause de la qualité de leur produit se font beaucoup d’argent durant la période de grande fabrication, c’est-à-dire en saison sèche".
 
Cette situation qui ne permet pas de chiffrer l’impact économique du néré s’explique aussi par la dissémination des arbres qui n'existent pas à l'état de culture raisonnée.
 
Mais malgré ces difficultés d'évaluation, il n’en demeure pas moins que le néré entre dans l'économie d'un grand nombre de pays africains où il procure aux femmes des revenus appréciables. 

“L’industrialisation de la filière dépend de la disponibilité de la matière première, ce qui suppose que les chercheurs doivent travailler sur le cycle de production qui est de l’ordre de sept à huit ans”

Jean Nemlin
CNRA

 
Malheureusement, les arbres de néré tendent à se raréfier dans certaines régions, signale-t-on, alors qu’un programme de reboisement de cet arbre, dénommé Antenne universitaire pour le développement communautaire (AUDEC), avait permis entre 1990 et 1993, de planter plusieurs arbres de cette espèce avec succès dans diverses parties du nord ivoirien.
 
La majorité des arbres plantés à travers ce projet sont aujourd'hui robustes, et de nombreux cultivateurs continuent de semer chaque année, à la saison des pluies, de nouvelles graines de néré.
 
Une enquête diagnostique des technologies autochtones de transformation des graines du néré a été initiée en 2002 à Odienné, dans le nord-ouest ivoirien, par le Centre national de recherches agronomiques (CNRA) en vue de la modernisation des étapes du processus.
 
Ce programme financé par le Fonds de développement de la formation professionnelle (FDFP) a été arrêté suite au déclanchement, la même année, de la crise militaro-politique qui a secoué la Côte d’Ivoire pendant une décennie (2002-2011).
 
A part ce programme, aucun autre projet concernant la modernisation du néré n’a jusque-là été lancé dans le pays, constate-t-on après des investigations menées aussi bien auprès des ministères de la Recherche scientifique, de la Santé, ainsi que dans les milieux universitaires et de la recherche.
 
Néanmoins, la directrice de la valorisation de la recherche et de l’innovation technologique (DVRIT) au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Annick Tahiri, estime que les études et recherches sur cette plante devraient se poursuivre pour lui permettre un meilleur développement.
 

Industrialisation

 
Selon Jean Nemlin, responsable du département des technologies post-récolte et des laboratoires centraux du CNRA, l’industrialisation de la filière dépend de la disponibilité de la matière première, "ce qui suppose que les chercheurs doivent travailler sur le cycle de production qui est de l’ordre de sept à huit ans"
 
À ce propos, le responsable du programme Forêts et environnement du CNRA, Coulibaly Ibrahima, indique que depuis les années 1990, des recherches sont effectuées à la station forestière Diabaté Kamagnon de Korhogo sur ce produit forestier non ligneux.
 
"Des pépinières permettent d’en étudier la phénologie et portent sur les aspects moléculaires pour sélectionner les meilleures espèces en vue de sa meilleure domestication et pour aider le monde paysan à sauvegarder la biodiversité", indique-t-il, relevant que sa dissémination dans les champs permet de fertiliser les sols pauvres des régions du nord.
 
Comme Ouattara Thérèse, les acteurs du néré, souhaitent qu’une volonté politique forte aboutisse à l’industrialisation de la filière depuis la plantation jusqu’à l’exportation des produits dérivés.
 
Car, en tant que plante, le néré est aussi menacé. Et cela pourrait aussi avoir, selon les chercheurs du CNRA, des conséquences sur l'écosystème et la biodiversité.

Cet article a été produit en collaboration avec l’Agence ivoirienne de presse (AIP), grâce à l’appui du Wellcome Trust. 

Références

(1) Heckel (Edouard), Les végétaux utiles de l’Afrique tropicale, 1887
(2) Etude : "Contribution à l’étude des propriétés pharmacologiques des extraits hydro-alcooliques des graines de Parkia biglobosa", Centre de recherche et de formation sur les plantes médicinales de l’université du Bénin