15/03/19

L’utilisation massive du Mectizan réduit les risques de paludisme

Burkina Faso Malaria Article
Un moustique à la recherche de son repas, posé sur une étoffe grise - Crédit image: Depositphotos/VadimBorkin - Image ID: 4504697. Taille originale : 2883x1922. Redimensionnée 996x567.

Lecture rapide

  • Dans le sang, ce médicament utilisé contre l’onchocercose est mortel pour le moustique
  • Des essais réalisés au Burkina Faso ont montré une chute de 20% des cas de paludisme chez les enfants
  • Malgré des réserves, les chercheurs s’accordent pour dire que cette approche est prometteuse

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Une étude réalisée au Burkina Faso conclut qu’une administration massive et répétée de l’Ivermectine (plus connue en Afrique sous son nom commercial de Mectizan) peut être un moyen de prévenir le paludisme chez les enfants âgés de zéro à cinq ans, réduisant d’un cinquième leurs risques de contracter la maladie.
 
Selon ces travaux, le médicament rend le sang du patient mortel pour les moustiques qui le piquent. Ceux-ci meurent après la piqûre et ne peuvent donc pas piquer une autre personne pour transmettre la maladie.
 
Pour arriver à ces conclusions, des chercheurs américains et burkinabè ont réalisé en 2015 le tout premier essai randomisé du genre sur un échantillon de 2.700 personnes, dont 590 enfants de huit villages du Burkina Faso.

“Du moment qu’ils utilisent un nouveau schéma thérapeutique, soit six cycles de traitement, administrés toutes les trois semaines, les chercheurs auraient dû donner plus de détails dans la méthodologie sur la manière dont la surveillance de la sécurité du médicament était effectuée.”

Andrea Bosman, coordonnateur du département Prévention, diagnostic et traitement au Programme mondial de lutte contre le paludisme.

Ainsi, pendant la saison des pluies qui est celle de la transmission du paludisme, l'ensemble de la population avait reçu une dose de ce médicament toutes les trois semaines, pour un total de six cycles d’administration du médicament.
 
Publiés ce 13 mars dans la revue scientifique The Lancet, les résultats de ces essais indiquent qu’ils ont « réduit de 20% l'incidence des épisodes de paludisme chez les enfants, dans les villages où l'étude a été menée, et n’ont causé à la population aucun préjudice évident lié à la prise de médicaments ».
 
L’étude en question était dirigée par le professeur Brian D. Foy, du département de microbiologie, d’immunologie et de pathologie de l’université d’État du Colorado, aux Etats-Unis, avec la participation de chercheurs de plusieurs institutions de recherche du Burkina Faso.
 
« Je m’intéresse depuis longtemps aux moyens d’empêcher la transmission de maladies à vecteurs, en ciblant les moustiques, avec une approche de vaccin anti-vecteur », affirme l’intéressé.
 
Dans une interview avec SciDev.Net, il rappelle qu’à la fin des années 80, des chercheurs avaient déjà découvert que les vecteurs du paludisme étaient sensibles à des concentrations « étonnamment » faibles de l'Ivermectine dans le sang de personnes qui l’avaient consommée, pour traiter l’onchocercose et la filariose lymphatique.
 

Nouvelle méthodologie

 
Chris Drakeley, professeur à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, salue cette étude, qui montre « une nouvelle méthodologie pour contrôler et éliminer le paludisme, en donnant des médicaments à l'homme pour cibler des moustiques  », bien qu’il s’agisse d’une étude « relativement à petite échelle ».
 
Mais Brian D. Foy croit dur comme fer à la fiabilité de l’étude qu’il vient de conduire et affirme que les chercheurs ont examiné ce résultat chez près de 600 enfants. « Je n’appellerais donc pas cela un échantillon de petite taille, étant donné que nous avons effectué une détection laborieuse et active des cas de paludisme dans cette cohorte », insiste le chercheur.
 
A l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on n’est pas surpris des conclusions de cette étude, du moment que lIvermectine est l’un des produits reconnus par l’organisation comme médicaments antiparasitaires, actifs à la fois sur les parasites internes et externes.
 
Pour Andrea Bosman, coordonnateur du département Prévention, diagnostic et traitement au Programme mondial de lutte contre le paludisme, cette étude confirme que même dans les zones à très forte transmission du paludisme, l'Ivermectine, administrée en masse, a un impact limité dans le temps sur l'incidence du paludisme, en raison de l'effet connu de ce médicament sur la longévité du vecteur anophèle.
 
« Cette étude fournit des résultats encourageants pour la recherche et la découverte de formulations à libération lente qui pourraient potentiellement jouer un rôle dans la réduction de la transmission résiduelle du paludisme », poursuit-il.
 

Difficultés

Pourtant, la mise en œuvre de cette méthode pourrait se heurter à quelques difficultés : dans la pratique, il faudrait franchir un certain nombre d’obstacles logistiques, avant de mettre en œuvre cette approche, notamment le nombre et le calendrier des séances de traitement et leur intégration dans les autres mesures de contrôle déjà en place, relève Chris Drakeley.
 
Une difficulté qui vient s’ajouter aux autres problèmes que soulève l’étude en elle-même, à commencer par la méthodologie utilisée par les chercheurs, qui laisserait encore quelques zones d’ombre.
 
« Du moment qu’ils utilisent un nouveau schéma thérapeutique, soit six cycles de traitement, administrés toutes les trois semaines, les chercheurs auraient dû donner plus de détails dans la méthodologie sur la manière dont la surveillance de la sécurité du médicament était effectuée » , estime Andrea Bosman, qui regrette que ces aspects n’aient été que « partiellement » abordés.
 
Dans un entretien avec SciDev.Net, le cadre de l’OMS ajoute qu'il aurait été approprié de procéder à une analyse supplémentaire pour s’assurer qu'une utilisation accrue de moustiquaires dans les villages d'intervention n'avait pas eu d'influence sur l'incidence du paludisme.
 
A l’en croire, une telle analyse plus approfondie aurait permis de fournir des détails sur les indices entomologiques et parasitologiques mesurés, afin de mieux comprendre pourquoi aucune différence n'a été observée entre les villages d'intervention et les villages de contrôle.
 

Indications

De son côté, le laboratoire Merck (connu hors des Etats-Unis et du Canada sous le nom MSD), qui fabrique l’Ivermectine, affirme dans une déclaration faite à SciDev.Net que « nous apprécions les efforts de la communauté médicale visant à mieux comprendre comment mieux traiter les maladies parasitaires, y compris l'utilisation potentielle de l'Ivermectine pour la lutte contre le paludisme. »
 
Pamela Eisele, porte-parole de Merck, tient cependant à préciser que « l'Ivermectine de Merck est actuellement commercialisée dans dix pays pour les indications suivantes : onchocercose, filariose lymphatique, strongyloïdose intestinale, gale », avant d'ajouter que « les informations relatives à ces utilisations approuvées sont disponibles sur l'étiquette du produit ».
 
« Nous continuerons de suivre ce domaine de recherche au fur et à mesure de son évolution, afin de mieux comprendre l’utilisation potentielle de l’Ivermectine pour traiter le paludisme », ajoute l'entreprise.
 
Dans le même temps, les chercheurs s’apprêtent à poursuivre leurs travaux par des essais cliniques plus importants et la prise en compte d’autres outils de contrôle, dans un contexte où la résistance aux antipaludéens met la communauté scientifique face au défi de trouver de nouveaux moyens de lutte contre la maladie.