21/12/16

Q&R: Le défi des maladies non transmissibles

Benoit Varenne
Crédit image: Organisation Mondiale de la Santé

Lecture rapide

  • Les MNT ont longtemps été considérées comme l'apanage des pays industrialisés
  • Un rapport de l'OMS met en garde contre leur impact sur les pays africains
  • L'organisation appelle à une action vigoureuse pour contenir la tendance

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Dans un rapport publié mardi, l'OMS fait état d'un risque plus élevé de voir les maladies non transmissibles se développer en Afrique. Dans une interview à SciDev.Net, l'épidémiologiste français Benoit Varenne, conseiller régional en santé orale à l'OMS, appelle à un changement de paradigme dans la conceprion des politiques de santé publique, afin de contrer les risques identifiés. 

Comment expliquer que les maladies non transmissibles décrites dans le rapport, généralement considérées comme des maladies affectant en priorité les pays industrialisés, deviennent une source de préoccupation pour les pays africains ?

Les maladies non transmissibles (MNT) ont été pendant longtemps considérées à tort comme l’apanage des pays industrialisés. Mais dans un contexte de développement socio-économique caractérisé par une urbanisation accélérée, des changements de mode de vie et d’habitudes alimentaires, une sédentarité croissante, les populations africaines sont exposées aux mêmes facteurs de risque liés à ces pathologies que les populations des sociétés occidentales ou orientales : tabagisme, alimentation non équilibrée trop riches en graisse, en sel et en sucre, faible activité physique et dans certains cas consommation abusive d’alcool.  

Un rapport de l’OMS estimait déjà en 2010 que les décès liés aux principales maladies non transmissibles (maladies cardiovasculaires, cancers, diabète de type 2 et affections pulmonaires obstructive chronique) étaient susceptibles de surpasser d'ici à 2030 le nombre de décès causés par des maladies infectieuses transmissibles en Afrique  (Paludisme, tuberculose, VIH/SIDA, pathologies maternelles…).

Le rapport publié aujourd’hui par l’OMS vient confirmer ces projections en dévoilant des données issues d’enquêtes appelées STEPwise réalisées dans 33 pays sur des échantillons représentatifs de populations adultes de plus de 15 ans. Les résultats montrent qu’une majorité d’adultes en Afrique souffre d’au moins un facteur de risque qui augmente la probabilité de développer une maladie non transmissible au cours de leur existence.

Quels sont les pays les plus exposés, toutes maladies confondues ?

Le rapport apporte des informations sur l’exposition des populations adultes aux facteurs de risque majeurs qui sont associés à la survenue des maladies non transmissibles.  Les écarts de prévalences  entre les pays sont grands et sont le reflet des diversités sociales, économiques, démographiques, culturelles et aussi environnementales au sein de la Région africaine de l’OMS.

"Le tabac, une menace sérieuse"

Ainsi, le tabac est l'une des menaces les plus sérieuses pour la santé à travers le monde ; il est à l'origine de plus de 70 % des cancers du poumon, 40 % des maladies pulmonaires chroniques et 10 % des maladies cardiovasculaires. Dans la Région africaine, la prévalence de la consommation quotidienne du tabac chez les adultes se situe entre 5 % et 26 % (avec une moyenne de 12 % à travers la Région). La Sierra Leone, le Lesotho, les Seychelles, le Botswana et Madagascar sont les cinq pays où la prévalence du tabagisme est la plus élevée. Un autre exemple des différences notables entre les pays : la prévalence des personnes souffrant de surcharge pondérale, qui varie entre 12 % à Madagascar et 60 % aux Seychelles, la moyenne pour la Région étant de 35 %. Les femmes adultes sont plus exposées au surpoids que les hommes. De même, sur les pays qui ont fait l'objet de l'étude, le temps moyen consacré à l'activité physique moyenne ou intense varie entre 21 minutes par jour en Mauritanie et 386 minutes par jour au Mozambique, la moyenne étant de 116 minutes par journée standard sur la Région. Les hommes adultes passent plus de temps dans une activité physique que les femmes.

Plus généralement, dans la moitié des pays africains qui ont fait l'objet de l'étude, un quart des adultes était exposé à au moins trois facteurs de risque, avec une grande probabilité qu'ils développent une ou plusieurs maladies non transmissibles au cours de leur vie. Il s'agissait pour la plupart de femmes adultes, âgées de 45 à 64 ans.  Un autre résultat plus alarmant : la prévalence de l'hypertension dans la Région africaine est la plus élevée au monde et touche environ 46 % des adultes. Dans la moitié des pays de la Région, au moins un adulte sur trois rencontrés était hypertendu.
 

Au-delà du rapport de l’OMS, quelle autre assistance l’organisation compte-t-elle apporter à ces pays peu préparés à faire face à ce type de menaces ?

L’OMS à travers son bureau régional, son réseau de bureaux dans les pays de la Région et son siège à Genève appuie les ministères de la santé à travers 4 axes prioritaires :

D'abord, accélérer la mise en œuvre d’interventions préventives qui s’adressent aux populations. Outre toujours plus de sensibilisation et d’éducation des populations sur les risques encourus, la mise en place de politiques fiscales telles que la taxation sur le tabac, l’alcool ou encore les boissons sucrées, ou de subventions pour soutenir l’accès à des aliments sains (fruit, légumes…) sont encouragées. 

“La lutte contre les maladies non transmissibles et leurs facteurs de risque n'est pas de la seule responsabilité des ministères de la santé. D’autres secteurs ministériels doivent s’engager (éducation, agriculture, économie, douanes) dans ce combat.”

Benoit Varenne
Organisation Mondiale de la Santé

Ensuite, une deuxième priorité consiste à améliorer la prise en charge des patients qui vivent avec certains facteurs de risque ou qui souffrent de maladies non transmissibles. Cela passe par des programmes de renforcement des capacités des agents de santé au niveau des soins de santé primaires qui sont en cours dans certains pays. Ces actions sont menées en parallèle avec des initiatives pour rendre disponible à prix abordables des médicaments pour contrôler certains facteurs de risque et traité certaines pathologies. 

Enfin, une autre priorité est le développement de plans d’action multisectorielle et de partenariats au niveau des pays. La lutte contre les maladies non transmissibles et leurs facteurs de risque n'est pas de la seule responsabilité des ministères de la santé. D’autres secteurs ministériels doivent s’engager (éducation, agriculture, économie, douanes) dans ce combat.  De plus, des partenariats ambitieux avec les organisations de la société civile, les partenaires au développement et le secteur privé dans certains cas doivent être mis en place pour soutenir ces initiatives sous le leadership des gouvernements.  

Le quatrième axe prioritaire est de  poursuivre les efforts en matière de surveillance des facteurs de risque comportementaux et métaboliques. Le rapport en est la preuve : les données sont indispensables pour suivre les tendances et mesurer les progrès réalisés dans les pays. Elles permettent aussi de réaliser un plaidoyer plus efficace pour mobiliser les acteurs politiques et toutes les parties prenantes.

Etant donné l’échelle de temps pour la survenance des pics redoutés, les Etats de la Région ont-ils le temps de mettre en œuvre des politiques porteuses avant 2020-2030 ?

Nous devons faire tout notre possible pour inverser ces tendances inquiétantes. Comme l’a déclaré le Dr Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique,  « Ces études nous ont permis d'avoir une image extrêmement précise – bien qu'alarmante – des risques sanitaires auxquels est confrontée la Région. Il appartient à présent aux responsables de la Santé publique, aux dirigeants et aux populations elles-mêmes d'agir ». 

L’OMS a défini un certain nombre d’interventions prioritaires (les « Best Buys ») avec un bon ratio coût-efficacité qui sont à même d’inverser ces tendances et qui s’adressent prioritairement à la prévention des facteurs de risques mentionnés plus haut. Ces interventions doivent être mises en place par les pays et elles doivent être accompagnées de politiques de santé multisectorielles fortes en faveur de la lutte contre les maladies non transmissibles. L’OMS va poursuivre  son soutien aux pays dans le cadre de la mise en œuvre accélérée du plan d’action mondial de prévention et de maitrise des maladies non transmissibles adopté en 2013 par l’Assemblée mondiale de la santé. Pour cela, la mobilisation de ressources techniques et financières est indispensable pour vite avancer.

Quels sont les schémas de lutte les plus opérants pour les pays africains, en comparaison aux mesures prises par les pays industrialisés ?

Les facteurs de risque d’aujourd’hui sont les maladies de demain ! La prévention des facteurs de risque comportementaux et donc modifiables demeure la priorité absolue en termes de stratégie de lutte contre les maladies non transmissibles. Le rapport note que beaucoup de choses peuvent être réalisées grâce à des changements de style de vie et d’habitudes alimentaire  – cesser de fumer, boire avec modération, accroître l'apport de fruits et de légumes, limiter les apports en graisse, en aliments trop salés ou trop sucrés et devenir physiquement plus actif.

Pour cela, les pouvoirs publics doivent soutenir et accompagner les communautés dans ces changements en faisant la promotion d’une bonne hygiène de vie et proposer des environnements propices à un mode de vie sain dans les établissements scolaires, les lieux de travail, en milieu urbain, etc. Outre les actions préventives en direction des populations, le renforcement des capacités des systèmes de santé en vue d’un diagnostic précoce et d’une prise en charge efficace des maladies non transmissibles est indispensable. Autant de priorités qui nécessitent une mobilisation totale de l’ensemble des acteurs de santé !

Références


BIOGRAPHIE

Benoît Varenne est le Conseiller régional en santé orale du Groupe organique Maladies non transmissibles (MNT) au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique. Il est aussi le point focal régional pour l’initiative mHealth pour la gestion des maladies non transmissibles en Afrique. Son rôle, au poste qu’il occupe, est de contribuer à prévenir et à contrôler les maladies non transmissibles dans les 47 pays membres de la Région africaine de l’OMS.