01/02/12

Le Sud Soudan doit tourner le dos à une éducation élitiste

Le système éducatif actuel du Sud Soudan ne favorise pas l'accès de nombreux étudiants à l'enseignement supérieur Crédit image: Flickr/ Utenriksdept

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Pour John A. Akec, le développement du Sud Soudan exige la création d’universités publiques au service du plus grand nombre d’étudiants, mettant l’accent sur la science et la technologie et non les humanités.

Le Sud Soudan sort d’un conflit dévastateur. Avec l’un des pires indicateurs de développement humain du monde, la seule chance de ce pays d’atteindre une mesure d’autonomie et de compétitivité dans l’économie mondiale est de tourner le dos à son modèle élitiste d’enseignement supérieur.

La nation sud-soudanaise dispose d’un énorme potentiel pour exploiter ses ressources énergétiques, agricoles, et en eau. Pour ce faire, les responsables des politiques d’éducation devraient mettre davantage l’accent sur l’enseignement des matières scientifiques et technologiques.

Et plutôt que de s’opposer à une telle initiative, les bailleurs et les partenaires de développement devraient soutenir cette stratégie, et ensuite injecter les ressources là où elles ont affirmé dans le passé qu’elles étaient nécessaires.

Un héritage élitiste

Le Soudan, auquel le Sud Soudan était rattaché jusqu’en juillet 2011, a appliqué un modèle élitiste d’enseignement supérieur dont il a hérité de l’administration coloniale. Jusque dans les années 1990, le pays comptait à peine trois universités publiques offrant seulement quelques milliers de places aux quelque 100.000 étudiants qui se présentaient aux examens d’entrée chaque année. L’Egypte, qui avait déjà basculé vers une politique d’enseignement supérieur de masse, offrait plus de possibilités aux étudiants soudanais.

L’enseignement supérieur public soudanais, sous-financé, reposait ainsi sur un modèle élitiste et dépassé de renforcement des capacités qui ne favorisait que les plus brillants — soit une petite tranche de la potentielle population estudiantine.  

Le phénomène n’est pas exclusif au Soudan. Dans le cadre des Programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés par le FMI et la Banque mondiale aux pays lourdement endettés de l’Afrique sub-saharienne dans les années 1980, le financement public de l’enseignement supérieur a été abandonné au profit de l’enseignement général.

C’est alors que les opérateurs privés sont intervenus pour répondre à la demande d’enseignement supérieur en Afrique. Cela a été le coup d’envoi d’une tendance qui privatisé et généralisé l’enseignement supérieur en Afrique sub-saharienne.

Des impératifs de rentabilité

Et c’est également à cette époque que le continent a commencé à accuser un retard derrière l’Asie en termes de croissance économique. Entre 1960 et 2002, la croissance moyenne des économies asiatiques a été de 2 pour cent, alors que les économies d’Afrique sub-sahariennes se sont contractées entre 1974 et le milieu des années 1990, avec pour conséquence, un PIB par habitant en Afrique sub-saharienne de 11 pour cent inférieur en 2002 à ce qu’il était en 1974.

Les effets du déclin économique se font encore sentir sur tout le continent. L’une des raisons principales est le fait que l’enseignement supérieur privé opère sur la base de considérations purement commerciales, orientées vers la maximisation des marges bénéficiaires pour les investisseurs.

Ainsi, les universités privées en Afrique ont mis l’accent principalement sur les humanités – des matières comme le commerce, le droit, et les technologies de l’information – et ont donc négligé l’ingénierie et les sciences appliquées, qui requièrent des investissements d’infrastructure et d’équipement coûteux.

Pourtant, ce sont précisément les compétences techniques et le savoir-faire, qu’on ne peut tirer que des matières scientifiques, dont ces pays ont besoin pour prospérer et exploiter leurs ressources naturelles, développer des industries à valeur ajoutée et des assises manufacturières, et attirer les investissements étrangers directs.  

Des possibilités de développement

Le Soudan a fini par adopter une stratégie d’enseignement supérieur de masse. Le nombre d’établissements d’enseignement supérieur est, en effet, passé de trois en 1990 à 26 en 2011. Et le nombre des inscriptions dans les universités soudanaises a augmenté, passant de 8 000 en 1989, à 500 000 en 2011.

La part du Sud Soudan dans ce chiffre n’est que de 13 000, tout au plus. Cela laisse amplement à ce pays la possibilité de stimuler le nombre total d’inscriptions d’étudiants à l’université en multipliant les institutions d’enseignement supérieur.

En juillet 2011, le Sud Soudan comptait neuf universités publiques, dont seul cinq accueillent des étudiants sur leurs campus, les quatre autres ayant encore à compléter les infrastructures nécessaires. Cette année, 15 000 candidats sont en compétition pour 3 000 places dans ces cinq universités.

Indéniablement, ce système produit trop d’étudiants sans compétences et sans accès à l’enseignement supérieur. A mesure que la demande augmente dans le temps, et que l’offre reste statique, la situation ne peut que s’aggraver.

A l’heure actuelle, les planificateurs de l’éducation au Sud Soudan ont opté pour une politique de création de moins d’universités, mieux équipées. Mais pour être compétitif sur le marché mondial, ce pays doit produire une main-d’œuvre qualifiée en plus grand nombre chaque année, et à un rythme plus rapide que celui d’un modèle plus étroit, élitiste d’enseignement supérieur.

Mesures à prendre 

Le Sud Soudan devrait avoir au moins une université publique dans chacun de ses dix Etats. Le pays doit mettre en place des projets ultramodernes pour aborder les défis de financement et améliorer la qualité de l’enseignement des mathématiques, des sciences fondamentales, et de l’anglais au niveau scolaire.

La structure des salaires des enseignants d’université doit changer, dans le but d’attirer les universitaires qui ont abandonné l’amphithéâtre pour des occupations mieux rémunérées (en travaillant par exemple pour le compte du gouvernement ou d’organisations non gouvernementales), ainsi que les universitaires expatriés.

Les étudiants et les parents doivent contribuer aux coûts de l’éducation par le biais de l’autofinancement et des emprunts. Davantage d’emprunts doivent être mis à la disposition des les étudiants inscrits en science et en technologie.

Le financement d’uns nouvelle campagne d’éducation publique aura besoin du soutien aussi bien du pays que des partenaires de développement. La création d’un ‘fonds pétrolier’ alimenté par les recettes des champs pétrolifères pourrait fournir un soutien vital pour les enseignements général et supérieur.

Les partenaires de développement peuvent apporter une aide financière ou en nature – en construisant des laboratoires, en faisant des dons de livres et de matériels et en finançant des programmes internationaux d’échange de personnel entre universités.

Enfin, chaque université publique devra choisir de devenir un centre d’excellence dans un ou plusieurs domaines, et éviter de copier les programmes des autres institutions. De bonnes politiques et une bonne coordination seront essentielles pour leur succès, et pour l’espoir du pays de former une main d’œuvre formée techniquement et capable de relever les défis du développement.

John Apuruot Akec est vice-chancelier de l’Université du Nord Bahr El Ghazal, et président du Forum des universitaires et des chercheurs pour le développement, un centre de réflexion enregistré au Sud Soudan. Il blogue sur www.JohnAkecSouthSudan.blogspot.com, et peut être contacté à www.unbeg.edu.sd.