23/01/09

Faut-il repenser les lois qui régissent la propriété intellectuelle ?

Les critiques doutent de l'efficacité des brevets Crédit image: US Patent and Trademark Office

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Le brevetage des connaissances scientifiques ne serait pas aussi utile – ou indispensable – que beaucoup le prétendent..

La vitesse de l’effondrement de l’économie mondiale provoque une prise de conscience généralisée, que certains qualifieraient de tardive : plusieurs des idées qui ont favorisé les progrès économiques au cours des 20 dernières années doivent être profondément remises en cause, notamment celles sous-tendant les relations entre l’Etat et le marché.

Jusqu’ici, pourtant la nécessité de réévaluer l’importance de la protection de la propriété intellectuelle, et tout particulièrement, l’idée selon laquelle les brevets scientifiques et technologiques sont essentiels pour le progrès économique, a suscité peu d’intérêt.

La grande majorité des gens s’accorde à dire que pour prospérer, l’innovation technologique a besoin d’une forme de protection par des brevets. Sans cette protection, personne n’investirait dans l’élaboration de nouveaux produits, puisque tout produit serait immédiatement copiés – et ce, gratuitement – dès leur mise sur le marché.

Si la crise financière actuelle peut être attribuée à la foi excessive accordée par les gouvernements aux décisions des banquiers et des spéculateurs, il est tout aussi dangereux de confier aux brevets scientifiques la promotion du développement social.

Le droit aux bénéfices ?

Prenons pour exemple l’aura dont jouit la loi américaine Bayh-Dole. Adoptée au cours des années 1980, elle permit pour la première fois aux universités américaines d’être propriétaires de brevets obtenus à la suite de travaux de recherche financés par de l’argent public.

La croyance générale veut que cette loi a contribué à la forte croissance de l’économie américaine au cours des deux décennies suivantes, enrichissant au passage les universités et les scientifiques y travaillant. Ceux qui s’intéressent à la valeur marchande plutôt qu’à la valeur sociale de la science, participent activement à la promotion de cette idée.

Ainsi, c’est sur la base de cette idée que l’Afrique du Sud s’est dotée d’une loi similaire. Et cette idée s’est récemment enracinée en Inde où l’Etat, sous la pression des industries pharmaceutiques et biotechnologiques (et avec le soutien de la Chambre de commerce des Etats-Unis), propose un durcissement de la loi sur les brevets fondée explicitement sur l’approche Bayh-Dole. L’une des provisions suggérées serait de faciliter l’appropriation par des structures du secteur privé des résultats de travaux de recherche financés par des fonds publics.

Il existe néanmoins peu de preuves empiriques que la loi Bayh-Dole a eu aux Etats-Unis l’effet positif qu’on lui prête. Il est encore moins sûr qu’une telle loi serait appropriée à la situation des pays en développement (voir ‘Projet de loi indien sur les brevets : pas de précipitation’). Certains relèvent par exemple que seulement 5 pour cent du revenu des universités américaines provient des licences et des brevets.

La contre-collaboration

Il existe au contraire de multiples preuves anecdotiques confirmant que cette loi a fait naître chez beaucoup de chercheurs une perception de leurs connaissances comme mine d’or potentielle – surtout à ne pas partager avec de potentiels concurrents (c’est-à-dire les chercheurs qui travaillent dans d’autres universités) jusqu’à leur protection par une demande de brevet.

La loi a ainsi donné lieu à une avalanche de brevets dits ‘en amont’ sur des connaissances scientifiques de base, entraînant ce que certains observateurs ont qualifié d’un impénétrable ‘enchevêtrement de brevets’ empêchant les petits innovateurs de mettre leurs produits sur le marché. Dans le domaine des technologies de l’information, par exemple, le brevetage restrictif des logiciels empêche leur perfectionnement et leur commercialisation.

Comme l’a affirmé récemment un groupe d’universitaires, les efforts actuels visant à promouvoir des lois similaires dans les pays en développement "est alimenté par des affirmations exagérées et trompeuses quant à l’impact de cette loi sur l’économie américaine, ce qui peut pousser les pays en développement à espérer bien plus de cette loi qu’ils n’en tireront en vérité"(voir ‘Is Bayh–Dole good for developing countries? Lessons from the US experience‘).

Il serait bon de se remémorer les quelques fâcheux antécédents dans ce domaine. Prenez la bulle Internet à la fin des années 90, suivie par une ascension météorique de la valeur boursière des petites entreprises biotechnologiques, les capitalistes étant à la recherche de nouvelles opportunités d’investissement dans le domaine des technologies. Dans de nombreux cas, les entreprises avaient pour seul actif la promesse d’un brevet sur quelques données critiques issues du séquençage du génome.

Lorsque la bulle Internet a éclaté, la valeur des entreprises biotechnologiques a chuté, entraînant de graves pertes pour de nombreux investisseurs. Leur erreur ne réside pas tant dans la décision d’investir dans les valeurs biotechnologiques ; que dans l’excès de confiance qu’ils ont placé dans la valeur des brevets scientifiques.

Vers une innovation radicale

Les gouvernements du Sud ont d’autres solutions à leur disposition. Ainsi, ils peuvent axer la législation en matière de brevets sur des innovations technologiques authentiques, tout en protégeant l’accès facile à la recherche financée par l’argent public, et en récompensant par d’autres mécanismes, comme les prix, les chercheurs qui présentent des innovations ayant une valeur sociale.

Une solution plus radicale pour les gouvernements consisterait à favoriser ‘l’innovation ouverte’, une stratégie par laquelle un ensemble de personnes sont encouragées à coopérer dans le but d’effectuer des percées technologiques. Cette approche a déjà été proposée en Inde pour la mise au point de nouveaux traitements contre la tuberculose, par exemple.

Le moment est venu de penser autrement, et de façon radicale. Nous avons besoin de nouveaux types de stratégies d’innovation pour répondre aux futurs défis économiques et sociaux. Il faut aussiéviter de répéter les erreurs du passé récent.

La protection de la propriété intellectuelle continuera à faire légitimement partie de ces nouvelles stratégies. Mais la science ne peut efficacement contribuer à ces stratégies que si elle reste la plus ouverte possible. Reproduire l’approche de la loi Bayh-Dole, et ne fonder les espoirs que sur la valeur marchande de la science, n’est sûrement pas la voie à suivre.

David Dickson
Directeur du Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net)