10/11/17

Polémique en Ouganda autour du financement de la R&D

Staff at work at the Hilina Enriched Food Processing Centre 1
Crédit image: Panos

Lecture rapide

  • Le gouvernement a réservé des fonds pour la commercialisation de produits innovants
  • Les critiques soutiennent que le financement devrait soutenir plus de découvertes
  • Un expert appelle à une nouvelle façon de récompenser les innovations

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Dans le cadre des efforts visant à stimuler l'innovation, le gouvernement ougandais a pris des mesures audacieuses et mis de côté des fonds pour aider les innovateurs à commercialiser leurs produits.
 
Le gouvernement a engagé 30 milliards de shillings ougandais (environ 9 millions de dollars, 5 milliards de CFA) pour soutenir les innovations et la technologie et a alloué 4 millions de dollars supplémentaires (environ 2.2 milliards de CFA) pour financer les jeunes talents du secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC).
 
"Nous soutiendrons l'innovation en construisant une masse critique de professionnels des TIC, de la science, de la technologie et de l'ingénierie hautement qualifiés pour stimuler l'industrialisation", a déclaré Matia Kasaija, ministre des Finances, de la Planification et du Développement économique, lors d'une allocution sur le budget, le 8 juin 2017.
 
Cette première série de fonds sera principalement destinée aux innovateurs individuels qui ont déjà des produits en place.
 

Les critiques de l'initiative

 
Mais les critiques estiment que donner ces fonds à des individus plutôt qu'à des institutions mine les efforts visant à construire un écosystème d'innovation où les innovations peuvent être nourries et les innovateurs soutenus.
 
Les gouvernements du Sud ne devraient pas octroyer ces fonds à la fin du cycle de l'innovation, ajoutent-ils.

Mais les responsables de l'initiative ne sont pas de cet avis.

“Nous avons reçu des instructions pour soutenir les innovations déjà en place.”

Elioda Tumwesigye
Ministre de la Science, de la Technologie et de l'Innovation

 
"Nous avons reçu des instructions pour soutenir les innovations déjà en place afin que les scientifiques puissent actualiser leurs innovations", a déclaré Elioda Tumwesigye, ministre de la Science, de la Technologie et de l'Innovation (STI), à la 5ème réunion annuelle de CAMTech Ouganda, à la Mbarara University of Science and Technology  (MUST), en août de cette année.
 
Peter Ndemere, secrétaire exécutif du Conseil national ougandais pour la science et la technologie, explique à SciDev.Net qu'il y a eu beaucoup de produits mis en place par des scientifiques et des innovateurs ougandais qui atteignent difficilement les consommateurs.
 
"Maintenant, le président veut voir ces produits sur le marché et promus sur les marchés locaux, régionaux et internationaux", précise Peter Ndemere. "Je pense que cela représente aussi un changement de politique ; il ne s'agit pas seulement de faire de la recherche, mais de générer des revenus et de l'industrialisation."
 

"Buy Uganda, Build Uganda"

 
Parmi les produits à financer figurent les jus de banane fabriqués par William Kyamuhangire, professeur agrégé et directeur du Centre de technologie alimentaire et d'incubation des entreprises, à l'Université de Makerere ; Artavol, une infusion pour la de prévention du paludisme mise au point par Patrick Ogwang, pharmacien et conférencier à l'Université des Sciences et Technologies de Mbarara (MUST), et Tooke, une farine de matooke (banane) mise au point par Florence Isabirye Muranga, chef de l'Initiative présidentielle pour le développement industriel de la banane.
 
D'autres inventeurs qui devraient avoir le soutien des fonds publics comprennent Byarugaba Bazirake, directeur d'Afribanana Products Ltd, pour son incubateur agroalimentaire de bananes matooke sous vide, et Moses Kizza Musaazi, professeur à la faculté de technologie de l'université de Makerere, pour Makapads, une serviette hygiénique en papyrus.
 
Mais certains critiques se demandent pourquoi la plupart des innovations qui doivent être commercialisées sont des produits comestibles.
 
"La plupart des produits qui vont recevoir ce financement comprennent des jus et des vins et ceux-ci ne peuvent même pas conduire à l'industrialisation ou amener l'Ouganda au statut de pays à revenu intermédiaire voulu par le gouvernement", explique John Kintu, un jeune innovateur.
 
Ce qu'il faut soutenir, ce sont des innovations commercialement viables qui vont révolutionner les principaux secteurs du pays, ajoute-t-il.
 
Le fonds d'innovation, créé par le président Yoweri Museveni, vise également à promouvoir les produits fabriqués en Ouganda à travers la politique "Buy Uganda, Build Uganda" ou BUBU, qui a pris effet le 1er août 2017.
 
L'initiative, qui devrait promouvoir le patriotisme, vise également à stimuler les innovations technologiques pour accélérer le développement économique en Ouganda.

“Le gouvernement devrait financer les étapes initiales des innovations, y compris les études d'acceptabilité des utilisateurs finaux.”

Nuriat Nambogo
CAMTech Ouganda

 
Certains critiques craignent que ce processus de soutien à des scientifiques individuels ne soit pas durable et ne favorise que quelques innovateurs.
 
"Ce financement ne devrait pas être destiné aux individus et s'il est accordé à un projet, il devrait avoir des résultats attendus dans un délai donné", explique Moses Mulumba, directeur exécutif du Centre pour les droits de l'homme et le développement en santé, basé en Ouganda.
 
Moses Mulumba a déclaré à SciDev.Net que certaines personnes peuvent obtenir des financements pour des projets fantaisistes parce qu'elles auraient des passe-droits.
 
Il milite donc pour un financement par le biais d'un système établi, de préférence un établissement universitaire.
 
Data Santorino, pédiatre et conférencier au MUST et l'un des innovateurs à l'origine d'un réanimateur augmenté pour enfant qui surveille en temps réel et capture des données sur la qualité de la réanimation des bébés, estime que l'Ouganda n'est pas à court d'idées et de prototypes.
 
Data Santorino est également à la tête du CAMtech Uganda Hack-a-thons, un événement annuel où des centaines d'étudiants de premier cycle participent à la présentation des développements technologiques en matière médicale.
 
C'est à un stade précoce que les gouvernements du Sud devraient placer leur argent, pas à la fin, parce que la plupart des bailleurs de fonds traditionnels se positionnent pour accepter des démonstration de faisabilité approuvées ou des produits presque finis, explique-t-il.
 
Nuriat Nambogo, responsable de la recherche et du développement des subventions à CAMTech Uganda, ajoute que beaucoup d'innovateurs sont invités à faire des études initiales sur l'acceptabilité, mais n'ont pas l'argent pour le faire.
 
"Ce devrait être le gouvernement qui finance les étapes initiales des innovations, y compris les études d'acceptabilité par l'utilisateur final", explique Nuriat Nambogo.
 

Recherche pour les promotions ou innovation ?

 
Selon Data Santorino, les scientifiques dans les institutions académiques enseignent et mènent principalement des recherches pour les publications, afin d'obtenir des promotions et la reconnaissance par les pairs, un problème qui doit être examiné.
 
"Peut-être que nous devrions avoir un système d'incitation structuré différemment dans les institutions académiques. Une innovation a une valeur commerciale et une application industrielle, mais une publication a une valeur de connaissance", explique Data Santorino. "Quand nous atteindrons un point où on utilisera la production commerciale d'innovateurs, en dehors de simples publications, nous verrons plus d'innovations voir le jour."
 
Cet article a été rédigé par le bureau Afrique anglophone de SciDev.Net.