30/06/14

Réformer l’enseignement supérieur en Afrique: Faits et chiffres

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Crédit image: Abbie Trayler-Smith/H4+ / Panos

Lecture rapide

  • L'enseignement supérieur, en particulier les diplômes avancés, peut contribuer au développement
  • Mais l'expansion des cours de premier cycle et de programmes d'études supérieures reste encore insuffisant
  • L'Afrique a besoin plus de docteurs et de plus de diplômés prêts pour le marché de l'emploi

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Irene Friesenhahn explique pourquoi l’Afrique subsaharienne peine à former plus de diplômés mieux outillés. 

Pendant plusieurs décennies, donateurs et décideurs ont accordé la priorité à l’enseignement primaire et secondaire en tant que clé du développement et de la réduction de la pauvreté en Afrique subsaharienne. Mais, jusqu’à très récemment, ils n’ont cessé de réduire l’enveloppe consacrée à l’enseignement tertiaire.

C’est seulement depuis les années 1990 que l’importance de cet enseignement pour le développement socioéconomique occupe à nouveau une place de choix et refait partie intégrante de l’agenda politique dans plusieurs pays africains. [1,2] 

Entretien entre Lidia Brito et Kaz Janowski sur le rôle des systèmes universitaires dans la formation de ceux qu’elle présente comme des « agents de transformation de la société ». 

Il se dégage désormais un consensus sur le fait que l’Afrique a besoin de plus de titulaires de doctorat pour développer les connaissances robustes nécessaires pour impulser son développement.
 
L’Union africaine et le British Council plaident pour la prise en compte de l’enseignement tertiaire dans le programme de développement de l’après-2015, vu son rôle en tant que moteur du développement économique et de la prospérité.
 
Mais que faut-il pour que l’enseignement tertiaire devienne utile à l’Afrique ? Plus exactement, pourquoi est-il si difficile de former des docteurs et quels sont les changements à apporter à la formation doctorale afin qu’elle contribue à mieux répondre aux besoins du continent ?

Un secteur en expansion

Le secteur africain de l’enseignement tertiaire a connu une forte expansion depuis les années 1970. Selon les estimations, les effectifs d’étudiants à tous les niveaux sont passés d’environ 200.000 il y a une quarantaine d’années à environ 10 millions aujourd’hui. Mais seule une minorité des 1500 universités publiques et privées d’Afrique proposent des programmes de niveau postuniversitaire. [3]

En effet, au cours des dernières décennies, la plupart des étudiants souhaitant poursuivre des études postuniversitaires se sont exilés hors du continent. Les effectifs au niveau postuniversitaire à la fois dans les cycles de mastère et de doctorat représentaient 6,9 pour cent des effectifs totaux en 1997. Ce taux est passé à 9,3 pour cent en 2014.

C’est le résultat de plusieurs réformes du système éducatif ayant permis à davantage de personnes de mener des études supérieures, notamment l’Education de base universelle dont l’objectif est de réduire le taux d’abandon scolaire, l’Education pour tous destinée à assurer une éducation de qualité et les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui visent l’enseignement primaire universel.

La hausse des investissements publics dans l’enseignement tertiaire traduit l’évolution des perceptions du rôle des systèmes universitaires dans les priorités de développement de l’Afrique.

En 2006, les pays africains ont en moyenne dépensé 2.000 dollars EU par étudiant et par an – soit plus du double de ce que les pays en développement non africains consacrent à ce secteur. Le continent bénéficie aussi d’un soutien international dans ce secteur évalué à environ 600 millions de dollars par an. [4]

L’Afrique doit former des futurs dirigeants qui vont promouvoir une meilleure gouvernance et une meilleure gestion dans tous les secteurs et faciliter la mise au point de solutions novatrices aux problèmes de la société.
 
Les universités sont mieux placées pour fournir la main-d’œuvre nécessaire à mesure que la mobilisation pour la mise en place des économies du savoir gagne du terrain sur le continent. [5] (Cliquez-ici pour écouter notre interview en podcast où il est expliqué Pourquoi il est si important d’avoir un doctorat en Afrique de l’Est. En anglais)

Mais les efforts de formation au niveau postdoctoral se heurtent à quelques écueils. Il est vrai que les investissements dans l’enseignement tertiaire ont été revus à la hausse, mais ils s’avèrent insuffisants pour former des effectifs qui augmentent sans cesse.

Pour la plupart des universités, l’insuffisance des moyens financiers obère leur capacité à mettre en œuvre les programmes de second cycle universitaire.

L’insuffisance du personnel, notamment le corps enseignant, constitue l’un des facteurs majeurs auxquels s’ajoutent les caractéristiques démographiques, avec souvent, moins de 40 pour cent de l’ensemble du personnel des universités âgé de moins de quarante ans. [6] Ce taux est proche de celui d’autres régions du monde, mais il est plus faible que prévu pour un continent dont la population est la plus jeune au monde. Les coupes budgétaires, le gel des recrutements, les bas salaires et les faibles ratios personnel/étudiants (jusqu’à 1 pour 46 en Afrique du Sud) découragent les jeunes diplômés de faire carrière à l’université.

Avec de petits budgets, les universités ont du mal à se doter des infrastructures de formation adéquates, les améliorations au cours des décennies passées s’avèrent insuffisantes. Les partenariats internationaux peuvent contribuer à compenser l’insuffisance des ressources, renforcer les capacités en matière de recherche et permettre d’accroître le nombre de jeunes universitaires africains titulaires de diplômes postuniversitaires.

Mais nombreux sont les étudiants qui continuent à travailler sans avoir un accès adéquat à l'Internet, aux ouvrages, aux équipements, aux laboratoires et aux bibliothèques.

Ce qui réduit la qualité de la formation et de l’apprentissage et freine la production d’une recherche pertinente et de qualité. [3] Parmi les jeunes chercheurs africains interrogés par Global Young Academy, 70,3 pour cent déclarent que la rareté des financements constitue l’un des principaux écueils dans leur carrière, tandis que 51,6 pour cent font allusion au manque de ressources. [7]

Cette situation découle non seulement de plusieurs décennies d’absence d’engagement politique en faveur de l’enseignement supérieur, mais aussi de l’exil connexe d’universitaires. Le personnel qualifié abandonne souvent les postes d’enseignant dans des universités africaines pour des emplois plus attractifs et mieux rémunérés dans d’autres secteurs ou à l’étranger.

Environ 10 pour cent de chaque cohorte d’Africains subsahariens diplômés du second cycle universitaire quittent le continent, laissant derrière eux un nombre relativement faible de chercheurs dans la plupart des pays (voir Figure 1). [8]
 

 Nombre de chercheurs par million d’habitants
  Pas de données disponibles
  De 0 à 500
  De 500 à 2.000
  De 2.000 à 5.000
  De 5.000 à 8.000
  De 8.000 à 11.961

 Figure 1: Nombre de chercheurs par million d’habitants, adapté du Tableau statistique de l’Institut de statistique de l’UNESCO, Déc. 2012, n° 21Cliquez-ici pour voir les données.[9] Cliquez pour agrandir la carte
En raison de ces difficultés, les performances des universités africaines dans le domaine de la recherche sont parmi les plus mauvaises au monde. Un seul pays du continent, à savoir l’Afrique du Sud, figure au classement des 50 premiers pays dans le monde en ce qui concerne les résultats de la recherche (35e) et moins de 10 pays africains font partie des 100 premiers, selon le classement par pays de SciMago qui s’appuie sur les données de Scopus, une grande base de données d’articles de revues scientifiques. [10]

Des compétences négligées

 
Dans le domaine de l’emploi, il existe un décalage entre le système universitaire et le marché de l’emploi hors des campus.

Traditionnellement, les universités africaines préparent les étudiants à occuper des emplois du secteur public en négligeant les besoins du secteur privé. [11] Mais étant donné que la population du continent ne cesse de croître, le secteur public aura du mal à satisfaire une demande croissante d’emplois.

Et même si les diplômes universitaires ont été un préalable à l’obtention d’un emploi dans le secteur public, les compétences requises n’ont jamais été ni spécifiées ni enseignées.

Par conséquent, la formation a tendance à se soucier davantage des tâches bureaucratiques et de procédure que des activités novatrices : un handicap pour les employeurs tant du secteur public que du secteur privé.

Bien que cette situation soit propice à la réorientation vers des carrières dans le secteur privé qui peut présenter des avantages tels que de meilleures perspectives d’emploi et des salaires plus élevés, ce secteur est généralement d’une taille trop petite pour supporter à lui seul cette transition (même si les pays plus riches peuvent faire face à une situation contraire, voir Encadré 1). Avec comme résultat le chômage ou des emplois informels, même pour des diplômés du supérieur.

L’inadéquation entre la formation et l’emploi s’étend même au niveau postuniversitaire.

A travers le continent et à tous les niveaux de formation, il existe de gros écarts entre la formation et les compétences recherchées par les employeurs. (Encadré 1) Les étudiants sont très peu formés à l’application des résultats de leurs recherches, notamment en matière d’entrepreneuriat, la résolution des problèmes au sein des communautés ou la commercialisation des innovations.

Dans cette optique, la prolifération des pôles d’innovation sur le continent africain peut être considérée comme une preuve de l’échec du système universitaire [11] (Voir notre vidéo sur La promotion de la recherche en TIC en Afrique. En anglais

Le Tableau 1 qui est basé sur des données issues d’une enquête des Perspectives économiques en Afrique réalisée auprès des experts dans 36 pays permet de constater que même si les taux de réussite sont globalement les mêmes que dans d’autres régions du monde (excepté les filières de l’ingénierie), les diplômes délivrés ne sont pas nécessairement adaptés à des secteurs prometteurs comme les télécommunications, l’ingénierie, l’agriculture, les technologies de l’information, la santé, la banque et l’éducation. [12] Cela traduit à la fois une mauvaise orientation de la part des universités et une orientation stratégique lacunaire à travers les politiques nationales.

Source: Perspectives économiques de l’Afrique (2012) Emploi des jeunes (En anglais) [12]
  Education, sciences humaines et arts Sciences sociales, gestion et droit Science Ingénierie, industrie et construction Agriculture Santé et bien-être Services Other
Afrique subsaharienne 26% 44% 12% (3%TIC) 4% 2% 5% 0% 7%
Afrique du nord 22% 51% 8% (1% TIC) 10% 1% 6% 1% 1%
Asie 23% 30% 6% 20% 4% 9% 4% 4%
Amérique latine 23% 38% 7% 9% 2% 13% 3% 5%
OECD 25% 37% 10% (3% TIC) 11% 2% 11% 4% 1%
 
Encadré 1: Des compétences inadaptées
Selon le magazine The Economist, 800.000 offres d’emploi dans le secteur privé ont été recensées en Afrique du Sud en 2012. [13] Curieusement, la même année, l’on a enregistré 600.000 demandeurs d’emploi diplômés de l’enseignement supérieur et qui avaient du mal à trouver du travail. Des situations similaires peuvent être retrouvées à travers toute l’Afrique.

Ce magazine explique que ce paradoxe apparent est le reflet de l’inadéquation entre les compétences acquises à l’université et celles recherchées par les employeurs.
 

A mesure que les pays s’enrichissent, l’on s’attend à ce que les politiques et les lois qui mettent en place les structures économiques et industrielles modernes qui forment la main-d’œuvre requise pour gérer des tâches complexes dans un milieu professionnel en mutation, mais le monde universitaire a besoin de temps pour répondre à la demande de nouvelles compétences. Cela expliquerait en partie le constat surprenant selon lequel le développement économique et la richesse ne sont pas des garanties contre de tels décalages. Les études montrent que les économies plus prospères ont encore plus de mal que les pays pauvres à trouver des diplômés du supérieur ayant le profil recherché sur le marché de l’emploi. [12]
 

Quantité ou qualité?

 
Il ressort des données de l’UNESCO que les étudiants d’Afrique subsaharienne sont ceux qui choisissent le plus d’étudier à l’étranger, dans d’autres pays africains notamment, par rapport à leurs homologues d’autres régions du monde, excepté l’Asie. [14] Mais, bien que le nombre d’étudiants qui poursuivent leurs études à l’étranger soit passé de 204.900 en 2003 à 288.200 en 2012, il a baissé en proportion, passant de 6 pour cent à 4,5 pour cent au cours de la même période.

C’est la preuve que certains systèmes universitaires africains progressent, ce qui encourage les étudiants à rester au bercail.

Toutefois, l’émigration vers les pays subsahariens offrant de meilleures opportunités se poursuit. La même étude de l’UNESCO montre que les pôles universitaires régionaux deviennent les destinations préférées des étudiants sur le continent, en partie en raison de la similitude des cultures et de la faiblesse des coûts de déplacement.

Le Ghana et l’Ouganda sont devenus les nouveaux pays de destination des étudiants, et l’Afrique du Sud reste une destination attractive pour les étudiants de tous les niveaux, accueillant 22 pour cent d’étudiants étrangers originaires d’Afrique subsaharienne.

Cette tendance reflète les initiatives visant à augmenter le nombre de titulaires de doctorat à mesure que se créent les universités et que de nouveaux programmes postuniversitaires sont lancés.

Mais, d’après les prévisions de la Banque mondiale, compte tenu de l’insuffisance des financements et des infrastructures, l’augmentation du nombre de titulaires de doctorat sera probablement moins significative au cours des toutes prochaines années (voir Figure 2).

Et même si l’augmentation du nombre de doctorats va stimuler le développement, elle ne suffit pas en soi. La qualité des programmes universitaires et leur pertinence pour les problèmes africains constituent un problème auquel la plupart des gouvernements africains doivent s’attaquer dans leur stratégie de développement de la formation doctorale. [15]

(Cliquez ici pour l’article d’opinion intitulé Mettre l’accent sur la recherche pour le développement et non les classements des universités)

Projection des diplômés par niveau de scolarité en Afrique sub-saharienne
Figure 2. Projections des diplômés (en millions) par niveau d’instruction en Afrique subsaharienne, tirées du rapport des PÉA intitulé L’emploi des jeunes en Afrique et adossées sur la base de données EdStats de la Banque mondiale. [12] Cliquez sur l’image ci-dessus pour l’agrandir De nombreux experts estiment que les gouvernements et les institutions universitaires ont le devoir de proposer des programmes de formation efficaces et adaptés permettant de réduire l’inadéquation des compétences, en outillant mieux les jeunes diplômés du supérieur pour le secteur privé et en favorisant l’innovation et l’esprit d’entreprise. [16] La poursuite de l’objectif politique consistant à développer l’enseignement tertiaire a créé une situation où la « qualité » de la formation n’a pas suivi. Grâce aux efforts d’augmentation des effectifs, trop d’étudiants ont été finalement admis dans des filières conçues pour des effectifs limités. Toutefois, l’implication croissante du secteur privé dans l’enseignement supérieur et l’exigence de transparence ont donné aux gouvernements, aux institutions et au public des raisons d’accorder plus d’attention à la qualité de la formation vu le rôle important que l’enseignement tertiaire joue dans la croissance économique (16).

Selon un nouveau rapport du Conseil pour l’enseignement supérieur en Afrique, les politiques éducatives et la formation des enseignants sont indissociables des programmes scolaires étant donné leur importance cruciale dans la mise en œuvre des projets et idées. [17] Les politiques susceptibles de contribuer à l’amélioration de la qualité de la formation passent par la fourniture gratuite des ouvrages aux apprenants, la levée des obstacles à l’accès des femmes à l’éducation, la réforme des programmes, la formation des enseignants pour la mise en œuvre des nouveaux concepts pédagogiques en salle de classe, et l’utilisation des technologies de l’information et des communications. [18] La promotion de la pensée critique, en particulier, est considérée comme essentielle à la qualité de la formation et a été de ce fait ajoutée aux priorités politiques dans certains pays, notamment le Nigéria (voir Encadré 2). [19] 

Encadré 2: La pensée critique
Les approches pédagogiques qui favorisent la pensée critique sont importantes parce qu’elles aident les apprenants à réfléchir pour eux-mêmes, à se forger une opinion objective du monde qui les entoure et à devenir des citoyens engagés. Un système pédagogique favorable à la pensée critique inclut les stratégies d’apprentissage coopératif comme la libre expression d’idées ou brainstorming, et des activités de groupe, des exposés et des débats entre étudiants, le questionnement du lecteur et entre apprenants, les dialogues et l’apprentissage sous la forme de conférences .
 
Les spécialistes ont identifié huit attitudes qui caractérisent une personne ayant la pensée critique : [20,21]
1.     pose des questions ; 
2.     définit les problématiques ; 
3.     examine les données ; 
4.     analyse les postulats et les distorsions ; 
5.     évite le raisonnement émotionnel ; 
6.     évite la simplification excessive ; 
7.     considère les interprétations variées ; 
8.     tolère l’ambiguïté. 

Des compétences plus larges et une meilleure parité des sexes

 

D’aucuns pensent que la portée et la souplesse de l’enseignement tertiaire jouent un rôle encore plus important. Certes, les diplômés doivent maîtriser leur domaine de spécialité, mais les compétences professionnelles sont également essentielles, y compris le savoir-être, l’entregent et les compétences transférables (voir Encadré 3).

De même, une meilleure maîtrise des sciences sociales peut permettre aux étudiants de comprendre les processus sociaux qu’impliquent l’application de nouvelles connaissances ou technologies.

Et la résolution des problèmes complexes du 21e Siècle nécessite la contribution de domaines variés, nécessitant une éducation transdisciplinaire et l’apprentissage participatif [22,23]. Les étudiants en auront besoin en milieu professionnel moderne, où l’on n’occupe plus le même emploi à vie.

Encadré 3: Compétences pour l’employabilité
Le modèle « USEM » est proposé par Knight et Yorke pour décrire les compétences dont les diplômés du supérieur ont besoin pour améliorer leur employabilité : [24] 
 
U: Deep Understanding: savoir-faire spécialisé de leur domaine.
S: Skilful practice : bonne maîtrise de la communication, de la gestion du temps, de soi et des ressources, résolution des problèmes et apprentissage à vie.
E: Efficacious beliefs: identité personnelle, estime de soi et qualités individuelles. Ces critères aident les étudiants à senti qu’ils peuvent « faire la différence ».
M: Metacognition : « conscience d’apprendre » — conscience d’apprendre et de la capacité à réfléchir sur leurs actes.
 

L’autre question importante pour la prochaine génération d’universitaires africains a trait aux perspectives d’égalité de participation des femmes à l’enseignement tertiaire.

Il ressort de l’Atlas mondial de l’UNESCO sur l’égalité des genres dans l’éducation que même si sur le plan mondial le ratio femmes/hommes dans l’éducation est passé de 0,74 en 1970 à 1,08 en 2009, la situation est différente dans les régions Afrique subsaharienne et Asie occidentale où les hommes continuent de dominer. [25] Le changement dans l’enseignement tertiaire passera par l’élaboration de politiques tenant compte de la spécificité des sexes et un changement des mentalités à l’égard de l’éducation des filles.

Complémentarité avec le développement

 
La réussite de la réforme universitaire passe par le relèvement des défis auxquels l’Afrique fait globalement face et la satisfaction des besoins spécifiques du marché de l’emploi.

Le taux de chômage des jeunes diplômés du supérieur en Afrique est de16 pour cent dans les pays à faible revenu, et 46 pour cent dans les pays à revenu intermédiaire. [26] Les universités peuvent participer à la création d’emplois en équilibrant et en intégrant trois objectifs: la satisfaction des besoins pratiques du marché de l’emploi, la production de nouvelles connaissances à travers des activités de recherche menées par des chercheurs de niveau doctoral ; et la formation de citoyens équilibrés et engagés.

L’importance des liens entre l’industrie et l’université est reconnue partout en Afrique. Par exemple, l’Association des universités africaines a pu mener à bien un programme qui a permis de renforcer les liens entre les universités et le monde industriel. [27] L’objectif est d’aider les étudiants à mieux connaître les problèmes du monde réel, améliorer leur employabilité et former une main-d’œuvre mieux outillée qui a moins besoin d’être recyclée en entreprise.

Les collaborations internationales ont également un rôle à jouer, par exemple, le réseau Graduate Employment Network de l’Association des Universités du Commonwealth regroupe les spécialistes de la formation et de l’emploi pour débattre des meilleures pratiques en matière de formation des diplômés du supérieur. Et les programmes de financement comme les Partenariats de transfert des connaissances avec l’Afrique (Africa Knowledge Transfer Partnerships) du British Council peuvent permettre aux diplômés d’accéder à l’industrie tout en aidant les entreprises à accéder aux connaissances scientifiques, à la technologie et aux compétences produites dans les universités.

D’après des prévisions économiques optimistes, la croissance économique du continent sera plus rapide que la moyenne mondiale entre 2013 et 2016. [28] Soutenir cette croissance passera principalement par la mise en place de structures économiques modernes axées sur l’innovation et le développement technologique. Il est donc normal que « l’innovation en tant que priorité » soit un des thèmes majeurs de l’Agenda 2063, la stratégie à long terme de l’Union africaine [29]

Ces perspectives sont non seulement encourageantes pour l’économie africaine mais elles ont aussi des conséquences sur l’avenir des titulaires de doctorat. Selon le panel de l’Union africaine sur la science, la technologie, et l’innovation, la stratégie de développement du continent doit être axée sur les infrastructures de télécommunications, de l’énergie et de transport. [29] Les autres domaines prometteurs étant la santé et les sciences de la vie, l’agriculture et l’ingénierie.

Le panel recommande par ailleurs de mettre l’accent sur les technologies émergentes comme la biotechnologie, un secteur à croissance rapide et d’une grande pertinence pour l’agriculture.

Les systèmes éducatifs africains et les perspectives économiques sont indissociables. Les efforts visant à mieux les harmoniser nécessitent de la volonté politique, des investissements stratégiques et un système universitaire solide qui offrent des possibilités de créer des entreprises à forte intensité de technologies.

Pour y arriver, plusieurs institutions universitaires devront revoir leurs profils, programmes et méthodes pédagogiques, ainsi que leurs activités de recherche.

Il faudra pour cela faire de la pensée critique et des compétences pour l’employabilité une partie intégrante de l’apprentissage et de la formation, offrir des modules de formation adaptés aux besoins de l’industrie et introduire des systèmes d’assurance-qualité. Si elles y parviennent, elles seront à l’avant-garde de la transformation de l’Afrique.

Irene Friesenhahn travaille sur le projet « Situation des jeunes chercheurs dans le monde » de Global Young Academy. Vous pouvez la contacter à l’adresse [email protected] et sur Twitter @GlobalYAcademy 

Cet article fait partie du Dossier: Comment rendre l'enseignement supérieur utile pour l'Afrique?

Références

(1) British Council Why the UN must include higher education in the post millenium goals agenda (3 October, 2013)
(2) Delivering the Post 2015 applied science and skills agenda for Africa: the role of business A conference organised by The Planet Earth Institute (20 May 2014)
(3) Fred Hayward and Daniel Ncayiyana Confronting the Challenges of Graduate Education in Sub-Saharan Africa and Prospects for the Future (Chronicle of African Higher Education March 2014)
(4) World Bank Financing Higher Education in Africa  (World Bank, 2010)
(5) Ginette Azcona and others Harvesting the future: the case for tertiary education in Sub‐Saharan Africa. (The Maxwell School of Syracuse University, 8 June 2008).
(6) Wisdom Tettey Challenges of developing and retaining the next generation of academics: deficits in academic staff capacity at African universities (Partnership for Higher Education in Africa, 2010)
(7) Irene Friesenhahn and Catherine Beaudry The Global State of Young Scientists. Project Report and Recommendations (Global Young Academy, 2014)
(8) Higher Education in Sub-Saharan Africa Harvard University
(9) UNESCO Institute of Statistics Human Resources in R&D (UIS Fact Sheet 21, December 2012)
(10) Scimago Journal and Country Rank Country Rankings, 1996–2012 (Scimago Lab, 2007–2014)
(11) Tim Kelly Tech hubs across Africa: which will be the legacy-makers? (World Bank, 30 April 2014)
(12) African Economic Outlook Promoting Youth Employment in Africa (AEO, 2012)
(13) The Economist Education in South Africa: still dysfunctional, (21 January 2012)
(14) UNESCO Institute for Statistics Global flow of tertiary-level students (UIS, 2012)
(15) Peter Materu Higher education quality assurance in Sub-Saharan Africa: status, challenges, opportunities and promising practices (World Bank Working Paper no. 124, 2007)
(16) Imma Quintana and Adrià Calvet Current situation and future challenges of PhD studies in Sub-Saharan Africa (African-Spanish Higher Education Platform, September 2012)
(17) Council on Higher Education, South Africa Quality enhancement project: the process for public higher education institutions (CHE Institutional Audits Directorate, January 2014)
(18)Richard Paul and Linda Elder The Miniature Guide to critical thinking: concepts and tools, (The Foundation for Crititcal Thinking, 2006)
(19)N.Y.S. Ijaiya and A.T. Alabi  Teacher education in Africa and critical thinking skills: need and strategies (paper presented at the International Conference Of The Collaboration Of Educational Faculties Of West African Universities, 2010)
(20)Carole Wade Using writing to develop and assess critical thinking. Teaching of Psychology 22(1), 24-28 1995
(21) Critical thinking skills and teacher education ERIC Digest 3-88 (Ericae.net, 1988)
(22) Ruth Bridgestock The graduate attributes we’ve overlooked: enhancing graduate employability through career management skills (Higher Education Research and Development 28:1., 2009)
(23) D Glover and others Graduateness and employability: Student perceptions of the personal outcomes of university education (Research in Post-Compulsory Education 7:3., 2002)
(24) Peter Knight and Mantz Yorke. Assessment, learning and employability (Open University Press, 2003)
(25) UNESCO World Atlas of Gender Equality in Education (UNESCO, 2012)
(26) World Bank List of Economies (World Bank, 2013)
(27) Association of Universities and Colleges of Canada Strengthening Higher Education Stakeholder Relations in Africa
(28) World Bank Africa’s Pulse (World Bank, October 2013)
(29) Africa Union Agenda 2063: a shared strategic framework for inclusive growth and sustainable development. Background note. (August 2013)