16/12/08

Controverse et changements à l’Université du KwaZulu-Natal

L'Université du KwaZulu Natal Crédit image: Flickr/Kleinz1

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La polémique sur la liberté universitaire en Afrique du Sud est-elle la conséquence des réformes post-apartheid ou d’une mauvaise gestion de la hiérarchie? Sharon Davis enquête sur la question.

Des litiges opposant le corps enseignant à la direction de l’Université sud-africaine du KwaZulu- Natal (UKZN) ont mis en lumière les difficultés auxquelles les institutions font face dans le contexte politique et social qui prévaut actuellement dans ce pays.

Plus d’un millier de personnes, notamment des universitaires sud-africains et étrangers respectés viennent de signer une pétition sur Internet pour soutenir deux enseignants suspendus après avoir critiqué les dirigeants de l’UKZN d’avoir supprimé la franchise universitaire.

Dans le même temps, l’UKZN déclare avoir pris des mesures disciplinaires contre son personnel pour n’avoir pas respecté les règles de procédure et violé le secret professionnel.

La querelle s’est tellement envenimée et a eu un tel retentissement, que le ministre de l’éducation, Naledi Pandor, a appelé le conseil, qui s’est réuni la semaine dernière, à restaurer la confiance au sein de la communauté universitaire et auprès du public.

La véritable cause de la querelle est complexe. Au-delà des récriminations contre l’absence de franchise universitaire, d’autres questions ont été noyées dans les réactions émotionnelles. « Le problème à l’UKZN est beaucoup plus complexe que la perception que l’opinion en a à travers les médias, » déclare Simon Mapadimeng, sociologue industriel et précédemment enseignant dans cette université.

Les droits académiques

Techniquement, le débat tourne autour d’une décision de Malegapuru Makgoba, recteur et directeur de l’UKZN.

Nithaya Chetty

Sharon Davis

Deux universitaires, le professeur de mathématiques John Van den Berg et Nithiya Chetty, professeur de physique, ont accusé Makgoba d’avoir à plusieurs reprises empêché le débat au conseil d’administration sur un document officiel de la faculté des sciences sur la franchise universitaire.

Dans ce document, les enseignants se plaignent que la direction de l’université étouffe les problèmes en personnalisant et en donnant une coloration raciale au débat.

Makogba réitère que le conseil d’administration a débattu sur ce document au mois d’août, en tant que partie d’un document traitant plus globalement de la franchise universitaire.

Cependant, Chetty et Van den Berg, convaincus que leurs opinions ont été étouffées, se sont ouverts aux medias sur le problème. Cette initiative est à l’origine de leur suspension. Par la suite, Chetty a démissionné. Van den Berg a été réhabilité après avoir reconnu partiellement sa culpabilité, ce qui lui vaut un dernier avertissement inscrit sur son dossier.

L’Institut sud-africain pour la liberté d’expression s’est saisi de cette affaire et a établi un lien entre cette affaire et d’autres préoccupations relatives à la menace qui pèse sur la franchise universitaire ailleurs en Afrique.

Jane Duncan, Directrice exécutive de cet institut, pense que la franchise universitaire recule en Afrique du Sud. Selon elle, cette situation s’explique par le fait que la réduction des subventions de l’Etat a accru la pression sur les universités pour trouver des mécènes privés. Ce qui les rend plus soucieuses de leur image de marque et plus sensibles à la critique. Un avis que Makgoba rejette.

Un écran de fumée?

Chetty reçoit une ovation

Sharon Davis

Chetty a exprimé son opinion sur la franchise universitaire lors d’une rencontre sur la liberté d’expression et la responsabilité des intellectuels, tenue au Centre pour la Société civile sur le campus de l’UKZN.

La franchise universitaire suppose non seulement la liberté dans le domaine universitaire mais également l’autonomie institutionnelle et le pouvoir des universitaires, qui implique une capacité de prise de décisions des universitaires en tant que groupe socioprofessionnel, précise-t-il. Il est convaincu que  le pouvoir des universitaires n’existe pas à l’UKZN. Il soutient également que le conseil d’administration de l’UKZN, dont il a été membre, fait preuve de mauvaise gouvernance  et est géré de manière antidémocratique.

Makgoba pense que tout ce discours sur la franchise académique n’est qu’un écran de fumée, une question émotionnelle et de jalousie,  poussant les universitaires à mettre un terme à leur critique.

Il relève que les droits académiques fondamentaux relatifs à l’enseignement, aux travaux de recherche et à la publication d’articles restent intacts à l’UKZN.

Cette question, ajoute-t-il, est d’ordre administratif. Les deux universitaires ont violé les procédures de l’université et violé le secret universitaire en parlant à la presse. Il ne lui restait plus d’autre option que de prendre des mesures disciplinaires contre eux pour avoir sali la réputation de l’UKZN.

Mais les enseignants proches de Makgoba estiment que le litige ne concerne ni la franchise universitaire ni l’administration. Il s’agit de la résistance du personnel en poste, de la ‘vieille garde’, au changement.

‘La ‘transformation est un processus’ qui consiste à passer de la structure socioéconomique créée par le système de l’apartheid dominé par les Blancs qui en tirait profit à un système plus représentatif de la population globale.

Au sein des universités, cette transformation a conduit au remplacement d’un grand nombre d’enseignants blancs et indiens et du personnel administratif par des noirs, non seulement pour corriger les inégalités précédemment instaurées et fondées sur la race et la couleur, mais aussi pour créer des modèles pour les étudiants noirs.

Les universités essaient également de réduire la distance qui existe entre elles, leurs propres communautés et le grand public, afin d’ adapter leur travail aux réalités de l’Afrique du sud et de l’ensemble du continent noir. Pour Makgoba, la résistance à cette initiative prend souvent la forme de protestations contre la détérioration de la qualité de l’enseignement.

Pour Mac Mia, Président du conseil de cette université il y a beaucoup d’aspects positifs à la transformation en cours à l’UKZN. Elle a pu créer « un modèle de grande école… donner  une forte identité africaine aux bourses, bâtir des infrastructures de pointe pour l’enseignement et la recherche… et un modèle novateur de gouvernance des étudiants  actuellement  copié par d’autres institutions et qui a permis l’émergence d’un leadership estudiantin exceptionnel…ainsi que des outils modernes, objectifs et transparents de gestion » et bien d’autres succès.

L’on constate cependant une forte résistance au changement. Certaines personnes favorables à Makgoba sont allées jusqu’à dire que de fausses informations avaient été diffusées dans le seul but de faire échouer la transformation sociale post-apartheid.

Dans une déclaration écrite, Colleen Aldous Mycock, généticien dans cette université, estime que « La situation actuelle… est le couronnement des pitreries de mes collègues qui veulent jalousement préserver leurs avantages, conserver le statu quo et continuer à mener une campagne interminable contre la direction qui a été mise en place pour transformer l’université et non pour maintenir le statu quo ».   

S’exprimant à titre personnel, Okeke Uzodike, Directeur de l’Ecole des sciences politiques, estime que  « en claironnant ces questions [de franchise et de gestion universitaire] dans toute l’université et au-delà (dans les journaux), quelques individus ont travaillé d’arrache-pied pour empêcher que des changements significatifs ne soient opérés à l’UKZN ».

Une gestion peu diplomatique

Pour Mapadimeng, ces questions de transformation, d’équité et de race, et non de franchise académique, sont au coeur du litige.

Pourquoi a-t-il démissionné de l’université?

La position de Mapadimeng met probablement le doigt sur le troisième élément de cette querelle: la personnalité controversée et peu diplomatique de Makgoba.

Makgoba est un immunologue sud-africain qui a fait ses études à la Faculté de médecine de l’Université du Natal avant d’obtenir un doctorat à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. En 1995, il est devenu le premier recteur noir de l’Université de Witwatersrand. Il  avait été suspendu à la suite d’allégations de mensonges sur son CV avant d’être réhabilité.

Entre 1999 et 2002, il a été à la tête du Conseil Sud-africain de recherche médicale, où il a été honoré pour avoir été l’un des rares universitaires qui a eu le courage de dire que le VIH est à l’origine du sida.

Il est arrivé à l’UKZN dans des circonstances troubles, avec pour mission d’appliquer la peu populaire décision de fusionner cinq campus universitaires, qui regroupent à présent 4 000 enseignants et 39 étudiants au sein d’une seule institution. Il a pu réaliser cette fusion malgré plusieurs crises avec le personnel., Son style managérial a cependant donné des arguments  à ses adversaires.

Ainsi, la démission de Mapadimeng, est motivée par sa conviction  que la transformation qui s’est opérée est insuffisante et que l’université est remplie de « clubs de copains ».

Il parle d’une « ambiance dépressive », et d’un « climat de peur et d’une faillite de l’esprit d’équipe ». D’autres qualifient les techniques managériales de Makgoba de belligérantes et l’accuse de tyranniser le personnel. Ils en veulent pour preuve le type d’attaque que Makgoba a lancé contre Chetty pour ce qu’il qualifie de «mauvais résultats académiques». C’est pourquoi Chetty publie ses dernières performances afin que les autres puissent en juger.

La semaine dernière au cours de la réunion sur la liberté d’expression, les participants ont accusé Makgoba de transformer tous les débats en question raciale, de gérer par la terreur, de ne promouvoir que ses amis, et de mener des attaques personnelles contre tous ceux qui osent le critiquer.

Chetty accuse Makgoa d’imposer le changement sans ouvrir de dialogue sur les problèmes de personnel. Il reconnaît que la transformation ne s’est pas faite sans peine mais il le met sur le compte de la gestion du processus, et non sur la résistance opposée au changement par l’establishment.

Le conseil de l’université vient d’annoncer la mise en place prochaine d’un comité, composé de membres internes et externes, qui auront des pouvoirs étendus pour leur permettre d’enquêter sur la franchise académique et la façon dont les litiges sont résolus au sein de l’université.

Le succès de ce comité dans la résolution des litiges dépendra du diagnostic. Pour certains, les tensions actuelles sont dues à la résistance au changement de ceux qui détenaient le pouvoir par le passé. Pour d’autres, c’est plutôt la manière dont le changement est en train d’être imposé au personnel qui serait en cause. Il s’agit probablement d’un mélange des deux.