08/02/13

Analyse : de l’urgence d’investir dans l’océanographie

Indian Ocean
Crédit image: Flickr/United Nations Photo

Lecture rapide

  • Un programme de long terme s'engage à soutenir financièrement l'océanographie africaine
  • Ces fonds seront consacrés aux équipements, à la formation, au regroupement des données et à la création d'un centre de recherche continental
  • Nécessité de projets stimulants pour maintenir l'intérêt pour ce programme

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L'an dernier, la situation de la science africaine de l'espace a connu un succès majeur. L'attribution de plus de la moitié des 2 milliards de US$ du super-radiotélescope (SKA) – un projet international de science et d'ingénierie – au continent a ouvert les vannes du financement, surtout pour les équipements, et permis un développement de la formation dans le domaine de la recherche.

Mais il existe un autre domaine d'importance qui nécessite aussi d'importants investissements : l'océanographie.

Un nouveau programme – « La Stratégie maritime africaine intégrée à l'horizon 2050 » – pourrait être pour l'océanographie africaine aussi utile que le SKA l'a été pour l'astronomie.

Cependant, même si le programme semble bon sur le papier, encore faut-il que les gouvernements africains soient prêts à apporter les financements et l'appui politique à long terme nécessaires pour transformer ce rêve une réalité.

Le continent a naturellement besoin de l'océanographie : les eaux qui entourent l'Afrique sont parmi les moins explorées au monde. Et les défis posés aux surfaces maritimes par des industries comme la pêche, l'exploitation pétrolière, le tourisme et le transport maritime ont besoin de l'aide de la recherche.

D'après les estimations des scientifiques, seule la moitié des espèces marines au large de la côte Est de l'Afrique ont été décrites scientifiquement. Et pour les espèces connues, des questions relatives à leur milieu de vie et aux conditions de leur survie subsistent.

La dynamique des océans autour de l'Afrique est également un sujet méconnu. Grâce aux satellites, les scientifiques ont une assez bonne connaissance des phénomènes qui s'opèrent en surface. Mais à partir de quelques centimètres de profondeur, des prises de mesures in situ.sont nécessaires. Une grande partie de la surface des eaux africaines n'a fait l'objet d''aucune étude en raison du manque d'équipements tels que les navires de recherche océanographiques.
 

Combler les lacunes


Selon James Stapley, coordonnateur des technologies de l'information et des communications du Projet Grands Ecosystèmes marins d'Agulhas et de Somalie, « plus on s'éloigne de la côte et plus on s'enfonce dans les profondeurs, moins on en sait ». Ce projet est financé par le Fonds mondial pour l'environnement avec l'appui du Programme des Nations Unies pour le développement pour étudier les eaux au large des côtes est-africaines.

Mais les efforts actuels ne suffisent pas. Les océanographes africains ont une longue liste de tâches à effectuer. Le continent a besoin de programmes de formation, de navires océanographiques – dont aucun pays ne dispose actuellement mis à part l'Afrique du Sud – et des équipements océanographiques onéreux tels que des bouées permettant de collecter des données de long terme.

Tout ceci nécessite une hausse massive des investissements – à la fois par les pays africains et les bailleurs de fonds internationaux. A cet égard, la stratégie maritime qui a été adoptée en décembre dernier (2012) par les ministres chargés des affaires maritimes est une lueur d'espoir.

En plus de la stimulation des échanges maritimes intra-africains, l'amélioration de la sécurité des marins et la protection de l'environnement marin, ce document préconise également d'importants investissements dans la recherche océanographique.

La stratégie se propose de coordonner et de soutenir la recherche, rassembler les données maritimes, former de nouveaux chercheurs et élaborer un programme de recherche marine spécifique à l'Afrique. La création d'un centre de recherche continental – baptisé Ocean and Seas Research Institute of Africa [Institut de recherche sur les océans et les mers d'Afrique], est également envisagée.

Mais ce document est loin d'être parfait. On peut douter du bien-fondé de l'ambition de regrouper toutes les initiatives africaines de recherche en océanographie en un seul centre. Une approche régionale serait plus efficace, avec la création de trois centres ou réseaux régionaux, axés respectivement sur l'Océan atlantique, l'Océan indien et la Méditerranée.

La partie du document consacrée à la formation et à la sensibilisation du public  pourrait également offrir une analyse plus approfondie.. Les aquariums géants africains que la Stratégie se propose de créer peuvent être de bonnes attractions touristiques et intéresser de nombreux jeunes africains, qui sont souvent la cible de programmes de vulgarisation scientifique. Ils sont susceptibles de s'intéresser à la science marine et vouloir devenir des chercheurs ou des techniciens des océans.

Mais ces initiatives sont onéreuses et ne touchent qu'un nombre restreint de personnes. Dans les faits,, parmi les populations côtières africaines, rares sont ceux qui verront un jour ces aquariums géants, non pas par manque d'intérêt, mais en raison de l'impossibilité de se rendre sur ces sites.
 

Volonté de changement


Malgré ces inquiétudes, la stratégie maritime africaine est un document encourageant qui témoigne d'une certaine volonté politique.

Le cadre à long terme fixé par ce document traduit une ferme volonté de changement. Certaines activités comme la formation des océanographes devraient s'étaler jusqu'en 2030. D'autres initiatives, comme la mise en place d'une zone africaine de libre-échange, devraient se poursuivre jusqu'en 2050.

Même si ces délais sont indispensables dans un domaine comme l'océanographie où le suivi s'étale sur plusieurs décennies, le temps peut aussi être l'ennemi de l'action politique. Les politiciens sont à la recherche de gains à court terme, et leurs ambitions déclinent une fois passée la prochaine élection.

Il y a le risque que le long délai d'exécution des actions prévues par la stratégie fasse échouer ce nouveau départ de l'océanographie africaine. Les astronautes ont pu éviter un risque similaire en mettant l'accent sur un objectif de court terme : le simple fait d'être adjudicataire d'une partie du projet du SKA est un motif de fierté nationale et continentale, même s'il ne sera achevé que dans une décennie.

Le temps est peut-être venu pour les océanographes de voir grand – encore plus grand qu'ils ne l'ont fait jusqu'alors – et concevoir des projets de recherche capables de convaincre des hommes politiques indécis, comme les promoteurs du SKA l'ont fait avec les ministres. L'état des océans qui entourent l'Afrique et leur productivité à venir pourraient en dépendre.

Journalist Linda Nordling, based in Cape Town, South Africa, specialises in African science policy, education and development. She was the founding editor of Research Africa and writes for SciDev.Net, Nature and others.

La journaliste Linda Nordling, basée à Cape Town, en Afrique du Sud, est spécialisée dans la politique scientifique, l'éducation et le développement. Elle a fondé Africa Research et publie dans SciDev.Net, Nature et d'autres revues.

Cet article est une production de la rédaction Afrique sub-saharienne de SciDev.Net.