20/09/13

Les statistiques africaines sur le développement sont trompeuses

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Crédit image: Flickr/Olaoluwa/IITA

Lecture rapide

  • De nombreux pays africains ne disposent pas de financement pour les statistiques et leurs économies sont caractérisées par un secteur informel fort.
  • Le PIB du Ghana a été presque multiplié par deux quand il a mis à jour sa méthode d’estimation de cet indice économique.
  • Il faut un programme de développement des capacités statistiques en Afrique subsaharienne axé sur la demande et l’applicabilité locales.

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Morten Jerven préconise l’élaboration d’un nouveau programme sur les données afin de produire des statistiques solides sur le PIB en Afrique subsaharienne.

Le PIB (produit intérieur brut) est l’indicateur de développement le plus influent dans le débat sur les orientations politiques. C’est le principal critère d’évaluation des progrès et de la richesse des nations – malgré la délicatesse de son interprétation et de son calcul.

Résultat, pour l’Afrique en particulier : les statistiques de développement économique des pays sont trompeuses.

La difficulté à calculer avec précision le PIB n’est pas l’apanage du monde en développement, mais, toutes autres choses étant égales, les économies moins nanties risquent d’avoir des données de moins bonne qualité.

Rareté des données

Une économie plus pauvre aurait relativement moins de ressources disponibles pour le financement d’un bureau national de la statistique.

La qualité et la disponibilité des données, et de ce fait, le coût de la collecte de statistiques solides dépend des individus et des entreprises qui compilent les statistiques officielles de l’activité économique ou déclarent les impôts – une chose peu probable dans les pays en développement. Ces données sont seulement collectées de temps à autre, à travers des enquêtes.

“Nos connaissances sur la croissance des économies africaines sont limitées.”

Morten Jerven

La définition de ce qui constitue l’activité économique constitue un écueil important pour le calcul du PIB dans le monde en développement, mais ce n’est rien comparé à la difficulté d’enregistrer les transactions économiques.

En Afrique subsaharienne,  ce problème fondamental est aggravé par certains facteurs historiques. Par exemple, la plupart des pays du continent ne collectent pas d’impôt immobilier ou d’impôt sur le revenu, mais prélèvent les taxes uniquement sur les marchandises aux frontières – ce qui explique le peu d’enthousiasme des Etats à suivre la production et les transactions économiques intérieures.

Et même si les capacités statistiques des pays africains se sont considérablement améliorées à la fin de la période coloniale et au début de la période postcoloniale, le continent a beaucoup souffert pendant la crise économique des années 1970.

Les bureaux nationaux de la statistique ont été négligés pendant les décennies de réforme libérale qui ont suivi. Et pendant cette période d’« ajustement structurel » de la fin des années 1980 et des années 1990, les gouvernements devaient produire de meilleurs résultats avec moins de moyens : les marchés informels et non officiels de vivres et de services se sont multipliés, tandis que les dépenses publiques ont été réduites.

Des références désuètes

En conséquence, nos connaissances sur la croissance des économies africaines sont limitées.

N’importe qui peut télécharger les statistiques du PIB pour l’année 2012 sur le site Web de la Banque mondiale pour 47 pays d’Afrique subsaharienne, les classer, puis les comparer. Mais à cause de l’application de méthodes variées et de la disponibilité limitée des données, toute comparaison serait hautement trompeuse.

On l’a bien constaté en 2010 quand le Ghana a mis à jour des données et des méthodes qui n’avaient pas été modifiées depuis 1993 pour procéder à une nouvelle estimation : utiliser l’année 2006 plutôt que 1993 comme année de référence pour le calcul du taux de croissance a permis de doubler quasiment le PIB de ce pays.

Comme pour tout indice, quand l’année de référence est désuète, les estimations du PIB deviennent peu fiables, étant donné qu’elles risquent de ne pas prendre en compte une partie importante de l’activité économique.

Nombreux sont ceux qui prévoient que le jour où le Nigéria procédera à la révision des paramètres de calcul du PIB, très probablement l’an prochain, il pourrait passer devant l’Afrique du Sud et devenir la plus grande économie d’Afrique subsaharienne. Ce problème est dû au fait que tous les pays de la région n’utilisent pas une année de référence récente.

Le Fonds monétaire international recommande  la mise à jour de ce paramètre tous les cinq ans. Et les pays s’évertuent à respecter cette consigne. En effet, selon cette règle, la nouvelle estimation du PIB ghanéen est déjà tombée en désuétude.

Développer les compétences nationales

Quelles mesures prendre contre ces estimations peu fiables du PIB?

Les utilisateurs de données doivent remettre en question leurs preuves. Et les vulgarisateurs de données, comme la Banque mondiale et ses Indicateurs de développement dans le monde, doivent convenablement étiqueter leurs données et clairement reconnaître les lacunes de leurs connaissances. Une bonne partie des informations présentées comme des données sont de simples approximations et projections.

Mais le plus grand défi à relever consiste à investir dans le développement des compétences nationales à produire de meilleures données.

Dans l’analyse macroéconomique de la croissance et de la pauvreté, la distance entre l’analyste et l’économie étudiée s’est accrue depuis les années 90 lorsque les ensembles de données téléchargeables ont été vulgarisés. Dans une certaine mesure, cette pratique a remplacé les experts nationaux qui étaient généralement mieux informés sur les lacunes des données statistiques nationales.

L’amélioration de la situation passe par une révision des méthodes scientifiques, le renforcement des compétences au niveau national, en renforçant les capacités des universités nationales, en mettant sur pied des groupes de réflexion et en formant les journalistes au traitement des questions de développement économique.

Des fonds ont été mis à la disposition des bureaux nationaux de la statistique grâce en partie au programme des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), mais ils ont été déviés des statistiques économiques vers les statistiques sociales plus pertinentes pour le suivi des OMD.

En outre, il s’agit généralement de fonds spéciaux destinés à soutenir la collecte de données pour un projet financé par les donateurs. En réalité, de nombreux bureaux nationaux de la statistique fonctionnent comme des agences de collecte de données pour le compte d’autrui, et non comme un bureau fournissant des données objectives nécessaires pour l’activité politique au quotidien ou la planification des politiques.

Ce faisant, les donateurs faussent la production de données au lieu de contribuer au développement des capacités statistiques, grevant ainsi les moyens destinés au  développement des ressources humaines et des infrastructures.

Ce qui fait problème c’est l’insuffisance de la coordination : plusieurs pays ont élaboré des stratégies nationales de développement statistique, mais, très souvent, les donateurs font fi des priorités de ces stratégies et exigent les données dont ils ont besoin, aggravant ainsi la fragilité des bureaux nationaux déjà sous une pression croissante.

Accorder la priorité au suivi

Les débats d’orientation peuvent également stimuler le renforcement des capacités.

Au niveau international, l’adoption des OMD a été probablement l’engagement le plus visible en faveur d’une élaboration de politiques fondée sur des résultats et des preuves. Mais les progrès accomplis dans l’atteinte de ces OMD se sont avérés difficiles à mesurer.

Avec le recul, on se rend compte qu’il était naïf d’exiger un tel niveau de mesurabilité sans au préalable comprendre systématiquement la manière dont les données peuvent et doivent être produites par des systèmes statistiques défaillants.

Leçon : les capacités statistiques doivent être au centre du débat sur les objectifs de développement après 2015.

Par exemple, dans le débat sur les OMD, on a d’abord identifié des objectifs, mais peu d’attention a été accordée à l’origine des données nécessaires à leur suivi.

Pour les futurs objectifs de l’après-2015, il serait peut-être utile de poser la question inverse : au lieu de se demander quel type de développement nous devons viser, posons la question de savoir quel type de développement devons-nous suivre ?

Il faut un nouveau programme des données sur le développement en Afrique subsaharienne, faisant la part belle à la demande, aux incitations et à l’applicabilité locales.

Morten Jerven est maître de conférences à l’Université Simon Fraser à Vancouver au Canada. Il a publié abondamment sur le développement économique de l’Afrique, notamment un récent  ouvrage  intitulé Poor Numbers, et il peut être contacté à l’adresse [email protected]